On pourrait l'appeler le tout-perdre contemporain. « On perd notre culture », « On a abandonné nos coutumes », « Les traditions se perdent », « Tout fout le camp », « Il n'y plus rien ici », « les jeunes ne s'intéressent plus au savoir », la perte se décline aujourd'hui sous toutes les formes.
Perdre sa culture, son identité, ses traditions, son savoir ou ses racines, et son corollaire - le besoin de transmettre - sont des figures mobilisées par de nombreux individus et collectifs à travers le monde. Irréversibilité du temps et lamento sur la perte, ce que l'on a perdu soimême ou pas. Au nom du tout-perdre, il faut absolument faire passer quelque chose du passé, des identités et des cultures, qu'il s'agisse des nôtres ou de celles des autres. Perdre sa culture invite le lecteur à réfléchir sur ces nostalgies patrimoniales contemporaines, en révélant les formes diverses que peut prendre le diagnostic de la perte culturelle. Alors que se multiplient partout sur le globe les revendications à la préservation culturelle, l'anthropologie nous enseigne qu'il existe des façons différentes de penser la disparition, la mémoire, la transmission et le patrimoine.
Le premier chapitre « Une impossible transmission en Afrique de l'Ouest » explore les discours liés à la perte culturelle et les mécanismes qui président à la transmission religieuse chez les Bulongic de Guinée-Conakry, une culture africaine décrite comme en train de disparaître.
Dans le second chapitre, à partir d'une recherche ethnographique menée au Laos (à Luang Prabang), j'analyse le travail de cette nostalgie patrimonialiste dans le contexte particulier d'une institution, celui de l'Unesco et de ses actions patrimoniales sur le terrain. Les chapitres 3 et 4 sont historiques et réflexifs. Le troisième chapitre expose l'histoire des liens complexes entre ethnologie et nostalgie, et invite à réfléchir sur la persistance de la figure de l'anthropologue nostalgique aujourd'hui. Enfin, l'ultime partie traîte de l'observation participante dans ces rapports avec la perte culturelle. L'anthropologue est rarement celui qui perd sa culture, mais plutôt celui qui louvoie entre différents horizons culturels et la nourrit d'influences multiples, un homme-caméléon par excellence.
1. Introduction.
La perte culturelle et le souci de transmettre.
Le tout-perdre.
La nostalgie des anthropologues.
Ce que les gens disent perdre.
Mesurer la perte, démontrer la transmission.
2. Une impossible transmission en Afrique de l'Ouest.
Un masque dans une vitrine.
Le silence des masques.
Une impossible transmission.
Les jeunes ne sont pas amnésiques.
La mémoire des vieux.
La perte comme perte de pouvoir.
Les femmes et la transmission religieuse Les citadins et la perte culturelle.
3. La perte cuturelle et les politiques de l'Unesco au Laos.
Etudier l'Unesco.
L'Unescoïsation de Luang Prabang.
La nostalgie des experts.
Les experts sur le terrain : une nostalgie revendiquée.
Une communauté de perte transnationale.
Les touristes, nostalgiques en passant.
Unesco, sexe et drogue.
Désajustement autour de la perte Exonostalgie/endonostalgie.
4. Vers la fin des sociétés ?.
L'anthropologue nostalgique.
Pourtant les sociétés persistent...
La nostalgie n'est plus (tout à fait) ce qu'elle était.
5. Etre un caméléon.
« Going Native » Empathie.
Imiter.
Jouer.
Sortir de soi.
6. Conclusion. La culture et le patrimoine, nos biens les plus précieux ?
David Berliner est anthropologue et professeur à l'Université libre de Bruxelles. Il est l'auteur de plusieurs livres, dont Perdre sa culture (Zones sensibles, 2018), récompensé par le prix de l'essai SACD-Scam 2019, et de nombreux articles scientifiques.