Contrairement à ce que l'on affirme trop souvent, les contes de fées ne traumatisent pas les jeunes lecteurs. Ils répondent de façon précise et irréfutable à leurs angoisses, en les informant des épreuves à venir et des efforts à accomplir.
Tel est en effet le postulat de ce livre majeur où Bruno Bettelheim nous éclaire sur la fonction thérapeuthique de ces contes pour l'enfant et l'adolescent jusqu'à la puberté.
Grâce à cet ouvrage, illustré d'exemples tirés d'un patrimoine sans âge, des "Mille et une nuits" aux frères Grimm, de "Cendrillon" à "Blanche-Neige" et à la "Belle au bois dormant", nous n'avons plus, nous parents, le même regard sur ces contes de fées qui offrent à nos enfants une chance de se comprendre mieux au sein du monde complexe qu'ils vont devoir affronter.
Le déboulonnage des statues au nom de la lutte contre le racisme déconcerte. La violence avec laquelle la détestation des hommes s'affiche au coeur du combat féministe interroge. Que s'est-il donc passé pour que les engagements émancipateurs d'autrefois, les luttes anticoloniales et féministes notamment, opèrent un tel repli sur soi ?
Le phénomène d'« assignation identitaire » monte en puissance depuis une vingtaine d'années, au point d'impliquer la société tout entière. En témoignent l'évolution de la notion de genre et les métamorphoses de l'idée de race. Dans les deux cas, des instruments de pensée d'une formidable richesse - issus des oeuvres de Sartre, Beauvoir, Lacan, Césaire, Said, Fanon, Foucault, Deleuze ou Derrida - ont été réinterprétés jusqu'à l'outrance afin de conforter les idéaux d'un nouveau conformisme dont on trouve la trace autant chez certains adeptes du transgenrisme queer que du côté des Indigènes de la République et autres mouvements immergés dans la quête d'une politique racisée.
Mais parallèlement, la notion d'identité nationale a fait retour dans le discours des polémistes de l'extrême droite française, habités par la terreur du « grand remplacement » de soi par une altérité diabolisée : le migrant, le musulman, mai 68, etc. Ce discours valorise ce que les identitaires de l'autre bord récusent : l'identité blanche, masculine, virile, colonialiste, occidentale.
Identité contre identité, donc.
Un point commun entre toutes ces dérives : l'essentialisation de la différence et de l'universel. Élisabeth Roudinesco propose, en conclusion, quelques pistes pour échapper à cet enfer.
« Logique du fantasme », l'expression revient tout du long du Séminaire comme un leitmotiv. Cependant, nulle leçon ne lui est consacrée, ni même un développement un peu soutenu. Est-ce à dire que la logique du fantasme joue ici le rôle d'une Arlésienne nouvelle manière ? Non, si l'on veut bien admettre que cette logique est le point de convergence des propos de Lacan, ce que j'ai voulu indiquer en intitulant le tout dernier chapitre « L'axiome du fantasme ».
C'est ainsi qu'il commence en croisant audacieusement le groupe mathématique de Klein avec le cogito cartésien, modifié de manière à délivrer l'alternative « Ou je ne suis pas, ou je ne pense pas ». D'où Lacan trouve occasion à résumer en quatre temps le cours d'une analyse.
Autre croisement mathématico-psychanalytique : l'acte sexuel éclairé à partir du Nombre d'or. Il s'ensuit qu' « il n'y a pas d'acte sexuel », amorce de ce dit devenu pont-aux-ânes : « il n'y a pas de rapport sexuel ».
On trouvera aussi l'invention d'une « valeur de jouissance », inspirée par Marx, et on aura la surprise de voir le grand Autre, « lieu de la parole », nouvellement défini comme « le corps », lieu primordial de l'écriture.
Bien d'autres vues et constructions saisissantes attendent le lecteur s'il veut bien suivre dans ses méandres, piétinements, revirements, et aussi avancées et fulgurances, une pensée obstinée et profondément honnête, qui, lorsqu'elle rencontre telle pierre d'achoppement, ne la contourne jamais, mais s'emploie à en faire une pierre angulaire.
Jacques-Alain Miller
Avant que d'être psychanalyste, Lacan a été psychiatre. On n'aurait pas republié ses premiers écrits s'ils n'invitaient à une lecture après coup. Que nous apprennent-ils de la formation du futur analyste ?
Sa clinique est enracinée dans l'unicité du cas. Celui-ci n'est jamais choisi que pour sa « singularité ». Il faut qu'il présente un « caractère original », une « atypicité ». On pourrait y reconnaître une orientation vers le « un par un » qu'impose la pratique analytique.
La singularité du cas se retrouve au niveau du détail clinique, serré avec un souci de précision poussé à l'extrême de la minutie. Lacan fera état plus tard de son goût pour « la fidélité à l'enveloppe formelle du symptôme ».
Trois autres traits font traces de l'avenir. C'est l'usage du mot de structure pour désigner l'organisation d'une entité formant un tout, et détachée de la notion de développement. C'est l'importance accordée à l'analyse des écrits des malades. Et de là, la connexion établie du symptôme à la création littéraire.
Alors que, 70 ans après sa mort, les textes de Freud tombent dans le domaine public, les éditions du Seuil ont entrepris de retraduire les plus grands d'entre eux. Sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre, ces nouvelles traductions, par leur parti-pris de lisibilité, s'adressent à l'honnête homme et non aux seuls psychanalystes. Livre monument qui n'a d'équivalent dans l'histoire de la pensée occidentale que Le Capital de Marx, L'Origine des espèces de Darwin ou La Phénoménologie de l'esprit de Hegel, L'Interprétation du rêve est LE livre de Freud.
Il connut huit éditions successives entre 1900 et 1930, chacune enrichie des lectures qu'en firent les interlocuteurs de Freud. Somme théorique, consacré à un phénomène psychique universel, il ouvrit la voie à des pratiques thérapeutiques fondées sur la parole échangée avec les patients. Ainsi naquit la psychanalyse. La présente édition s'imposera à n'en pas douter comme l'édition de référence, tant la traduction française aujourd'hui disponible (aux PUF) est décriée pour son peu de lisibilité.
La psychanalyse semble aujourd'hui être passée corps et biens dans le camp de la réaction. Outre les sorties médiatiques contre les bandes de jeunes qui ne reconnaissent plus d'autorité, le « féminisme différenciateur » ou encore une « épidémie de transgenres », c'est l'histoire révolutionnaire qui est dénigrée :
Mai 1968, qualifié de « régression annale », et la Révolution française réduite à une simple affaire oedipienne.
Contre cette entreprise de réification, qui touche la discipline psychanalytique ellemême, ce livre entend redonner leur place aux acteurs et actrices de l'histoire populaire de la psychanalyse qui ont soutenu et accompagné les mouvements révolutionnaires de leur temps en cherchant à mettre la clinique au coeur de la cité. On y découvre un Freud enthousiaste à l'annonce de la révolution de 1917, qui encourage les expériences menées par Vera Schmidt et d'autres dans la Russie bolchevique. On suit la trajectoire de Marie Langer, de la Vienne rouge à l'Argentine, qui tente de concilier son engagement féministe et marxiste avec sa pratique analytique et les contraintes de l'exil... Et celle de François Tosquelles, de la guerre d'Espagne à l'hôpital de Saint-Alban où sa rencontre avec Jean Oury symbolise celle de deux générations :
Les analystes des années 1920-30 et ceux des années 1960 qui, en France, se retrouvent au sein de la clinique de La Borde.
L'hospitalité reçue de l'École normale supérieure, un auditoire très accru indiquaient un changement de front de notre discours.
Pendant 10 ans, il avait été dosé aux capacités des spécialistes ; sans doute seuls témoins recevables de l'action par excellence que leur propose la psychanalyse, mais, aussi, bien, que les conditions de leur recrutement laissent très fermés à l'ordre dialectique qui gouverne notre action.
Nous avons mis au point un organon à leur usage, en l'émettant selon une propédeutique qui n'en avançait aucun étage avant qu'ils aient pu mesurer le bien-fondé du précédent.
C'est la présentation que nous devons renverser, nous parut-il, trouvant dans la crise moins l'occasion d'une synthèse que le devoir d'éclairer l'abrupt du réel que nous restaurions dans le champ légué par Freud à nos soins.
« La question cruciale pour le genre humain me semble être de savoir si et dans quelle mesure l'évolution de sa civilisation parviendra à venir à bout des perturbations de la vie collective par l'agressivité des hommes et leur pulsion d'autodestruction. Sous ce rapport, peut-être que précisément l'époque actuelle mérite un intérêt particulier. Les hommes sont arrivés maintenant à un tel degré de maîtrise des forces de la nature qu'avec l'aide de celles-ci il leur est facile de s'exterminer les uns les autres jusqu'au dernier. Ils le savent, d'où une bonne part de leur inquiétude actuelle, de leur malheur, de leur angoisse. Il faut dès lors espérer que l'autre des deux «puissances célestes», l'éros éternel, fera un effort pour l'emporter dans le combat contre son non moins immortel adversaire. Mais qui peut prédire le succès et l'issue ? » Sigmund Freud
Avec la sensibilité particulière qu'il avait à l'égard des souffrances de l'enfant, Ferenczi n'a eu de cesse de retrouver, enfoui dans l'adulte, l'enfant blessé, traumatisé qu'il a été. Comment le ramener dans la séance ? Comment l'entendre ? Comment le traiter ? Si Freud a révélé la part de l'infantile toujours active dans la vie psychique de l'adulte, c'est bien Ferenczi qui a développé cette idée jusque dans ses aboutissements les plus ultimes, montrant combien ces parties infantiles ne cessent d'orienter et d'animer l'existence.
Il faut avoir lu ce recueil, et dans son long, pour y sentir que s'y poursuit un seul débat, toujours le même, et qui, dût-il paraître dater, se reconnaît pour être le débat des lumières.
C'est qu'il est un domaine où l'aurore même tarde : celui qui va d'un préjugé dont ne se débarrasse pas la psychopathologie, à la fausse évidence dont le moi se fait titre à parader de l'existence.
L'obscur y passe pour objet et fleurit de l'obscurantisme qui y retrouve ses valeurs.
Nulle surprise donc qu'on résiste là même à la découverte de Freud, terme qui se rallonge ici d'une amphibologie : la découverte de Freud par Jacques Lacan.
J.L.
( Début du prière d'insérer, 1966 ) Pour la première fois en édition de poche, le texte intégral des Écrits.
« Il convient que nous nous arrêtions à ce défilé, à ce passage étroit où Freud lui-même s'arrête, et recule avec une horreur motivée. Tu aimeras ton prochain comme toi-même - ce commandement lui paraît inhumain.
Ne peut-on dire que Sade nous enseigne une tentative de découvrir les lois de l'espace du prochain comme tel ? - ce prochain en tant que le plus proche, que nous avons quelquefois, et ne serait-ce que pour l'acte de l'amour, à prendre dans nos bras. Je ne parle pas ici d'un amour idéal, mais de l'acte de faire l'amour.
Nous savons très bien combien les images du moi peuvent contrarier notre propulsion dans cet espace.
De celui qui s'y avance dans un discours plus qu'atroce, n'avons-nous pas quelque chose à apprendre sur les lois de cet espace en tant que nous y leurre la captivation imaginaire par l'image du semblable ? »
« La recherche ici entreprise implique donc le projet délibéré d'être à la fois historique et critique, dans la mesure où il s'agit, hors de toute intention prescriptive, de déterminer les conditions de possibilité de l'expérience médicale telle que l'époque moderne l'a connue. Une fois pour toutes, ce livre n'est pas écrit pour une médecine contre une autre, ou contre la médecine pour une absence de médecine. Ici comme ailleurs, il s'agit d'une étude qui essaie de dégager dans l'épaisseur du discours les conditions de son histoire. » (Michel Foucault) Naissance de la clinique constitue aussi, à travers une analyse historique et critique de la constitution du sujet, le malade, tel qu'il peut devenir objet de connaissance, la naissance d'une oeuvre philosophique qui va marquer durablement la pensée contemporaine internationale.
En plaçant l'ensemble des essais ici recueillis sous le titre du plus célèbre d'entre eux, nous croyons être fidèles à l'esprit qui les anime comme à l'objet même de la psychanalyse : l'ouverture à l'Unheimliche, à ce qui n'appartient pas à la maison et pourtant y demeure.
Cette édition reprend dans une traduction nouvelle et annotée, qui devrait être l'occasion d'une lecture neuve, les textes qui figuraient jusqu'alors dans les Essais de psychanalyse appliquée. Ils apparaissent ici, augmentés d'une étude sur l'humour, dans l'ordre chronologique de leur publication.
Freud avait un faible pour les histoires de «marieurs» dont on trouvera plusieurs échantillons savoureux dans ce livre. C'est que le Witz - le mot ou le trait d'esprit - met en rapport des choses et des pensées hétérogènes : il les condense, il les combine ou, mieux, il les marie, le plus souvent dans une mésalliance qui déclenche le rire de l'auditeur et surprend même celui qui l'énonce. Le Witz réussi a la fulgurance de l'éclair.
Le mot d'esprit est ici analysé, dans sa technique et dans ses visées, comme le furent, quelques années plus tôt, le rêve et les actes manqués. C'est qu'il est comme eux, aux yeux de Freud, une formation de l'inconscient plus qu'une production volontaire.
Le mot d'esprit ou l'esprit des mots.
« Au terme de cette enquête [.], je souhaiterais formuler le résultat suivant : dans le complexe d'oedipe se rejoignent les débuts de la religion, de la morale, de la société et de l'art, en totale concordance avec ce constat de la psychanalyse que ce complexe constitue le noyau de toutes les névroses, pour autant que notre intelligence soit parvenue à en forcer l'accès. C'est pour moi une grande surprise que même ces problèmes relatifs à la vie psychique des peuples soient susceptibles d'être résolus à partir d'un unique point concret, comme l'est le rapport au père ».
Sigmund Freud
Ce texte fondamental de Sandor Ferenczi, l'un de ses plus célèbres, est d'une terrible actualité. Car en décrivant deux processus névrotiques essentiels chez l'enfant - l'identification à l'agresseur, la prématuration psychique face à la folie adulte et au terrorisme de la souffrance -, il signe le retour en force de la théorie de la séduction, une séduction liée aux pratiques violentes et passionnelles des parents face aux besoins de tendresse physique émanant des enfants.
Gradiva, celle qui avance, tel le dieu Mars allant au combat, mais c'est ici au combat de l'amour. Et Gradiva rediviva, celle qui réapparaît à l'heure chaude de midi et qui va, non sans malice, donner vie, forme, objet au désir d'un archéologue fou.
En cette jeune fille à la démarche inimitable Freud a-t-il reconnu la jeune psychanalyse comme il a pu trouver dans Pompéi, la cité ensevelie et conservée, une métaphore exemplaire du refoulé et de son troublant retour ?
On trouvera à la fin du volume une notice sur le bas-relief qui est à l'origine de la nouvelle ainsi que trois savoureuses lettres (inédites) de Jensen en réponse aux questions indiscrètes que lui posait son interprète.
« Ne croyez pas que tant que je vivrai vous pourrez prendre aucune de mes formules comme définitive. J'ai encore d'autres petits trucs dans mon sac à malices » Parmi les petits trucs et autres malices de Jacques Lacan, il y a les apologues. L'os dans la gueule du crocodile, la moitié de poulet, la boîte à sardines, le menu chinois, le pot de moutarde, la mante religieuse, le reflet de la montagne. La « morale » de ces brefs récits est à la fois théorique et clinique, de l'os au phallus, de la moitié de poulet à la division du sujet, de la boîte à sardines à la fonction du regard, du menu chinois à la position de l'analyste, du pot de moutarde à la Chose, de la mante religieuse à l'angoisse, du reflet de la montagne à la conscience.
Autant d'apologues qui, par leur liberté, leur humour et leur valeur illustrative, témoignent du meilleur de Lacan, élégance du style et inventivité théorique.
Née de la volonté de proposer pour la première fois en France l'intégralité du texte freudien dans une nouvelle traduction, cohérente d'un volume à l'autre, et totalement fidèle à la langue freudienne, l'édition des Oeuvres complètes de Freud permet désormais de revisiter en profondeur l'Oeuvre de Freud.
C'est aujourd'hui l'édition de référence en France.
« Quand la recherche médicale sur l'âme, qui doit généralement se contenter d'un matériau humain plutôt médiocre, aborde une grande figure du genre humain, elle n'obéit pas aux mobiles que lui imputent si fréquemment les profanes. Elle ne cherche pas à «noircir ce qui rayonne et à traîner le sublime dans la boue» ; elle n'éprouve aucune satisfaction à réduire la distance entre cette perfection et l'insuffisance de ses objets ordinaires. Bien au contraire, tout ce qu'il est possible d'observer chez ces grands modèles lui semble mériter d'être un objet d'étude et d'intelligence, et elle pense que personne n'est si grand qu'il puisse être infamant pour lui d'obéir aux lois régissant avec la même rigueur conduite normale et conduite morbide. »
L'enseignement de Jacques Lacan a eu lieu en Séminaires de 1951 à 1980. " Je n'aurais manqué un Séminaire pour rien au monde " a déclaré Philippe Sollers. Pour que tous, ceux qui y étaient eux aussi comme ceux qui n'y étaient pas, nous puissions profiter de la parole du grand psychanalyste, Jacques-Alain Miller s'emploie à faire revivre cette voix en détordant et éclairant la phrase de Lacan. Cela devra donner existence à 25 livres dont 15 ont jusqu'ici été publiés aux Éditions du Seuil. Voilà le seizième, le Séminaire 6 qui correspond à l'année 1958-1959 ; " Nous allons parler cette année du désir et de son interprétation " ainsi débute ce livre. Le Séminaire, livre VI est composé de vingt-sept chapitres, eux-mêmes répartis en quatre parties que sont : " Du désir dans le rêve ", " Sur un rêve analysé par Ella Sharpe ", " Sept leçons sur Hamlet " et " La dialectique du désir ".
Quand j'ai résolu d'aborder cette année devant vous la question du Witz ou du Wit, j'ai commencé un petite enquête. Il n'y a rien d'étonnant à ce que je l'aie commencée en interrogeant un poète. C'est un poète qui introduit dans sa prose comme aussi bien dans des formes plus poétiques, la dimension d'un esprit spécialement danseur qui habite son oeuvre, et qu'il fait jouer même quand il parle à l'occasion de mathématiques, car il est aussi un mathématicien. J'ai nommé ici Raymond Quencau. Alors que nous échangions là-dessus nos premiers propos, il m'a raconté une histoire. C'est une histoire d'examen, de baccalauréat si vous voulez. Il y a le candidat, il y a l'examinateur.
- Parlez-moi, dit l'examinateur, de la bataille de Marengo.
Le candidat s'arrête un instant, l'air rêveur - La bataille de Marengo...?
Des morts ! C'est affreux... Des blessés ! C'est épouvantable...
- Mais, dit l'examinateur, ne pourriez-vous me dire sur cette bataille quelque chose de plus particulier ?
Le candidat réfléchit un instant, puis répond - Un cheval dressé sur ses pattes de derrière, et qui hennissait.
L'examinateur surpris, veut le sonder un peu plus loin et lui dit - Monsieur dans ces conditions voulez-vous me parler de la bataille de Fontenoy ?
- La bataille de Fontenoy ?... Des morts ! Partout... Des blessés ! Tant et plus, une horreur...
L'examinateur intéressé, dit - Mais monsieur, pourriez-vous me dire quelque indication plus particulière sur cette bataille de Fontenoy ?
- Ouh ! dit le candidat, un cheval dressé sur ses pattes de derrière, et qui hennissait.
L'examinateur, pour manoeuvrer, demande au candidat de lui parler de la bataille de Trafalgar. Celui-ci répond - Des morts ! Un charnier... Des blessés ! Par centaines...
- Mais enfin monsieur, vous ne pouvez rien me dire de plus particulier sur cette bataille ?
- Un cheval...
- Pardon, monsieur, je dois vous faire observer que la bataille de Trafalgar est une bataille navale.
- Ouh ! Ouh ! dit le candidat, arrière cocotte !
La valeur de cette histoire est à mes yeux de permettre de décomposer, je crois, ce dont il s'agit dans le trait d'esprit.
(Extraits du chapitre VI)
Freud parle d'être « analysé à fond ». Qu'est-ce que cela veut dire ? La question a toujours été une pomme de discorde, la bouteille à l'encre, voire le pot-au-noir.
En fait, pour FREUD, toute analyse est vouée à achopper sur une impasse, la rencontre d'un réel immuable. En revanche, selon LACAN, une passe est possible : une cure peut trouver une fin qui ne soit pas un simple satisfecit que l'analyste et l'analysant se décerneraient mutuellement, ni un abandon, une lassitude ou une insurrection, mais une conclusion d'ordre logique. S'ensuit une procédure en chicane, destinée à vérifier que la passe a bel et bien été trouvée par l'analysant.
Lacan batailla dur pour faire adopter la passe par ses élèves. Après sa mort, la plupart s'empressèrent de passer ladite passe par-dessus bord. Elle fut sauvée des eaux par l'École de la Cause freudienne et, par le canal de l'Association mondiale de psychanalyse, elle se répandit à travers l'Europe et en Amérique latine.
Encore fallait-il reconstituer le plan du labyrinthe et procéder à un nouveau réglage de l'opération. J'ai pris part à cette tâche par une suite de textes ici offerts au public. Sont-ils de nature à élucider les multiples paradoxes de la passe ? Je le crois. - JAM Jacques-Alain Miller, psychanalyste membre de l'École de la Cause freudienne, fondateur de l'Association mondiale de psychanalyse.
- Le Séminaire XIX fait couple avec le précédent, le Séminaire XVIII ( D'un discours qui ne serait pas du semblant, 2007) : même formalisation pour structurer le même rapport sexuel, qui n'existe pas dans l'espèce humaine. En fait, les hommes et les femmes sont comme deux races distinctes, ayant chacune son mode de jouir et sa façon d'aimer. Du côté femme, pas de limite : l'infini est là. Du côté homme, il y en a toujours au moins un qui dit non : une exception fonctionne, moyennant quoi il y a, corrélativement, un tout : il y a le " tous les hommes ", le règne de l'universel, l'univers de la règle, le respect de la loi, la solidarité des tous pareils, la révérence pour le chef (lui non châtré), la mise en ordre, en rangs, l'armée, " je ne veux voir qu'une seule tête ", l'uniforme et l'uniformité, la bureaucratie, ennui, obsession, " je suis maître de moi comme de l'univers ", dépression... Côté femme, le divin " pas-tout " : il n'y a pas " toutes les femmes ", elles se prennent une par une, elles s'énumèrent, " mille e tré ", chacune est Autre, aucune n'est toute, toutes sont folles (ne respectent rien), pas folles du tout (pas obnubilées par les semblants), l'Éternel Féminin n'attire nullement vers en-haut, mais vous plaque ici-bas, au service de sa jouissance, insituable, insatiable...Texte établi par Jacques-Alain Miller - Jacques Lacan (1901-1981) est une figure incontournable de la psychanalyse, qui a marqué le paysage intellectuel français et international. Son oeuvre, en grande partie constituée par son enseignement - le Séminaire -, est publiée aux Editions du Seuil.