L'auteur du texte de ce livre est le fils de l'auteur des photographies. Historien des images, Bertrand Tillier propose pour ce nouvel opus de la collection Format passeport une approche à la fois intime (ce sont ses propres archives) et plus réflexive et générale sur la guerre d'Algérie. Il se fonde sur les photographies prises par son père, appelé du contingent en Algérie en 1962 et le récit familial. L'historien met en tension la mémoire individuelle exprimée ou tue dans la sphère intime et la mémoire refoulée de l'expérience de guerre.
Les photos envoyées à leurs proches par les jeunes appelés, photographes amateurs pour beaucoup d'entre eux, se conforment à une certaine mise en scène, puisque prises au piège d'un discours précis, national, officiel et médiatique. Elles donnent à voir une réalité choisie, ciblée, lisse, écran à la guerre.
Néanmoins, ces photographies, produites dans un contexte de guerre deviennent en quelque sorte témoignage de l'indicible car vecteurs de « moments de glissement et de débordement où les sentiments, les objets, les expressions du visage échappent d'emblée à toute normalisation ». Remplaçant les mots non dits, elles permettent une transmission d'un passé aux générations suivantes : « Chaque groupe porteur d'une mémoire se dirige vers le miroir qui racontera son histoire » (Benjamin Stora). La valeur des photos des appelés du contingent réside dans ce pouvoir de transmission ; elles constituent un support pour un travail de mémoire et de reconstitution, aussi partiel soit-il, tentant de rompre le silence ; regarder ces photos est une « modalité de communication dans les familles » (Raphaëlle Branche). Retrouvant les photos de son père dans une pochette, Bertrand Tillier, historien des images, met ainsi en lumière le rôle des générations postérieures dans la construction de la mémoire familiale.
Grâce à la curiosité d'un fils historien pour les photographies de son père, ce texte dévoile comment, derrière l'objet photographique témoin d'une histoire dans l'Histoire, se lisent des souvenirs, un passé, une mémoire personnelle, familiale mais aussi commune et collective.
À la fin des années 1920 à Turin s'était formé un groupe de jeunes, au lycée d'Azeglio et ensuite à l'université. Leur maître Augusto Monti disait qu'il leur enseignait Dante et la politique. Les élèves se nommaient : Leone Ginzburg, Cesare Pavese, Noberto Bobbio, Massimo Mila, Vittorio Foa, Mario Lévi.
Leone Ginzburg (1909-1944) est apparu très vite comme la figure émergeante de ce groupe par son attitude morale exemplaire, tant sur le plan intellectuel que politique. En 1933 il fonde, avec Giulio Einaudi et Cesare Pavese, les éditions Einaudi : en 1937 et 1938, il y installe les grandes collections, historiques, scientifiques, et les traductions de la littérature européenne : lui-même, d'origine russe et russophone, traduit les auteurs russes ou révise des traductions (Gogol, Tolstoï, Pouchkine, Dostoïevski, Tourgueniev) tandis que Cesare Pavese traduit les textes les plus novateurs de la littérature américaine (Sinclair Lewis, Herman Melville, John Dos Passos, Gertrude Stein...). De 1941 à 1943, condamné par le régime fasciste à la relégation dans un petit village des monts des Abruzzes, il écrit sans cesse pour la « Casa » Einaudi, et exige l'excellence du travail éditorial. Dans une incessante revendication de ses positions antifascistes, Ginzburg est mort de sa radicalité en 1944, à la prison romaine de Regina Coeli, assassiné par les nazis.
Avec une écriture impliquée, Florence Mauro raconte la vie de Leone Ginzburg tirée comme un trait droit et sans bavure, sans aucune compromission, marquée par l'exigence intellectuelle. Par sa lutte jamais relâchée pour la liberté d'écrire, de traduire, d'enseigner, de transmettre, il a contribué à maintenir un rempart indispensable contre la montée d'une société totalitaire. L'autrice remet en lumière son intransigeance et sa radicalité face aux événements contemporains de sa génération. Il est un modèle qui parle aujourd'hui et enseigne à ne pas manquer de vigilance.
Elle transmet au lecteur d'aujourd'hui son empathie pour le personnage de Leone Ginzburg qui devient par moments héros de roman : elle l'imagine dans une quotidienneté, avec ses camarades de lycée dans les cafés de Turin, ou avec sa famille dans le confino des Abruzzes où il est exilé par le pouvoir fasciste. Elle le met en scène, se fondant sur des écrits retrouvés, des témoignages, des archives. Elle décrit ses enquêtes dans les archives à Turin et à Rome, ses déambulations sur les pas de Leone Ginzburg, ses rencontres avec des témoins ou des historiens.
À travers le geste d'écriture, Leone Ginzburg inscrit la culture comme premier front de l'antifascisme. Pour lui tout acte de langage devient acte politique.
Comment des articles écrits dans la célèbre revue La Cultura - reprise par la Casa Einaudi - apparaissent-ils comme les mots les plus engagés de la Résistance ? Comment la Casa Einaudi est-elle au coeur, dès sa création, d'un des enjeux essentiels de la démocratie, du renouvellement d'un patrimoine qui a fondé un pays, et de sa très nécessaire leçon de résistance à venir ?
Il est à noter que l'épouse de Leone, Natalia Ginzburg, née Natalia Levi, a été une grande écrivaine.
Leone et Natalia ont eu trois enfants dont Carlo Ginzburg le célèbre historien pionnier de la micro-histoire et historien de l'art.
Ce livre est né de la volonté d'interroger quatre pratiques différentes de la philosophie de terrain, c'est-à-dire d'un rapport empirique de quatre chercheurs aux situations concrètes à partir desquelles la pratique de l'entretien ou de la relation va leur permettre de questionner un certain nombre de réalités sociales et politiques contemporaines.
Si le terrain appartient traditionnellement aux méthodes des sciences sociales, la philosophie contemporaine, depuis les années 2000, a commencé à le réinvestir. Et les quatre auteurs font partie de ceux qui revendiquent, de façons diverses, une telle entreprise. C'est cette diversité même qui les a poussés à se réunir.
Cet ouvrage ne vise donc pas à homogénéiser leurs pratiques, mais au contraire à en faire valoir l'hétérogénéité, c'est-à-dire la richesse et la pluralité que peut engager un rapport philosophique au terrain. Ce livre ne risque pas non plus d'épuiser une telle hétérogénéité : bien d'autres rapports philosophiques au terrain sont possibles, et actuellement réalisés par d'autres qu'eux.
Enfin ils souhaitent, sous un format relativement court et accessible, présenter directement la manière dont, chacun, ils ont été plongés dans le terrain, travaillés et questionnés par lui avant même de pouvoir le questionner eux-mêmes, à partir de quatre champs d'investigation différents :
- une réalité sociale reconfigurée par l'impact politique des migrations dans le Calaisis - une réalité judiciaire dans les configurations internationales de la guerre en ex-Yougoslavie - une réalité pénitentiaire pensée à partir de ses acteurs en France - une réalité d'engagements à partir de la situation économico-politique de la Grèce.
Ces quatre champs d'investigation suscitent eux-mêmes quatre modes d'approche différents :
- l'immersion - l'observation combinée aux entretiens et au travail d'archives - l'enquête par le biais de la position enseignante - l'association des entretiens à la réflexion esthétique.
Leur petit nombre réfute évidemment toute volonté d'exhaustivité. Et le caractère singulier de chacun de leurs terrains dit qu'ils ont souhaité embarquer le lecteur dans quatre aventures intellectuelles différentes, questionnant chaque fois le rapport de la philosophie au terrain par des abords spécifiques et renouvelés. En se réunissant, ils ont souhaité à la fois attester de cette pluralité à partir du récit de l'analyse de chacune de leurs expériences, et en dégager ce qui les lie à cette constellation commune qui a pris le nom de philosophie de terrain.
Cet ouvrage traite de la difficulté à nous séparer des objets et de leur histoire. De la poubelle à l'usine, des marchés de vide-greniers aux puces , du théâtre d'objets au mémorial, du patrimoine au musée et à l'objet comme reste, Octave Debary cherche à interroger le pouvoir de faire autre chose des objets. Il questionne des manières de rendre compte de l'histoire. S'agit-il de dettes ? De devoirs de mémoire ? Ou d'arts du souvenir qui placent au coeur de leur pratique un art de l'oubli ?
Ce petit livre condense sous la forme d'un manifeste une réflexion inédite sur la « philosophie de terrain ». Cette locution semble de prime abord un oxymore, tant le terrain caractérise cette part des sciences humaines qui se distingue de la philosophie. Cependant, la tradition philosophique elle-même, y compris ses courants « idéalistes », ne cesse de s'inquiéter de sa relation à l'empirique, de ses effets sur le monde autant que de la manière dont le réel bouscule ses présupposés.
Les années 2000 sont propices à interroger ce rapport au terrain, à questionner les pistes qu'il ouvre à une philosophie politique soucieuse d'interroger, comme le proposait Gramsci, les fonctions de l'intellectuel et ses instrumentalisations possibles. Se refuser à être un organe de pouvoir conduit à utiliser le travail de terrain comme fer de lance critique.
Une telle critique devra aussi porter sur la partition sociale qui autorise la position philosophique elle-même : celle qui, dissociant le travail intellectuel du travail « manuel » ou technique, semble accorder au premier non seulement une préséance hiérarchique, mais plus encore un monopole de la pensée. Cette partition ne concerne pas seulement la philosophie, pour laquelle la question du terrain n'a jusqu'ici pas été posée de façon centrale, mais l'ensemble des sciences humaines. Celles-ci considèrent en effet la pratique de l'entretien comme un matériau d'investigation, mais non comme le moment d'une réciprocité de la réflexion.
Le concept d'une philosophie de terrain conduit donc à penser une politique de l'entretien et à considérer celui-ci, au-delà du simple témoignage, comme l'élaboration d'une expérience spécifique de pensée. Les textes des entretiens n'ont pas le statut d'annexes, mais celui de référents du discours, au même titre que des citations d'auteurs : ils participent de la construction des concepts. La distance établie par la philosophie ne peut pas être un hors-sol.
Le premier temps du parcours montre que cette proposition se distingue à la fois d'une tradition philosophique dominante et des usages du terrain dans l'ensemble des sciences humaines. Le deuxième temps met en évidence les précédents que constituent les démarches d'une autre tradition philosophique qui en a posé les jalons : chez Spinoza, Marx et Engels, Simone Weil, Arendt et Foucault, mais aussi chez Bourdieu. Le troisième moment aborde les expériences du terrain et leur formalisation à partir de trois exemples (en Égypte, au Chili et en Bulgarie) avant de poser la question d'une politique de l'entretien et de soulever les problématiques esthétiques liées à la démarche documentaire.