Cortège [...] Un jour Un jour je m'attendais moi-même Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes Pour que je sache enfin celui-là que je suis Moi qui connais les autres Je les connais par les cinq sens et quelques autres Il me suffit de voir leurs pieds pour pouvoir refaire ces gens à milliers De voir leurs pieds paniques un seul de leurs cheveux Ou leur langue quand il me plaît de faire le médecin Ou leurs enfants quand il me plaît de faire le prophète Les vaisseaux des armateurs la plume de mes confrères La monnaie des aveugles les mains des muets Ou bien encore à cause du vocabulaire et non de l'écriture Une lettre écrite par ceux qui ont plus de vingt ans Il me suffit de sentir l'odeur de leurs églises L'odeur des fleuves dans leurs villes Le parfum des fleurs dans les jardins publics O Corneille Agrippa l'odeur d'un petit chien m'eût suffi Pour décrire exactement tes concitoyens de Cologne Leurs roismages et la ribambelle ursuline Qui t'inspirait l'erreur touchant toutes les femmes Il me suffit de goûter la saveur du laurier qu'on cultive pour que j'aime ou que je bafoue Et de toucher les vêtements Pour ne pas douter si l'on est frileux ou non O gens que je connais Il me suffit d'entendre le bruit de leurs pas Pour pouvoir indiquer à jamais la direction qu'ils ont prise Il me suffit de tous ceux-là pour me croire le droit De ressusciter les autres Un jour je m'attendais moi-même Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes [...]
« Poésie/Gallimard » est une collection au format poche de recueils poétiques français ou traduits. Chaque volume rassemble des textes déjà parus en édition courante - tantôt du catalogue Gallimard, tantôt du fonds d'autres éditeurs -, souvent enrichis d'une préface et d'un dossier documentaire inédits. Élégant viatique pour les amateurs de poésie, la collection offre des éditions de référence, pratiques et bon marché, pour les étudiants en lettres. Aujourd'hui dirigée par André Velter, poète, voyageur et animateur de plusieurs émissions sur France Culture, la collection reste fidèle à sa triple vocation : édition commentée des « classiques », sensibilité à la création francophone contemporaine (Guy Goffette, Ghérasim Luca, Gérard Macé, Gaston Miron, Valère Novarina...) et ouverture à de nombreux domaines linguistiques (le Palestinien Mahmoud Darwich, le Libanais d'origine syrienne Adonis, le Tchèque Vladimír Holan, le Finnois Pentti Holappa, le Suédois Tomas Tranströmer et récemment l'Italien Mario Luzi, deux mois seulement après sa disparition...).
Le désordre somptueux d'une passion exotique, éclat d'un météore, selon Mallarmé; un ange en exil aux yeux d'un bleu pâle inquiétant, pour Verlaine. Un «éveil génial», et c'est Le Bateau ivre, une «puberté perverse et superbe», puis un jeune homme brièvement «ravagé par la littérature», le maître d'une «expression intense» aux sujets inouïs - tout cela dans un mince volume, dû au poète touché, puis déserté, par le génie, «aventure unique dans l'histoire de l'art».
L'huître L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir:il faut alors la tenir au creux d'un torchon, se servir d'un couteau ébréché et peu franc, s'y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles:c'est un travail grossier. Les coups qu'on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d'une sorte de halos. À l'intérieur l'on trouve tout un monde, à boire et à manger:sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d'en-dessus s'affaissent sur les cieux d'en-dessous, pour ne plus former qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l'odeur et à la vue, frangé d'une dentelle noirâtre sur les bords. Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d'où l'on trouve aussitôt à s'orner.
«Les Lettres à un jeune poète sont tout autant des lettres écrites par un jeune poète - Rilke a vingt-sept ans lorsqu'il répond pour la première fois, trente-deux ans lorsqu'il écrit la dernière lettre publiée - à un jeune homme dont la figure précise reste dans l'ombre de sorte qu'il devient, pour ainsi dire, l'éponyme, moins d'un âge, que d'une période de la vie, définie par un type de dilemmes. La force de ces lettres et leur très vaste lectorat tient d'abord à ceci que ce qu'on lit dans les réponses de Rilke prend un tour quasi universel en même temps qu'il y a suffisamment d'indications particulières pour ancrer la personne de Franz Kappus dans une réalité individuelle. C'est que ce dernier traverse ce moment inévitable, mais irréductiblement singulier dans l'expérience, au cours duquel chacun s'efforce de passer vers le monde adulte et de parvenir à être enfin vraiment soi-même:Ne vous laissez pas troubler dans votre solitude par le fait que quelque chose en vous cherche à s'en évader. C'est précisément ce désir qui, pourvu que vous en tiriez parti calmement, à la façon d'un outil, et sans vous laisser dominer par lui, peut vous aider à étendre votre solitude à de vastes domaines [...]. Mais l'apprentissage est toujours une période longue et close... Par la suite, Kappus a voulu, avec beaucoup de justesse et d'exactitude dans la reconnaissance, rendre hommage à celui qui, à ce moment-là, lui a permis d'accomplir ce passage.» Marc B. de Launay.
« La coïncidence entre le besoin de projeter ses plus libres fantasmes et, d'autre part, celui d'une "technique poétique" font de Desnos un poète de la surréalité, et donc de la modernité, en même temps qu'un poète qui se rattache à une tradition, celle des grands baroques. C'est là peut-être l'originalité de cette voix si douée qui, avec ses intempérances et ses turbulences, ses écarts, ses inégalités, mais toujours son intensité, est une de celles qui nous forcent le plus manifestement à reconnaître la présence de cette chose spécifique, irréductible, qui s'appelle la poésie. Au reste, et c'est ce qu'il faut dire encore, cette voix était celle d'un homme chez qui le besoin d'expérimenter sous toutes ses formes le langage poétique, allait naturellement avec celui d'expérimenter la vie sous toutes ses formes aussi ; d'un homme qui était plein de passion, curieux et joueur de tout, courageux, généreux et imprudent ; et qui est mort à quarante-cinq ans, dans les circonstances que l'on sait, d'avoir eu ce goût violent de la vie, et donc de la liberté, et d'avoir voulu le pousser jusqu'à ses dernières extrémités. » René Bertelé.
Collection « Classiques » dirigée par Michel Zink et Michel Jarrety Victor Hugo Les Contemplations Les Contemplations, que Hugo fait paraître en 1856, sont à un double titre marquées par la distance et la séparation : parce que le proscrit qui, dans Châtiments, vient de fustiger Napoléon III, est en exil à Guernesey ; mais aussi parce que le recueil, en son centre, porte la brisure du deuil, et ses deux parties - « Autrefois », « Aujourd'hui » - sont séparées par la césure tragique de l'année 1843 où Léopoldine, la fille de Hugo, disparut noyée. La parole poétique prend naissance dans la mort, et « ce livre », nous dit l'écrivain, « doit être lu comme on lirait le livre d'un mort ».
Mais Les Contemplations construisent aussi une destinée. Il se peut qu'elle emprunte à la biographie de l'écrivain ; on se tromperait pourtant à la confondre avec la sienne. Car si le lyrisme de Hugo touche à l'universel, c'est que le poète précisément dépouille ici l'écorce individuelle pour atteindre à l'intime : le sien propre et celui du lecteur qui saura ainsi se retrouver dans le miroir que lui tendent ces Mémoires d'une âme.
Edition de Ludmila Charles-Wurtz.
«Dans une lettre adressée à André Billy pour le remercier d'un compte rendu, Apollinaire déclarait :
"Quant aux Calligrammes, ils sont une idéalisation de la poésie vers-libriste et une précision typographique à l'époque où la typographie termine brillamment sa carrière, à l'aurore des moyens nouveaux de reproduction que sont le cinéma et le phonographe." Certes la carrière de la typographie, en donnant à ce mot son acception la plus large et en y intégrant tous les perfectionnements récents qu'Apollinaire ne connaissait pas : linotype, lumitype, etc., est bien loin d'être terminée, pourtant, près de cinquante ans plus tard (quand on lit ces textes si frais, on a peine à croire qu'ils ont été composés il y a déjà si longtemps), sa vision nous apparaît comme prophétique. [...] L'intérêt que, dès sa jeunesse, Apollinaire avait marqué pour les caractères cunéiformes et chinois, la sensibilité qu'il avait pour les vieux beaux livres du Moyen Âge ou de la Renaissance, lui ont permis de sentir d'emblée ce qu'il y avait de décisif dans l'introduction flagrante de lettres et de mots dans leurs tableaux par les cubistes, et à l'interpréter dans le contexte de cette révolution culturelle en train de s'esquisser.
Le recueil projeté d'idéogrammes lyriques mis en souscription en 1914 et qui devait comprendre tous les calligrammes figuratifs de la première section de notre recueil "Ondes" (terme que la "Lettre-Océan" nous oblige à interpréter comme désignant avant tout les ondes de la radio), était, comme en témoigne son titre "Et moi aussi je suis peintre", une réponse poétique à la prise de possession de la lettre et du mot par la peinture cubiste, mais dès le "Bestiaire ou Cortège d'Orphée" de 1911 on voit posé de la façon la plus franche le problème du rapport entre le poème, son illustration et la page.».
Michel Butor.
Né il y a trois siècles au Japon, le haiku est la forme poétique la plus courte du monde. Art de l'ellipse et de la suggestion, poème de l'instant révélé, il cherche à éveiller en nous une conscience de la vie comme miracle. De Bashô jusqu'aux poètes contemporains, en passant par Buson, Issa, Shiki et bien d'autres, Haiku est la première anthologie à présenter un panorama complet de ce genre littéraire, en lequel on a pu voir le plus parfait accomplissement de l'esthétique japonaise.
« Pourquoi aimons-nous le haiku ? » interrogent les préfaciers de ce livre. « Sans doute pour l'acquiescement qu'il suscite en nous, entre émerveillement et mystère. Le temps d'un souffle (un haiku, selon la règle, ne doit pas être plus long qu'une respiration), le poème coïncide tout à coup avec notre exacte intimité, provoquant le plus subtil des séismes. Sans doute, aussi, parce qu'il nous déroute, parce qu'il nous sort de notre pli, déchirant une taie sur notre regard, rappelant que la création a lieu à chaque instant. Peut-être, enfin, parce qu'il sait pincer le coeur avec légèreté. Rien de pesant, rien de solennel, rien de convenu. Juste un tressaillement complice. Une savante simplicité. »
J'ai vu les plus grands esprits de ma génération détruits par la folie, aff amés hystériques nus... Ainsi commence l'un des plus célèbres poèmes du canon littéraire américain : Howl, long cri de rage, d'amour, de désir et de détresse. Nous sommes en 1956, dans une Amérique encore corsetée par les valeurs puritaines, et ce texte incendiaire va attirer à son auteur, Allen Ginsberg, trente ans à peine, les foudres de la censure et de la justice ; mais il va aussi l'imposer du jour au lendemain comme l'un des plus grands poètes de son temps. Par sa puissance incantatoire, sa charge politique, son lyrisme jazz et son audace formelle, Howl donne le coup d'envoi d'une véritable révolution littéraire qui va accompagner les grands bouleversements des années 1960.
Près de sept décennies plus tard, ce poème halluciné n'a rien perdu de sa force, bien au contraire, et cette nouvelle traduction française en fait entendre à merveille tous les accords convulsifs, la beauté mêlée à la fange, l'amour à la violence, le sublime au chaos. Hymne de toute une génération, Howl s'inscrit ainsi défi nitivement dans l'histoire de la littérature comme une oeuvre intemporelle, dont la lecture est à chaque fois un choc et une redécouverte éblouissante.
« Autant que le permettent les lois de la création littéraire, les Petits Poèmes en prose marquent un commencement absolu. Ils soutiennent tout un système généalogique dont on dessine les branches maîtresses quand on cite le premier livre des Divagations, les Illuminations et les Moralités légendaires : le foisonnement ultérieur est infini. Il semble que Baudelaire ait eu lui-même conscience d'avoir ouvert par cette extrême expérience une route que l'on dût, après lui, nécessairement emprunter. Du moins, entendait-il qu'on lui rapportât le mérite de l'avoir frayée. Il mandait à Arsène Houssaye, dans un billet de 1861 : "Je me pique qu'il y a là quelque chose de nouveau, comme sensation ou comme expression" - et dans sa dédicace au même, il se défendait, tout en jouant le dépit, d'avoir simplement imité la technique d'Aloysius Bertrand. Enfin, dans sa Correspondance, il mettait l'accent sur le caractère de "singularité" radicale, pour ne pas dire : "répulsive", des "bagatelles laborieuses", dont il sentait qu'en matière de poésie elles constitueraient son dernier mot. »
Georges Blin.
Ce recueil est un modèle de complicité artistique, les deux auteurs engendrant une oeuvre qui exige que les dessins de l'un et les poèmes de l'autre demeurent indissociables. Renversant l'ordre habituel des choses, Paul Éluard avait d'ailleurs tenu à préciser sur la page de titre du manuscrit de travail des Mains libres que c'était lui, le poète, qui avait « illustré » les dessins de Man Ray. En fait d'illustrations, les textes entrent plutôt en résonance intuitive avec les propositions graphiques : on dirait face à face des traits et des mots qui, tous, ont finalement fonction d'embarcadères et prennent un malin plaisir à jouer de l'égarement ou à décupler les destinations imprévues.
Toutes les pages de ce livre témoignent d'une intuition active et partagée, toujours en mouvement, toujours éclairante. Deux artistes, avec leurs armes propres, y découvrent leur champ commun. Ils ont les mains libres, mais avec, en plus, le bonheur d'être ensemble.
" et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n'est pas en nous, mais au-dessus de nous, dans une voix qui vrille la nuit et l'audience comme la pénétrance d'une guêpe apocalyptique.
Et la voix prononce que l'europe nous a pendant des siècles gavés de mensonges et gonflés de pestilences, car il n'est point vrai que l'oeuvre de l'homme est finie, que nous n'avons rien à faire au monde, que nous parasitons le monde mais l'oeuvre de l'homme vient seulement de commencer et il reste à l'homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l'intelligence, de la force et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu'a fixée notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite ".
La réédition du cahier d'un retour au pays natal, la première oeuvre d'aimé césaire, saluée depuis l'origine comme le texte fondamental de la génération de la négritude.
«André Breton, parmi tous les poètes vivants, est certainement le plus grand. Cela ne fait aucun doute pour tous ceux qui, ayant lu Novalis, Nerval, Rimbaud, Lautréamont, Apollinaire, ont découvert dans la poésie la plus complète recréation possible de l'être humain. Cela ne fait aucun doute pour tous ceux qui reconnaissent la poésie comme une révolution qui se décide minute par minute, partout où elle se manifeste librement et sans limites. Cela ne fait aucun doute pour tous ceux qui refusent de compartimenter la poésie selon les fichiers des historiens et des professeurs, et qui, dans l'amour, dans l'érotisme, dans l'action politique, dans la vie quotidienne, dans le raisonnement et dans le rêve, ressentent le besoin fondamental de tout déborder, de tout faire éclater, de tout surmonter, de tout réinventer. Cela ne fait aucun doute, enfin, pour tous ceux qui savent retrouver dans une page des Vases Communicants, par exemple la page 124 de la dernière édition, la même pensée, la même vie, oui, exactement la même pensée et la même vie, pour tout dire la même exigence et le même risque, que dans Il y aura une fois, la stupéfiante préface au Revolver à cheveux blancs, ou dans n'importe quel poème de Clair de Terre.» Alain Jouffroy, 3 juillet 1966.
«On a dit que Dada débouchait sur le "néant". C'est mal voir et comprendre Dada en même temps que Tzara : le mouvement et les oeuvres établissent le "chaos". Devant un monde dont l'ordre était inacceptable, il fallait dresser les leçons de l'extrême désordre. Cela se fit, par Tzara, de Zurich à Saint-Julien-le-Pauvre.
Ce que Tristan Tzara, venu de Roumanie, avait dans le coeur lors des premières manifestations du cabaret Voltaire, et qu'il conservera jusqu'à la fin sous la tente à oxygène, c'est la volonté d'une écriture capable de ne plus mentir :
Nous avons déplacé les notions et confondu leurs vêtements avec leurs noms / aveugles sont les mots qui ne savent retrouver que leur place dès leur naissance / leur rang grammatical dans l'universelle sécurité / bien maigre est le feu que nous crûmes voir couver en eux dans nos poumons / et terne est la lueur prédestinée de ce qu'ils disent...
Ces vers qui sont dans L'Homme approximatif soulignent à merveille ce long effort, cette ascèse, ce renfermement de deux années, bref, la vocation, la destination et la signification de ce poème ininterrompu. Il est juste de marquer que ce chef-d'oeuvre - si l'on veut à toute force mettre des étiquettes périssables sur des événements qui ne le sont pas - est chef-d'oeuvre, manifestement, du surréalisme. Cette affirmation juste est cependant une constatation fort banale. Je m'explique : dans ce tournant qui va de Dada au surréalisme, il n'y a pas, chez Tristan Tzara, rupture ou déchirement. Les mille anecdotes de la petite histoire littéraire (et qui ont leur importance) auraient tendance à nous cacher l'essentiel, qui est que Tzara, obéissant à cette logique supérieure qui n'est plus la logique commune, à cette raison autre qui n'est plus captive des infortunes du rationalisme étroit, poursuit - beaucoup plus solitaire que les documents ne le donnent à penser -, sa propre route. Il vient, hier, de tordre le cou à l'écriture, de la briser comme une canne en cent éclats sur son genou. Il a démontré les impostures du langage, les ridicules du poème, les vanités de l'apparat critique. Voilà qui est fait. La page est enfin blanche, et tellement qu'elle n'est plus une feuille de papier, mais une feuille d'arbre, un arbre, une main, une femme, un oiseau, la nuit. On écrit avec tout sur tout, voici la leçon. C'est alors, et dans ce temps, que Tzara se met à L'Homme approximatif, inventant l'écriture dans une autre langue que celle dont nous sommes couverts...».
Hubert Juin.
«Raréfiée et d'une modestie d'avoine folle, l'oeuvre poétique de Péret, qui est considérable, n'a jamais attiré l'immense public d'un Eluard et d'un Prévert, auxquels il est à plus d'un titre supérieur. Péret, qui n'attribuait aucun prix à ce qu'il écrivait, était pourtant un homme épris de toutes les exigences du coeur et de la morale, l'exégète fervent de l'amour sublime, le traqueur tenace et admiratif des contes et rites lointains, le polémiste intransigeant des luttes politiques et syndicales. Dans ses essais, préfaces et pamphlets, c'était un esprit acéré et délicat, lucide et rigoureux, un analyste fin et inlassable, mais cette passion et cette dévotion, il les consacrait à autrui. Dès que sa poésie à lui était en cause, il n'était plus conscient des lois physiques ou intellectuelles de l'écriture, il devenait vacant et disponible, totalement étranger à tout ce qui avoisine une vanité, ou un amour-propre d'auteur. Son Je était si magnifiquement un autre qu'à l'adresse:Péret, poète, il eût sans doute répondu antimilitairement par:inconnu au bataillon.»Robert Benayoun.
Ce poème s'appelle « Roman » : c'est qu'il est un roman, au sens ancien du mot, au sens des romans médiévaux ; et surtout parce que, malgré le caractère autobiographique, ce poème est plus que le récit - journal ou mémoires - de la vie de l'auteur, un roman qui en est tiré.
Il faut le lire dans le contexte de l'oeuvre d'Aragon. Il s'agissait ici d'éviter les redites : on n'y trouvera pas le côté politique des Yeux et la Mémoire ou les heures de la Résistance de La Diane française ou du Musée Grévin. Le domaine privé, cette fois, l'emporte sur le domaine public. Même si nous traversons deux guerres, et le surréalisme, et bien des pays étrangers.
Poème au sens des Yeux et la Mémoire, ce Roman inachevé ne pouvait être achevé justement en raison de ces redites que cela eût comporté pour l'auteur. Peut-être la nouveauté de ce livre tient-elle d'abord à la diversité des formes poétiques employées. Diversité des mètres employés qui viendra contredire une idée courante qu'on se fait de la poésie d'Aragon.
Il semble que, plus que le pas donné à telle ou telle méthode d'écriture, Aragon ait voulu marquer que la poésie est d'abord langage, et que le langage, sous toutes ses formes, a droit de cité dans ce royaume sans frontières qu'on appelle la poésie.
Plus que jamais, ici, l'amour tient la première place.
Si toute l'oeuvre de Jean Genet peut être qualifiée de «poétique», l'auteur de Notre-Dame-des-Fleurs et des Paravents n'a composé que quelques poèmes, tous écrits dans la première période créatrice de sa vie, entre 1942 et 1947.
C'est en prison, provoqué par des camarades de cellule qui s'essayaient à imaginer de médiocres pièces sentimentales, que Genet rédigea les strophes du Condamné à mort et la dédicace en prose à Maurice Pilorge. En prison aussi qu'il écrit Marche funèbre, La galère, La parade. Ces poèmes s'apparentent d'ailleurs à des chefs-d'oeuvre de prisonniers, dont la seule possibilité est de fabriquer des ex-votos ou de construire un bateau toutes voiles dehors dans une bouteille.
Une différence majeure s'impose pourtant, qui tient à l'époustouflante maîtrise de Genet quant au maniement de la langue et à la faculté qu'il semble avoir de versifier comme en se jouant. Le voyou entend, et il l'a souvent proclamé, user de tout l'attirail classique et de toutes les séductions afférentes, afin d'en pervertir plus radicalement les valeurs et les pompes. La grâce qui hante les poèmes de Genet est celle d'un ange qui s'est volontairement dévoyé. D'où le charme trouble et violent, la fascination séditieuse et irrécupérable qui émanent de ces pages.
Cette édition des poèmes de Jean Genet inclut Le funambule, magnifique texte, véritable poème en prose, qui trouve ici sa place, comme en point d'orgue de l'oeuvre poétique donnée dans son entier.
C'est peut-être le recueil où apparaît avec le plus d'ampleur le thème essentiel de l'oeuvre d'Henri Michaux : le refus de la réalité quotidienne - « sa défaite : le quotidien » - et la revendication d'« autre chose ». Cet autre chose souvent proposé, on le sait, sous la forme de situations imaginaires qui témoignent chez le poète du constant besoin d'inventer. Tantôt avec les couleurs apparemment légères de l'humour, tantôt avec celles d'une angoisse existentielle que l'humour ne parvient plus à cacher. Toujours, il est vrai, d'un « lointain intérieur », c'est-à-dire de ces confins du subconscient que Michaux ne se lasse pas d'explorer.
À une autre distance, dirait-on, et sous une forme plus familière qui nous montre que ce poète peut être un merveilleux conteur, son imagination a projeté un personnage, « Plume ». À travers les aventures à la fois plaisantes et amères dont il est le héros, Plume est bien ce que les Histoires de la littérature appellent un « type » : un homme dans l'embarras, singulièrement, toujours malmené et mal reçu, parce qu'inadapté aux exigences sociales. C'est le « coupable-né », celui qui, en toutes circonstances, « n'a pas suivi l'affaire » et se refuse à la suivre. Mythe très représentatif d'une époque où le social est particulièrement contraignant - ce qui lui donne sa dimension.
Le cinéaste Jean-Luc Godard est mort le 13 septembre 2022. Il avait publié sept livres aux éditions P.O.L, dont six livres de « phrases » qui proviennent de ses six films éponymes : JLG/JLG, autoportrait de décembre (1996), For Ever Mozart (1996), Allemagne neuf zéro (1998), 2 x 50 ans de cinéma français avec Anne- Marie Miéville (1998), Les enfants jouent à la Russie (1998), et Éloge de l'amour (2001).
Ce volume exceptionnel reprend en format poche l'intégralité de ces six livres construits avec ce qui se dit, se pense dans ces films. C'est le « découpage dialogué » de chaque film : succession de phrases, d'aphorismes, sentences, histoires brèves, citations, qui font littéralement lever les images, les bruits, la musique des films, et en font résonner la parole heurtée. Pour Godard, phraser, c'était jouer en mettant en évidence - par des respirations - le développement d'une ligne mélodique. « Ce sont des sons et des phrases, qui correspondent à un type de diction, le mien », expliquait-il.
« Le montage de citations, d'aphorismes godardiens et d'incidentes extraites du déroulement des films font de JLG/JLG et For Ever Mozart, les livres, des oeuvres à part entière, distinctes des films qui leur ont donné naissance. [...] Chacun y trouvera ou retrouvera, au détour d'une colonne, quelques très indispensables détonateurs de la pensée - ne serait-ce que, dans JLG/JLG, l'admirable réflexion sur l'Europe, la culture et l'art. ».
Le Monde, 6 décembre 1996
«Le plus grand plaisir qui soit après amour, c'est d'en parler.» Nul n'en a mieux parlé, et plus intensément, que cette «Belle Cordière» dont le Débat, les Élégies et même les Sonnets sont encore injustement méconnus. Ses contemporains ne s'y sont pourtant pas trompés, qui avaient vu en elle une autre Sapho, capable de créer un nouveau langage poétique.
Cette édition moderne des OEuvres complètes (la seule à comprendre les Écrits de l'originale) permettra de jeter un regard neuf sur l'un des plus grands poètes de la Renaissance.
Boris Vian Je voudrais pas crever Je voudrais pas crever, poème d'un homme jeune qui se sait bientôt condamné, donne son titre à un recueil de vingt-trois poèmes publiés après la mort de Boris Vian (1920-1959), et dont l'édition de 1962 a marqué, avec quelques romans et nouvelles, le début de sa gloire posthume. N'était-ce point d'ailleurs une sorte de «chanson du néant»oe Lorsque Noël Arnaud offrit à son tour l'édition de 1972, il y joignit quelques lettres de Vian au Collège de 'Pataphysique, l'institution pour laquelle celui-ci s'enthousiasma, passion qui venait après tant d'autres et qui avaient brûlé sa vie, telles que l'amour et l'amitié, le jazz, l'écriture, la liberté.
Walt Whitman, l'homme de l'espace américain, l'homme du surgissement, du déferlement vocal, du souffle porté à sa plus vaste amplitude, cet homme-là se dresse à jamais avec ses cris, ses rages, ses ferveurs. Tant d'énergie brute, tant de puissante naïveté, tant d'intuitions sonores ne cessent d'activer le coeur, d'exalter le corps. C'est la chance d'un bain de houle, avec en plus cette joie singulière, hérétique en poésie, de voguer gaillardement sur de bons sentiments. Whitman porte et emporte, provoque, prend par le bras, allonge le pas, amplifie l'écho et révèle à chacun sa voix d'homme.
« Solitaire américain poussé comme un gratte-ciel dans un désert inculte de maisons à bas étages », selon Jacques Darras, Walt Whitman apparaît bien aujourd'hui à cette place de guetteur : il respire haut, il voit loin, il préfigure un monde fraternellement habitable.
« Je connais le fond, dit-elle. Je le connais par ma grande racine :
Qu'est-ce qui vous fait peur ?
Moi je n'ai pas peur : je suis allée là-bas.
Est-ce la mer que vous entendez en moi, ses insatisfactions ?
Ou la voix du rien qui fut votre folie ?
J'ai souffert l'atrocité des soleils couchants, Écorchée jusqu'à la racine Mes fibres rouges brûlent et se crispent, une poignée de barbelés.
Je suis habitée par un cri.
Chaque nuit il sort à tire d'aile Cherchant, de ses crochets, quelque chose à aimer.
Je suis terrifiée par cette chose sombre Qui dort en moi ;
Tout le jour je sens ses manèges, doux et feutrés, sa malveillance.
Des nuages passent et se dissipent.
Seraient-ce les visages de l'amour, leur pâleur irrémédiable ?
Est-ce pour cela que je me bouleverse le coeur ? » S. P.