Le chamane est un individu capable, d'une façon mystérieuse pour nous, de voyager en esprit, de se percevoir simultanément dans deux espaces, l'un visible, l'autre virtuel, et de les mettre en connexion. Ce type de voyage mental joue un rôle clé pour établir des liens avec les êtres non humains qui peuplent l'environnement.
Les chamanes ne gardent pas pour eux seuls l'expérience du voyage en esprit : ils la partagent avec un malade, une famille, parfois une vaste communauté de parents et de voisins. Les participants au rituel vivent tous ensemble cette odyssée à travers un espace virtuel. De génération en génération, les sociétés à chamanes se sont transmis comme un précieux patrimoine des trésors d'images hautes en couleur, mais en grande partie invisibles.
Ce livre est le fruit d'enquêtes de terrain et reprend l'ample littérature ethnographique décrivant les traditions autochtones du nord de l'Eurasie et de l'Amérique. Au travers de récits pleins de vie, il rend compte de l'immense contribution à l'imaginaire humain des différentes technologies cognitives des chamanes. Les civilisations de l'invisible bâties par les peuples du Nord, encore puissantes à l'aube du XXe siècle, n'ont pas résisté longtemps à l'entreprise d'éradication méthodique menée par le pouvoir colonial des États modernes, qu'il s'agisse de l'URSS, des États-Unis ou du Canada. Ce livre nous permet en?n de les appréhender dans toute leur richesse.
De tous temps, l'économie a fait partie des sociétés humaines. Sa place est naturelle. Nous n'avons pas de prise sur son développement. D'ailleurs, le marché satisfait tous nos besoins... Vraiment ?
Karl Polanyi bat en brèche cette « légende ». Depuis le XIXe siècle, l'omniprésence du marché et, par conséquence, de l'industrie et de la technique, n'a cessé de croître. « L'Ère de la machine » a vu cet ensemble s'étendre à toutes les sphères de nos existences. Elle nous impose ses valeurs et son fonctionnement.
Polanyi plaide pour une refondation de notre rapport à l'économie afin d'en retrouver le contrôle. Il affirme la nécessité de nouveaux principes directeurs. C'est à cette seule condition que nous pourrons nous extraire d'un engrenage qui ne peut mener qu'au totalitarisme.
En imaginant, l'homme peut rendre possible l'impossible : dans les mythes ou les religions, ce qui est imaginé n'est jamais pensé ni vécu comme imaginaire par ceux qui y croient. Cet imaginé-là, plus réel que le réel, est sur-réel.
Si Lévi-Strauss affirme que « le réel, le symbolique et l'imaginaire » sont « trois ordres séparés », Maurice Godelier montre au contraire que le réel n'est pas un ordre séparé des deux autres. Les rites, objets et lieux sacrés ne témoignent-ils pas de la réalité de l'existence de Dieu, des dieux ou des esprits pour une partie de l'humanité ? Le symbolique déborde la pensée, envahit et mobilise le corps tout entier, le regard, les gestes, les postures mais aussi l'ensemble du monde : il est le réel.
L'ouvrage nous entraîne au coeur stratégique des sciences sociales, car s'interroger sur la nature et le rôle de l'imaginaire et du symbolique, c'est vouloir rendre compte de composantes fondamentales de toutes les sociétés et d'aspects essentiels du mode d'existence proprement humain, des aspects qui forment une grande part sociale et intime de notre identité.
À mi-chemin du récit et de l'étude sociologique, Anthropologie est une enquête en creux, née de l'impression suscitée par le regard d'une jeune Rom mendiant devant un centre commercial. Troublé par ce visage, l'auteur évite d'abord la rencontre. Il décide finalement de rencontrer celle qui est à l'origine de son trouble. Mais elle disparaît à ce moment-là. Il tente alors de la retrouver et de percer le secret de cette figure devenue obsédante. À la façon du héros de Mr. Arkadin de Welles, il part à la recherche de tous ceux qui ont pu la croiser. De cette quête minutieuse, traque d'une absence, se dégage un tableau sociologique de la France contemporaine et de ses «exclus». Avec cet ouvrage, Éric Chauvier jette les bases d'une nouvelle façon de concevoir et de pratiquer l'anthropologie.
Au XIXe siècle, on distinguait les religions primitives des grandes religions de la planète sous deux aspects. En premier lieu, les religions primitives seraient inspirées par la peur ; en second lieu, elles seraient inextricablement liées aux notions de souillure et d'hygiène : les primitifs étaient, disait-on à l'époque, convaincus que ceux qui par inadvertance traversaient quelque ligne interdite étaient victimes d'effroyables catastrophes. Mais les anthropologues qui, comme Mary Douglas, ont pénétré plus profondément dans ces cultures primitives ne trouvent pas trace de cette peur. L'hygiène, en revanche, se révèle une excellente piste si nous savons la suivre en profitant des connaissances que nous avons de nos propres sociétés : plus nous connaissons les religions primitives, plus il nous apparaît qu'il y a, dans leurs structures symboliques, une place pour la méditation sur la saleté qui est aussi une réflexion sur le rapport de l'ordre au désordre, de l'être au non-être, de la vie à la mort.
La hache apparait au néolithique. Elle est robuste, facile à fabriquer et à utiliser, et si elle a pu changer, sa forme reste reconnaissable entre toutes. Au contraire de l'épée, cette arme n'est pas auréolée de merveilleux. C'est une arme plus terre-à-terre, populaire, qui a plus de prestige que le couteau ou le bâton. Elle est à la fois outil et arme. Néanmoins, elle peut accompagner l'homme puissant dans la tombe. Alors synonyme de prestige et d'autorité, cette arme devient le support de décorations en rapport avec la position sociale de son propriétaire.
Un faisceau de ramifications s'organise autour des multiples dimensions de cet objet : historiques, symboliques... et pop culturelles.
Fruit de vingt ans de recherches sur la violence, ce livre tente de percer l'énigme des génocides au XXe siècle. Car, des pensées vengeresses au meurtre et au meurtre de masse, il y a le passage à l'acte, processus de bascule complexe, imbriquant des dynamiques collectives et individuelles, de nature politique, sociale, psychologique, etc.
Comprendre n'est pas justifier mais chercher à penser l'impensable. Cela exige une démarche pluridisciplinaire et comparative qui ne s'arrête pas au relevé des causes sociales objectives mais s'interroge sur le sens que les individus leur prêtent. Figures d'un autre en trop, rationalité délirante, politique publique de destruction, guerre et contexte international, rôle des médias, vertiges de l'impunité et plaisir de la cruauté, l'auteur examine chaque facette du problème à travers plusieurs cas historiques.
Berlin le dimanche : quand la plupart dorment, d'autres se lèvent aux aurores pour se rendre à « la messe », donner leur corps à la danse. C'est vers le Berghain qu'ils convergent, une ancienne centrale électrique de Berlin-Est transformée en club techno.
Mais par-delà les fantasmes et les rumeurs de débauche, que nous apprend ce club sur notre rapport au corps ? Ces longues files ne cachent-elles pas un besoin de hors-lieux dans un monde ultranormé ? Cette réflexion sur les pratiques corporelles en milieu techno s'appuie sur trois ans de plongée ethnographique au sein d'une scène qui semble cultiver jusqu'à l'épuisement l'extase dionysiaque.