L'oeuvre de Frantz Fanon, psychiatre et militant de l'indépendance algérienne, a marqué des générations d'anticolonialistes, d'activistes des droits civiques et de spécialistes des études postcoloniales. Depuis la publication de ses livres, on savait que nombre de ses écrits psychiatriques restaient inédits, dont ceux consacrés à l'« aliénation colonialiste vue au travers des maladies mentales » (selon les mots de son éditeur François Maspero).
Le lecteur trouvera donc dans le présent volume les articles scientifiques de Fanon, sa thèse de psychiatrie ainsi que des textes publiés dans le journal intérieur de l'hôpital de Blida-Joinville où il a exercé de 1953 à 1956. On y trouvera également deux pièces de théâtre écrites durant ses études de médecine, des correspondances et certains textes publiés dans El Moudjahid après 1958. Cet ensemble remarquable est complété par la correspondance entre François Maspero et l'écrivain Giovanni Pirelli à propos de leur projet de publication des oeuvres complètes de Fanon, ainsi que par l'analyse raisonnée de la bibliothèque de ce dernier.
Les textes politiques de Frantz Fanon réunis dans ce volume couvrent la période la plus active de sa vie, de la publication de Peau noire, Masques blancs en 1952 - il avait alors vingt-huit ans - à celle des Damnés de la terre en 1961, qui devait coïncider, à quelques jours près, avec la date de sa mort. Retraçant le fil d'une réflexion en constante évolution sur le phénomène colonial, vécu de l'intérieur, ces textes dénoncent à la fois le colonialisme et les pièges de la décolonisation - la « grande erreur blanche » et le « grand mirage noir ».
Explorant tour à tour la situation du colonisé, dont il peut rendre compte scientifiquement par son expérience médicale quotidienne, l'attitude des intellectuels de gauche face à la guerre d'Algérie, les perspectives de conjonction de la lutte de tous les colonisés et les conditions d'une alliance de l'ensemble du continent africain, Frantz Fanon gardait la certitude de la prochaine libération totale de l'Afrique. Son analyse et la clarté de sa vision nous donnent aujourd'hui les clés nécessaires pour comprendre la réalité africaine actuelle.
Cet ouvrage se compose de « leçons » pour tenter d'anticiper les contre-feux institutionnels et se confronter aux effets qui accompagnent l'offre amoureuse d'une décolonisation de façade. Essayer de comprendre pourquoi ces stratégies trouvent des prises particulières dans le contexte français et montrer comment elles composent le chemin le plus sûr pour la poursuite - et même la nouvelle peau - de l'économie néolibérale.
Olivier Marboeuf est auteur, poète, performeur. Il a été directeur artistique du centre d'art l'Espace Khiasma. À travers ses multiples expériences et sa connaissance des milieux artistiques et culturels, il analyse les chantiers actuels de décolonisation de ces espaces.
"Toute réflexion de gauche a ce sens : elle est la négation d'une limite théorique.
Toute sensibilité de gauche a ce sens : le dégoût des limites, théoriques ou pratiques. Toute exigence de gauche est l'exigence, même insensée, de dépasser une limite reconnue comme limite". "Il est dans la nature de la gauche d'être déchirée. Cela n'est nullement vrai de la droite, malgré ce qu'une logique trop naïve donnerait à penser. C'est que la droite est faite d'acceptation, et que l'acceptation est toujours l'acceptation de ce qui est, l'état des choses, tandis que la gauche est faite de refus".
B dirige une société du numérique appelée « A ». A est en passe d'acquérir le monopole de la vente à l'échelle planétaire. Elle est en quelque sorte une société totale, un hypermarché-monde. En parallèle, A aspire à construire des colonies spatiales, réactivant les fantaisies de la Nasa des années 1970. Planète B est un essai qui mêle enquête et fiction afin dappréhender un monstre en pleine expansion : Amazon. En réalité, il nest pas question de B comme individu, ni dune société dont le nom est la première lettre de lalphabet. B nest personne en particulier. A est un symptôme. À la manière d'un exutoire, ce livre sonde avec sérieux et humour une logique qui, par son échelle délirante, nous échappe.
Comment, dans un paysage politique en ruines, reconstituer la vérité des faits? La réponse d'Eyal Weizman tient en une formule-programme: « l'architecture forensique ». Approche novatrice au carrefour de plusieurs disciplines, cette sorte d'architecture se soucie moins de construire des bâtiments que d'analyser des traces que porte le bâti afin de rétablir des vérités menacées. Impacts de balles, trous de missiles, ombres projetées sur les murs de corps annihilés par le souffle d'une explosion: l'architecture forensique consiste à faire parler ces indices.
Si elle mobilise à cette fin des techniques en partie héritées de la médecine légale et de la police scientifique, c'est en les retournant contre la violence d'État, ses dénis et ses « fake news ». Il s'agit donc d'une « contre-forensique » qui tente de se réapproprier les moyens de la preuve dans un contexte d'inégalité structurelle d'accès aux moyens de la manifestation de la vérité.
Au fil des pages, cet ouvrage illustré offre un panorama saisissant des champs d'application de cette démarche, depuis le cas des frappes de drone au Pakistan, en Afghanistan et à Gaza, jusqu'à celui de la prison secrète de Saidnaya en Syrie, en passant par le camp de Staro Sajmište, dans la région de Belgrade.
Aujourd'hui, la gauche sociale et politique est en panne de réflexion sur l'État. Pourtant, la critique de l'État y est toujours fréquente, des professions de foi internationalistes jusqu'à l'anarchisme ou communisme libertaire. Pour Frédéric Lordon, ces positionnements constituent le plus souvent une posture et ont tendance à fuir le vrai problème posé par l'État : toutes les communautés humaines semblent se référer à une entité verticale, que ce soit sous la forme d'une autorité charismatique, d'un ensemble de règles communément partagées ou sous la forme rationnelle et bureaucratique de l'État propre aux sociétés contemporaines.
Que faire de ce principe vertical qui traverse les sociétés ? Certains (les républicains, les étatistes) célèbrent ce principe et promeuvent un « vrai » État-nation, une république « sociale ». D'autres voudraient en finir avec ce principe, en imaginant une société humaine transparente à elle-même, intégralement cosmopolite et strictement fondée sur le principe d'association et de réciprocité.
Frédéric Lordon s'oppose à ces deux propositions et fait à nouveau travailler les concepts qu'il a forgés dans Capitalisme, désir et servitude. À travers une lecture contemporaine de Spinoza, l'auteur propose de repenser l'État non comme un corps étranger face à la « bonne » société civile, mais comme une nécessité intrinsèque du social. Chez Spinoza, ce principe de verticalité a pour nom imperium : l'imperium est l'expression d'une puissance, celle de la multitude, incommensurablement supérieure à celles de chacune de ses parties constituantes prises séparément. Sous cet angle, il ne faut plus penser l'État sur le modèle des États « bourgeois » modernes, ni celui des royautés, des grands Empires féodaux ou esclavagistes.
L'État au sens large est le nom qu'on peut alors donner à tout groupement politique persévérant, quelle qu'en soit la forme. Contre les libéraux - et aussi les libertaires - qui pensent que le lien social est réductible à des contrats, ou à des pactes, passés dans la transparence de la conscience, il faut dire que les hommes tiennent en groupements nombreux non sous l'effet de promesses explicites et d'engagements transparents mais, comme le dit Spinoza, par l'effet d'un affect commun.
En ce sens, si l'on veut penser l'État comme une forme politique potentiellement dominatrice, il faut reprendre le fil de Capitalisme, désir et servitude :
La servitude n'est que rarement l'imposition d'une contrainte étrangère aux désirs de la multitude. Elle est la forme politique prise par la multitude pour réaliser ses priorités, sa puissance. C'est la puissance de la collectivité qui est par là même capturée par les « entrepreneurs de pouvoir », et cette capture est facilitée par tous les États en tant que principe vertical et contraignant.
Penser l'État, c'est donc répondre à une question plus que jamais d'actualité : comment résister à la dépossession de notre puissance par l'État ? Comment accroître notre puissance collective ? Mais pour y répondre, il faut au moins abandonner le registre de la posture, les impasses de la dénégation, et être un peu au clair sur la réalité des forces passionnelles qui sont l'étoffe de la politique : ne pas se raconter des histoires.
Les Vies politiques auxquelles ces essais sont consacrés n'ont en commun que l'époque au cours de laquelle elles se sont déroulées. Ainsi, Martin Heidegger, Karl Jaspers, Hermann Broch, Walter Benjamin, Bertold Brecht, Rosa Luxemburg et Jean XXIII par exemple, ont tous vécu ce que l'un d'eux, Brecht, appela de « sombres temps ».
L'objectif principal de ce livre n'est cependant pas de dénoncer un mal d'époque mais de réfléchir un peu de « la lumière incertaine, vacillante et souvent faible que des hommes et des femmes, dans leur vie et leur oeuvre, font briller dans presque n'importe quelles circonstances ».
En 1697, John Locke avait trouvé plein de bonnes idées pour occuper les pauvres. Il les résumait dans un bref exposé : Que faire des pauvres ? Aujourd'hui, réduits à une foule semi-clandestine ou noyés dans la Méditerranée, les pauvres ne semblent plus être une question. D'après Nathalie Quintane, le véritable problème des sociétés modernes, ce sont les classes moyennes.
Nourri par une foultitude de documentation récente disponible virtuellement ou sur du papier, adossé aux meilleurs auteurs, parfois abondamment cités (Nietzsche, Debord, Ballard, aussi bien que Lojkine, Huelin ou Brustier), Que faire des classes moyennes ?
Nous aide clairement à comprendre en quoi les classes moyennes concourent à l'état déplorable de la société tout entière et peut-être du monde. Obsessions éducative et résidentielle, compréhension biscornue de ce qu'est la culture (sans parler de l'art), dépolitisation endémique... comment une population aussi bizarre parvient-elle à se considérer comme normale, renvoyant dès lors les autres à l'anormalité ?
Et si les classes moyennes étaient les seuls et véritables ennemis de la démocratie ?...
Un texte à la fois allègre et assassin, d'autant plus allègre qu'il est assassin ; d'autant plus assassin qu'il est allègre...
Pourquoi avons-nous besoin de chefs ? Pourquoi leur obéit-on ? Pourquoi les sociétés n'ont-elles pas toutes les mêmes régimes politiques ? Pourquoi se défie-t-on autant de la politique ?
En abordant ces questions si actuelles, ce dialogue veut faire comprendre que la démocratie, qui nous apparaît aujourd'hui bien fragile et même décevante, est toujours à recommencer, à inventer, et qu'il est de notre responsabilité de la faire vivre.
Pair de France sous la monarchie de Juillet, député sous la République, et plus tard sénateur, Hugo fut aussi un homme politique à l'instar d'autres écrivains prestigieux, Chateaubriand ou Lamartine. Mais toujours resté à l'écart de l'exécutif, il put dire sous la Seconde République: « Je veux l'influence et non le pouvoir », et cette influence, pendant soixante ans, s'exerça d'abord par le verbe d'un poète souverainement descendu dans l'arène, et toute la puissance incisive d'une parole souvent pamphlétaire.
L'ambition de cette anthologie est donc de reconstituer, au travers des plus célèbres interventions de l'écrivain, le long parcours politique qui le conduisit à soutenir la République après une jeunesse royaliste et à pourfendre, depuis l'exil, un Second Empire honni. Mais l'objet de ce livre est aussi de nous rappeler toute la diversité des causes défendues par Hugo, de l'abolition de la peine de mort à la lutte contre le paupérisme, de la liberté d'expression à l'égalité des sexes, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes à l'unité de l'Europe. Ces textes de combat, qui raniment l'histoire d'un siècle, sans doute portent leur date : ils nous restent pourtant présents, par la conviction passionnée qui s'y lit mais aussi par l'importance, bien souvent, de questions qui maintenant encore nous regardent.
Série dirigée par Michel Jarrety.
- Le Black Panther Party par ceux et celles qui l'ont fait - Des documents d'époque qui éclairent un des épisodes les plus marquants de la lutte de libération noire américaine À l'heure où les révoltes de Ferguson ont mis en lumière la persistance du racisme structurel et des crimes policiers en Amérique, la question de l'organisation des communautés opprimées, qui est au centre de l'expérience des Panthères noires, est plus que jamais d'actualité en Amérique et en France.
Il existe un consensus chez artistes et critiques qui consiste à perpétuer l'idéal d'une oeuvre d'art susceptible d'éveiller les consciences aliénées, de modifier le cours de l'histoire, de créer de la « reliance » là où le tissu social s'est déchiré. Ce livre émet une hypothèse radicalement différente, critique et polémique : analysant les pôles de résistance que l'art oppose depuis une vingtaine d'années à l'effondrement du politique, il montre combien une partie de l'art contemporain peut se révéler naïf, encore pétri d'illusions humanistes, clivé entre les positions désormais caduques des néo-avant-gardes et les oeuvres dites « relationnelles », prônant une convivialité de bon aloi et occultant l'extrême dureté des fractures sociales. Constat d'échec ? Pas seulement. Car l'art pourrait passer le témoin à d'autres formes visuelles : le documentaire engagé, photographique et plus encore cinématographique, puissante « machine à penser », selon l'expression de Thierry Garrel. Un hommage à la modestie lucide du documentaire, au travail du temps, à la parole incarnée, à l'écart des bruyantes imageries postmodernes.
Ce livre collectif propose de démonter les mécanismes et les discours qui conduisent au mieux à stigmatiser au pire à incriminer les immigrants post-coloniaux et leurs descendants français dès lors que la France prend leur visage. Cette mécanique repose sur la nécessité de sauver la république et ses "valeurs", récemment réévaluées et promues cause nationale, contre des pratiques dénoncées comme inquiétantes dès lors qu'elles sont étiquetées comme étrangères. Pour garantir ces valeurs républicaines, il importe que "tout change pour que rien ne change". C'est donc à un tour de passe-passe que se livrent les promoteurs d'un ordre républicain campé sur des positions réactionnaires : nier les effets inéluctables et déjà observables de l'avènement d'une société multiculturelle et multiconfessionnelle où la pluralité des opinions et des choix n'épouse plus les contours confortables de partitions politiques et idéologiques dépassées.
La politique, dit-on, serait en crise du fait de l'inadéquation de nos représentants à la réalité qu'ils sont censés représenter : la fameuse "coupure" entre le peuple et ses élites témoignerait au premier chef de ces troubles dans la représentation. Myriam Revault d'Allonnes prend, en philosophe, le contre-pied d'une approche de la "représentation" qui, dit-elle, réduit à tort cette notion à sa dimension juridico-politique.
Revenant aux sources de la "représentation" (arts visuels, théâtre), puisant aux deux grands paradigmes de la mimesis, la peinture et le théâtre, en compagnie de Platon et d'Aristote, cet essai interroge - au travers de l'élaboration de la notion de "représentation politique" (Hobbes, qui mobilise la métaphore théâtrale), de sa critique radicale (Rousseau, qui récuse la représentation et dénonce le simulacre du théâtre au nom de la "transparence") et jusqu'aux débats actuels sur la supposée "crise de la représentation" - la question de l'exercice de la souveraineté.
Au terme de l'exploration, surprise : il apparaît que le lien représentatif moderne est fondamentalement lien de séparation. Et que c'est une illusion de penser que la représentation est susceptible de "figurer" de manière adéquate la réalité. Mais alors, que reste-t-il aux citoyens pour donner corps à la souveraineté politique ? La délibération, la discussion, la contestation, répond l'auteur, toutes modalités d'action non électives qui se donnent à voir et ne s'exercent que dans la non-coïncidence à soi.
Alors s'ouvrent de nouvelles et riches perspectives à la représentation dans l'espace du politique, mais une représentation placée dès lors sous le signe de la re-configuration - et non celui de l'impossible figuration.
Les récents attentats de Paris et ceux qui les ont suivis de près en Afrique, venant après tant d'autres, depuis si longtemps et dans un contexte international particulièrement instable, portent à l'incandescence deux séries de questions : d'une part on se demande comment agir, jusqu'où la riposte belliqueuse est opportune ou du moins suffisante, d'autre part, puisque les pouvoirs politiques sont particulièrement mis en jeu, on se demande quelles sont au juste leurs marges de manoeuvre et leurs responsabilités précises (car on se retourne soudain vers eux alors qu'on était prêt la veille à les considérer comme les figurants d'un théâtre économique).
« Que faire ? » et « Quoi du politique ? » sont les deux faces d'une même inquiétude.
Peut-être le « faire », considéré comme production d'une action effective, est-il mis en suspens dès lors que l'idée même de la politique est brouillée. Aujourd'hui ce mot englobe tantôt l'ensemble des conditions d'existence et de sens, tantôt seulement une sphère limitée mais dont l'autonomie paraît douteuse.
Une seule chose est sûre, c'est la condamnation toujours recommencée de la « politique politicienne », singulière tautologie. Elle révèle le sentiment qu'il y a dans la politique elle- même la possibilité de son mésusage ou de sa caricature.
Une autre façon de contourner le problème est de distinguer « le » politique » de « la » politique (ou bien « the political » et « politics ». Cette différence de genre sert à magnifier une essence, un en-soi d'une pratique et tendanciellement une conception élevée d'une tâche besogneuse (même si non indigne.).
On ne peut y voir plus clair quant au « faire » que si on clarifie le sens de « politique ».
C'est ce qu'on voudrait entreprendre ici.
Cet ouvrage analyse l'état d'esprit des intellectuels dans les démocraties populaires. L'auteur poursuit un dialogue intérieur qui l'empêche d'admettre une fois pour toutes certaines valeurs comme absolument garanties. Il est partagé entre le désir de comprendre ce qu'on nomme «les nécessités historiques», la tentation de se soumettre à elles, et la volonté de définir le malaise que la soumission fait naître.En dépit de quelques détails autobiographiques, l'auteur reste presque toujours à l'arrière-plan, laissant parler les événements et les hommes. Ce qu'il met principalement en relief, ce sont les situations. Les réactions subjectives apparaissent comme si elles étaient placées entre guillemets. Milosz s'efforce de n'être qu'une voix dans la tragédie, une voix en quête de réplique.
La Société bureaucratique est le cinquième volume de notre édition des Écrits politiques, 1945-1997 de Cornelius Castoriadis (1922-1997).
Rappelons le plan d'ensemble de cette édition :
VOLUMES PARUS - La Question du mouvement ouvrier (vol. I et II) - Quelle démocratie ? (vol. III et IV) - La Société bureaucratique (vol. V) À PARAÎTRE :
- Devant la guerre et autres écrits (vol. VI) - Sur la Dynamique du capitalisme et autres textes, suivi de L'Impérialisme et la guerre (vol. VII ; devrait paraître en 2016) - la publication d'un dernier volume (vol. VIII) qui ne faisait pas partie du plan initial est à l'étude ; il regrouperait des textes de l'auteur consacrés aux rapports entre écologie et politique, des correspondances (notamment avec Jacques Ellul) et divers compléments, ainsi qu'un index général.
Les quatre premiers volumes étaient consacrés aux problèmes que posent l'évolution du mouvement ouvrier et les nouveaux traits apparus après 1945 dans les sociétés occidentales à tous ceux qui voudraient oeuvrer à la transformation de celles-ci en un sens radicalement démocratique.
La Société bureaucratique reprend, pour l'essentiel, le contenu
L'auteur approfondit ici la réflexion entreprise dans Superstitions. Le renversement de la hiérarchie opéré par la Révolution française a laissé place à une nouvelle puissance asservissant l'homme et le désignant d'emblée comme asservi : le flot d'images, de mythes et de symboles véhiculé par la culture. Une culture qui fait de l'insurrection au pouvoir son leitmotiv. Or, Masci dénonce l'illusion de cet appel au bouleversement quand les conditions en dispersent les possibilités réelles dans l'événement. La liberté supposée des hommes est aussi infinie qu'elle est vide. L'entertainment crée en effet des situations de perpétuelle attente, entre des événements toujours plus proliférants. Pour lui, il représente une force agissant non plus par le haut mais selon une dissémination horizontale, qui est une autre forme de domination. Ce pouvoir s'exerce insidieusement et menace la réalité des faits. Masci attaque sur un plan philosophique le néant des images fournies par l'entertainment, ce divertissement supposé qui ne fait que créer de la contingence et cultiver le chaos.
'Sécurité publique', 'sécurité alimentaire', 'sécurité énergétique', 'sécurité des frontières' : la sécurité constitue aujourd'hui dans tous les États un Principe régulateur, c'est-à-dire, confusément et tout à la fois, un sentiment, un programme politique, des forces matérielles, une source de légitimité, un bien marchand, un service public.
Ce Principe est le fruit de quatre acceptions historiques : la sécurité comme état mental, disposition des grandes sagesses stoïciennes, épicuriennes et sceptiques à atteindre la fermeté d'âme face aux vicissitudes du monde ; la sécurité comme situation objective, ordre matériel caractérisé par une absence de dangers (c'est l'héritage du millénarisme chrétien) ; la sécurité comme garantie par l'État des droits fondamentaux de la conservation des biens et des personnes, voire comme bien public (surveillance, équilibre des forces, raison d'État et état d'exception) ; la sécurité comme contrôle des flux à notre époque contemporaine, avec ses concepts nouveaux : la 'traçabilité', la 'précaution', la 'régulation'.
Loin d'être des acceptions successives, ces dimensions sont des 'foyers de sens', toujours à l'oeuvre conjointe ? la tranquillité du Sage ne dépend plus de techniques spirituelles mais d'un bon gouvernement et d'un État fort ; les ressorts millénaristes ont été recyclés par les révolutions totalitaires du XXe siècle ; la tension s'est installée entre la sécurité policière et la sécurité juridique, entre la sécurité militaire et la sécurité policière qui prétend, à son tour, combattre 'l'ennemi intérieur' ; la biosécurité et ses logiques de sollicitations permanentes ? être toujours et partout accessible, réactif ? sont à l'opposé de l'idéal antique de la stabilité intérieure ; tandis que la sécurité du marché impose un démantèlement de l'État-providence, des politiques de santé publique et des logiques de solidarité : la sécurité-régulation se substitue à la sécurité-protection.
Pour finir, le Principe Sécurité se définit toujours par une retenue au bord du désastre.
Occupons, comme si nous étions déjà libres est le témoignage vibrant de l'incroyable résilience de notre nature démocratique et un plaidoyer sans concession en faveur d'un renouveau nécessaire de notre fonctionnement politique. Plus que jamais, la démocratie radicale, représente notre meilleur espoir de changement.
Au cours des six mois qui ont précédé l
Dormir à terre est une anthologie inédite en français des meilleures nouvelles de l auteur. Elle s efforce d offrir un éventail représentatif de l art révueltien de la nouvelle, dont le petit chefd oeuvre Dormir à terre (1959) donne une idée, tout en privilégiant un tant soit peu les textes les plus récents, leur facture étant souvent originale et même parfois franchement audacieuse : c est le cas de Hegel et moi (1973), qui met en scène, en prison, un truand assimilé au philosophe allemand par sa manière de discourir ; de Lit numéro onze (1965), qui associe l autobiographie à la fantasmagorie ; de Ezéchiel ou le massacre des innocents (1969), qui transmet une impression obscure de découragement mais laisse entrouverte une porte étroite à la lutte car il est bien précisé dans les dernières lignes que le personnage « franchit la confusion des vitres pour entrer dans le bois du monde ». Superbe manière d inscrire artistiquement, dans un de ses derniers récits, l enjeu qui a constitué la vérité première de sa biographie (la vie et l oeuvre, inséparablement). Le traducteur Philippe Chéron, auteur d une thèse sur José Revueltas, a déjà traduit trois livres de l auteur : Le Deuil humain (Gallimard, 1987), Le Mitard (Complexe, 1990) et La Rue de la solitude (Les Solitaires intempestifs, 1998). Une place à part et unique dans la littérature mexicaine. (Octavio Paz)