Le deuxième tome de À la recherche du temps perdu, dans son édition intégrale la plus compacte.
Ce volume contient Autour de Mme Swann et Nom de pays : le pays. Dans ce tome le narrateur devenu adolescent fait l'expérience, souvent douloureuse, de ses premiers émois artistiques et amoureux.
«- Monsieur, je vous jure que je n'ai rien dit qui pût vous offenser.
- Et qui vous dit que j'en suis offensé, s'écria M. de Charlus avec fureur en se redressant violemment sur la chaise longue où il était resté jusque-là immobile, cependant que, tandis que se crispaient les blêmes serpents écumeux de sa face, sa voix devenait tour à tour aiguë et grave comme une tempête assourdissante et déchaînée... Pensez-vous qu'il soit à votre portée de m'offenser ? Vous ne savez donc pas à qui vous parlez ? Croyez-vous que la salive envenimée de cinq cents petits bonshommes de vos amis, juchés les uns sur les autres, arriverait à baver seulement jusqu'à mes augustes orteils ?»
«Les parties blanches de barbes jusque-là entièrement noires rendaient mélancoliques le paysage humain de cette matinée, comme les premières feuilles jaunes des arbres alors qu'on croyait encore pouvoir compter sur un long été, et qu'avant d'avoir commencé d'en profiter on voit que c'est déjà l'automne. Alors moi qui depuis mon enfance, vivant au jour le jour et ayant reçu d'ailleurs de moi-même et des autres une impression définitive, je m'aperçus pour la première fois, d'après les métamorphoses qui s'étaient produites dans tous ces gens, du temps qui avait passé pour eux, ce qui me bouleversa par la révélation qu'il avait passé aussi pour moi. Et indifférente en elle-même, leur vieillesse me désolait en m'avertissant des approches de la mienne.»
«Quel que fût le point qui pût retenir M. de Charlus et le giletier, leur accord semblait conclu et ces inutiles regards n'être que des préludes rituels, pareils aux fêtes qu'on donne avant un mariage décidé. Plus près de la nature encore - et la multiplicité de ces comparaisons est elle-même d'autant plus naturelle qu'un même homme, si on l'examine pendant quelques minutes, semble successivement un homme, un homme-oiseau ou un homme-insecte, etc. - on eût dit deux oiseaux, le mâle et la femelle, le mâle cherchant à s'avancer, la femelle - Jupien - ne répondant plus par aucun signe à ce manège, mais regardant son nouvel ami sans étonnement, avec une fixité inattentive, jugée sans doute plus troublante et seule utile, du moment que le mâle avait fait les premiers pas, et se contentant de lisser ses plumes.»
HAMLET Voici l'heure sinistre de la nuit, L'heure des tombes qui s'ouvrent, celle où l'enfer Souffle au-dehors sa peste sur le monde.
Maintenant je pourrais boire le sang chaud Et faire ce travail funeste que le jour Frissonnerait de voir. Mais, paix ! D'abord ma mère.
Oh, n'oublie pas, mon coeur, qui elle est. Que jamais Une âme de Néron ne hante ta vigueur!
Sois féroce mais non dénaturé.
Mes mots seuls la poignarderont ; c'est en cela Que mon âme et ma voix seront hypocrites ;
Mon âme! aussi cinglantes soient mes paroles, Ne consens pas à les marquer du sceau des actes!
(Acte III, scène II).
«Je pouvais mettre ma main dans sa main, sur son épaule, sur sa joue, Albertine continuait de dormir. Je pouvais prendre sa tête, la renverser, la poser contre mes lèvres, entourer mon cou de ses bras, elle continuait à dormir comme une montre qui ne s'arrête pas, comme une bête qui continue de vivre quelque position qu'on lui donne, comme une plante grimpante, un volubilis qui continue de pousser ses branches quelque appui qu'on lui donne. Seul son souffle était modifié par chacun de mes attouchements, comme si elle eût été un instrument dont j'eusse joué et à qui je faisais exécuter des modulations en tirant de l'une, puis de l'autre de ses cordes, des notes différentes.»
Le Second Empire vise à faire de Paris la capitale de la mode et du luxe. La ville se modernise. Les boutiques du Paris ancien laissent place peu à peu aux grands magasins, dans le voisinage des boulevards et de la gare Saint-Lazare. La nouvelle architecture illustre l'évolution des goûts : on entre dans le royaume de l'illusion. Octave Mouret, directeur du Bonheur des Dames, se lance dans le nouveau commerce.L'exploit du romancier est d'avoir transformé un épisode de notre histoire économique en aventure romanesque et en intrigue amoureuse. Rien d'idyllique pourtant : le magasin est construit sur un cadavre ensanglanté, et l'argent corrompt tout. Pour Zola, la réussite du grand magasin s'explique par la vanité des bourgeoises et le règne du paraître. Il nous décrit ici la fin et la naissance d'un monde : Paris, incarné ici dans un de ses mythes principaux, devient l'exemple de la cité moderne.
«Vous avez le choix : Ulysse ou le Cyclope. Vous choisissez Ulysse. Au péril de votre vie, après dix années de combats, vous avez pris la ville de Troie. C'est votre surnom : preneur de Troie. Sur le chemin du retour, vous avez perdu nombre de vos compagnons. Les uns, le Cyclope les a engloutis. Les autres se sont noyés. Ils ont mangé les Vaches du Soleil, en dépit de vos recommandations. Ils ont goûté à des fruits étranges qui procuraient l'oubli. Ils ont fait l'expérience de vivre en cochons. Mais vous, Ulysse, vous avez dû lutter.Vous avez percé l'oeil du Cyclope, le fils de Poseidon. Vous n'aviez pas le choix. De là vient l'acharnement de Poseidon à vous nuire. Pauvre Ulysse, incapable de profiter de l'immortalité toute proche que Calypso vous offre sur un plateau en or. Courage, les déesses vous protègent, et la terre n'est plus très loin !Vous aurez bientôt l'âge de Télémaque, celui d'Ulysse, puis celui de Laërte : déjà vous savez que votre vie s'est jouée quelque part entre Troie et Ithaque.»
Mythe du chevalier se battant contre les moulins à vent, dessin de gustave doré, de picasso, de dali, tel est le don quichotte qui survit aujourd'hui dans nos mémoires.
Pourtant, ce fou de littérature, ce dévoreur de romans de chevalerie, qui part à l'aventure pour voir si ce que disent les livres est vrai, est le héros du premier roman moderne.
Retraduire don quichotte, c'est tenter de redonner au lecteur d'aujourd'hui le même plaisir et la même passion qu'éprouvèrent les lecteurs contemporains de cervantes. en restituant l'originalité des dialogues et des jeux de mots, en faisant rebondir l'aventure qui va et vient entre réalité et fiction, en rendant à sancho sa dimension de personnage, aline schulman fait tout à coup surgir la merveilleuse modernité du quichotte enfouie sous un palimpseste de traductions archaïques.
Ala fin de la guerre fédérale des états-Unis, les fanatiques artilleurs du Gun-Club (Club-Canon) de Baltimore sont bien désoeuvrés. Un beau jour, le président, Impey Barbicane, leur fait une proposition qui, le premier moment de stupeur passé, est accueillie avec un enthousiasme délirant. Il s'agit de se mettre en communication avec la Lune en lui envoyant un boulet, un énorme projectile qui serait lancé par un gigantesque canon !
Tandis que ce projet inouï est en voie d'exécution, un Parisien, Michel Ardan, un de ces originaux que le Créateur invente dans un moment de fantaisie, et dont il brise aussitôt le moule, télégraphie à Barbicane : « Remplacez obus sphérique par projectile cylindroconique. Partirai dedans »...
Avec ses personnages parfaitement campés, son humour toujours présent, De la Terre à la Lune est une des grandes oeuvres de Jules Verne, une de ses plus audacieuses anticipations.Ala fin de la guerre fédérale des états-Unis, les fanatiques artilleurs du Gun-Club (Club-Canon) de Baltimore sont bien désoeuvrés. Un beau jour, le président, Impey Barbicane, leur fait une proposition qui, le premier moment de stupeur passé, est accueillie avec un enthousiasme délirant. Il s'agit de se mettre en communication avec la Lune en lui envoyant un boulet, un énorme projectile qui serait lancé par un gigantesque canon !
Tandis que ce projet inouï est en voie d'exécution, un Parisien, Michel Ardan, un de ces originaux que le Créateur invente dans un moment de fantaisie, et dont il brise aussitôt le moule, télégraphie à Barbicane : « Remplacez obus sphérique par projectile cylindroconique. Partirai dedans »...
Avec ses personnages parfaitement campés, son humour toujours présent, De la Terre à la Lune est une des grandes oeuvres de Jules Verne, une de ses plus audacieuses anticipations.
Ainsi parlait Zarathoustra est une oeuvre philosophique magistrale. Elle a bouleversé la pensée de l'Occident. « Nietzsche démolit, il sape », disait Gide. Il remet définitivement l'homme en question. Poète-prophète, Zarathoustra se retire dans la montagne et revient parmi les hommes pour leur parler. Sa leçon essentielle : « Vouloir libère. » Son leitmotiv : rejeter ce qui n'est pas voulu, conquis comme tel, tout ce qui est subi. C'est le sens du fameux : « Deviens celui que tu es. » La vertu est souvent le droit du plus faible, elle paralyse tout, désir, création et joie. Le surhomme nietzschéen est celui qui a la plus grande diversité d'instincts qui s'opposent puissamment mais qu'il maîtrise. La pensée de Nietzsche est un défi permanent. Elle échappe à tout système politique.
La ferveur de sa poésie, sa vigoureuse drôlerie ont donné à Nietzsche une célébrité universelle. Nos contemporains n'ont le choix qu'entre lui et Marx.
Édition illustrée et enrichie (illustrations originales de la collection Hetzel et dossier sur l'auteur)Dans le Pacifique, un yacht, le Sloughi, est en perdition. A bord, quinze enfants de huit à quatorze ans. Pas un adulte avec eux ; le bateau a rompu mystérieusement ses amarres dans un port de la Nouvelle-Zélande alors que les enfants s'apprêtaient à entreprendre une croisière, et que tout l'équipage se trouvait à terre. La tempête précipite le Sloughi sur des écueils et les enfants, non sans peine, arrivent sur une île déserte. Les longues « vacances » commencent... Pour subsister, les enfants n'ont rien, que leur courage : ils chassent, pêchent, inventent des pièges, dressent des animaux, cultivent. Hélas ! des rivalités divisent la petite colonie, les caractères se heurtent, la scission est accomplie quand de redoutables bandits abordent le rivage. Une lutte implacable s'engage : enfants contre hommes sans foi ni loi... De multiples aventures, l'intelligence et la force de caractère des jeunes héros font de Deux ans de vacances un beau roman, très attachant.
Montaigne ne passa pas à côté de l'évènement majeur qui ébranla la Renaissance : la découverte du Nouveau Monde. Il évoque dans Des Cannibales (Essais, livre I) le choc sanglant entre la « civilisation » et la « sauvagerie ». II dispose d'un témoignage de première main, avant eu à son service l'un des membres de l'expédition coloniale française en terre de Brésil, de 1555 à 1557. Ce qu'il apprend des peuplades lui inspire avant tout l'idée que « chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage ».
Jugeant les pratiques de torture des Européens plus cruelles que l'anthropophagie des sauvages, Montaigne inverse la hiérarchie habituelle et ouvre la voie à l'ethnologie moderne d'un Lévi-Strauss.
Obligé de fuir Troie vaincue par les Grecs, Enée prend la mer en quête d'une nouvelle patrie. Après un long périple et maintes épreuves, il parviendra en Italie où il entreprendra la conquête du Latium et bâtira la ville de Rome. Réunissant les principaux exploits et épreuves d'Enée, cette édition invite à partir sur les traces du héros troyen. Le dossier propose des exercices pour étudier la structure du récit et les composantes de l'épopée. En outre, il permet de se familiariser avec la mythologie et contient une initiation au latin.
Ce volume contient la deuxième partie d'À l'ombre des jeunes filles en fleurs, «Noms de pays : le pays» et Le Côté de Guermantes. Il marque ainsi le passage de la rêverie au réel. «Noms de pays : le pays » fait écho à «Noms de pays : le nom» et affronte à la poésie du nom de Balbec la réalité du lieu, comme Le Côté de Guermantes dévoile les Guermantes-personnages après que le narrateur a rêvé sur Guermantes-nom de personne. C'est à Balbec qu'apparaît la petite bande des jeunes filles pour qui le héros éprouve un amour «indivis», avant qu'Albertine ne vienne rompre, en émergeant du groupe, la cohésion où se neutralisaient «les diverses ondes sentimentales» que propageaient les jeunes filles. À Balbec que le narrateur rencontre le peintre Elstir, dont la conversation se fait leçon : d'où naît un nouveau pouvoir de regarder, une façon nouvelle de voir, grâce à cette métamorphose qu'est l'art, la beauté des choses là où il était impossible d'imaginer qu'elle fût. À Balbec encore que se dessinent les figures de Mme de Villeparisis, de Robert de Saint-Loup, du baron de Charlus, que Le Côté de Guermantes replacera dans leur contexte social et qui, avec d'autres, feront de cette partie d'À la recherche du temps perdu le roman de l'aristocratie, comme Du côté de chez Swann était celui de la bourgeoisie ; temps et lieu de la mort de l'enfance et de l'oubli de l'art - ramené à quelques apparitions mondaines -, Le Côté de Guermantes voit s'effacer, dans la mort, la maladie ou l'absence, les personnages combraysiens et s'ouvrir devant le narrateur ce monde neuf - le Monde - où s'abîment les illusions. On découvrira, à la suite des textes et sur plus de 400 pages, les versions primitives de «Noms de pays : le pays» et du Côté de Guermantes. Leur intérêt et leur richesse ne sont plus à démontrer. Il n'est que de rappeler la réponse d'Elstir à son jeune visiteur admirant une de ses toiles, Le Port de Carquehuit : «J'ai fait une petite esquisse où on voit bien mieux la cernure de la plage. Le tableau n'est pas trop mal, mais c'est autre chose.»
En traduisant ce classique au XVIe siècle, A. Galland a récrit le texte original, supprimé ou modifié les épisodes scabreux et introduit de nouveaux contes. Le dossier de ce tome retrace l'histoire de la traduction et de sa postérité : choix stylistiques, fascination pour l'Orient, goût du merveilleux, art du conte.
Ce volume contient Sodome et Gomorrhe, La Prisonnière et près de trois cents pages d'Esquisses relatives à ces deux textes. Annonçant en 1920 la publication du Côté de Guermantes au critique du Temps, Proust écrivait : «C'est encore un livre convenable. Après celui-là, cela va se gâter sans qu'il y ait de ma faute. Mes personnages ne tournent pas bien ; je suis obligé de les suivre là où me mène leur défaut ou leur vice aggravé.» De fait, Sodome et Gomorrhe ne passa pas pour un livre «convenable». Mais au-delà du scandale, sa réussite repose sur sa structure : comme souvent dans À la recherche du temps perdu, deux côtés opposés, en apparence incompatibles, vont se rejoindre, puis se confondre. Les Esquisses présentées dans ce volume montrent comment le violoniste Morel devint peu à peu un double d'Albertine. Sous l'égide de Baudelaire - qui fut fasciné par les lesbiennes et dont Proust ne doutait pas qu'il eût pratiqué l'homosexualité - et en contradiction avec le vers de Vigny - «La Femme aura Gomorrhe et l'Homme aura Sodome» - sur quoi s'ouvre le volume, ces deux personnages relient les deux côtés et confèrent ainsi à la vision proustienne de l'inversion toute son originalité. Sodome et Gomorrhe commence par une révélation. La Prisonnière est la quête d'un impossible bonheur, d'une illusoire sécurité, d'un savoir toujours fuyant. Albertine est prisonnière du narrateur, mais non pas son secret. Le récit se fait l'écho de l'ambiguïté de la relation de Proust à la connaissance. On n'aime jamais que ce qu'on ne possède pas, et le besoin du mystère vient se heurter à celui de la sécurité : entre crainte et désir du réel, entre curiosité et habitude, se joue devant nous la tragicomédie d'un couple qui n'existe sans doute que par ces tierces personnes, aussi nécessaires que dangereuses, dont la présence n'est jamais aussi sensible que lorsqu'elles sont ailleurs. La Prisonnière, texte publié posthume et ici entièrement réétabli, est le lieu d'une quête jamais achevée de la vérité ; c'est également celui du rougeoyant Septuor de Vinteuil qui offrira cette leçon grosse de promesses : l'art n'est peut-être pas aussi vain et irréel que la vie.
Sur la centaine de pièces écrites par Sophocle au V? siècle avant J.-C., seules sept nous sont parvenues, qui mettent en scène des mortels confrontés à des choix difficiles. Dans Les Trachiniennes, Déjanire décide de se venger de son mari, le croyant infidèle ; Antigone, dans la pièce du même nom, s'oppose à son oncle et aux lois de sa cité pour honorer son frère mort au combat ; quant à Néoptolème, il hésite à sacrifier sa nouvelle amitié avec Philoctète ou sa fidélité envers les cités grecques...Premier dramaturge à utiliser des décors peints, Sophocle révolutionne la scène. En montrant des personnages dans toutes leurs souffrances, comme celles d'Hercule revêtant la tunique de Nessus ou celles d'OEdipe découvrant la vérité sur ses origines, il met à nu les héros de la mythologie grecque.
Aristide Saccard est ruiné. Après une série de mauvaises affaires, il a perdu la fortune colossale qu'il avait amassée lors des grands travaux haussmanniens. Mais qu'à cela ne tienne : il achète un hôtel particulier et y fonde la Banque Universelle, qui attire les petits épargnants, les opportunistes et les requins de la finance. La danse infernale de la spéculation peut recommencer.Paru en 1891, L'Argent est le dix-huitième tome du cycle des Rougon-Macquart. Voici Saccard, le détestable héros de La Curée, engagé dans une nouvelle manigance. Alors que le scandale de Panama, en 1889, est encore frais dans les mémoires, Zola livre un roman impitoyable : formidable tableau d'un désastre, minutieuse dissection d'une entreprise vouée à l'échec, c'est aussi le récit d'une obsession, celle du capital. Zola fait de la spéculation un moteur, vital et morbide à la fois : «l'éternel désir qui force à lutter et vivre».
En Biondetta, il ne reste rien de la monstrueuse apparition qui répond à la conjuration d'Alvaro dans les ruines de Portici et qui lui dit en italien : Che vuoi ? Le masque est le visage ; la satanique séductrice est la femme séduite et elle continuera de l'être, tourmentée et plaintive, tout au long de la fable.
Jorge Luis Borges
«Jusqu'à des droits très proches de nous, jusqu'à des économies pas très éloignées de la nôtre, ce sont toujours des étrangers avec lesquels on 'traite', même quand on est allié. Les gens de Kiriwina dans les Trobriand dirent à M. Malinowski?: 'Les hommes de Dobu ne sont pas bons comme nous?; ils sont cruels, ils sont cannibales?; quand nous arrivons à Dobu, nous les craignons. Ils pourraient nous tuer. Mais voilà, je crache de la racine de gingembre, et leur esprit change. Ils déposent leurs lances et nous reçoivent bien.' Rien ne traduit mieux cette instabilité entre la fête et la guerre.» «Nous n'avons pas qu'une morale de marchand», énonce Marcel Mauss dans ce texte majeur de l'anthropologie du xxe siècle. Il y expose le résultat de plusieurs décennies de recherches sur différentes sociétés archaïques. Non seulement il est possible d'envisager l'échange en dehors du marché, mais des économies complexes reposent sur le don et le contre-don. Le nom du système au coeur de son analyse est resté dans les annales?: le potlatch.
Notamment pratiqué dans certaines tribus amérindiennes, ce rite somptuaire fondé sur la destruction de ce que l'on possède amène au sommet de l'échelle sociale seuls les individus capables de se séparer de tous leurs biens. En s'intéressant à ce système allant à l'encontre du rationalisme économique tel que nous le subissons, ce texte exerça une profonde influence sur l'ensemble des sciences humaines, jusqu'à Guy Debord et ses comparses de l'Internationale lettriste qui baptisèrent leur propre revue Potlatch.
Le potlatch et la kula revêtent avant tout une dimension spirituelle?: la chose donnée n'est pas inerte, elle engage l'honneur de celui qui la donne, autant que de celui qui la reçoit. Cette dimension sacrée de l'échange nous fait aujourd'hui cruellement défaut. C'est peut-être dans notre rapport au don que se trouve la clé de la crise morale que l'humanité affronte aujourd'hui.
Avant Gargantua, Rabelais a raconté l'histoire de son fils, Pantagruel, jeune géant lancé dans un voyage initiatique à la découverte du monde, à la recherche d'un savoir sans bornes. Au fil de ses rencontres (notamment avec son compère Panurge), le prince géant va parfaire son éducation humaniste, dans une suite d'aventures cocasses et jouissives. Parodie de roman de chevalerie, Pantagruel (1532) est une charge satirique contre l'esprit de sérieux, la fausse science, la superstition, le pouvoir mortifère de l'Église. Rabelais compose une ode à la libération de tous les appétits, en nous transmettant la devise de son héro : «vivre en paix, joye, santé, faisans tousjours grande chère».
Cette édition propose, dans des traductions pour la plupart nouvelles, tous les livres de fiction publiés par Woolf ou, pour Entre les actes, au lendemain de sa mort : dix romans, et un recueil de nouvelles, Lundi ou mardi, qui n'avait jamais été traduit dans notre langue en l'état. S'y ajoutent les nouvelles publiées par l'auteur mais jamais rassemblées par elle, ainsi qu'un large choix de nouvelles demeurées inédites de son vivant. Les nouvelles éparses qui présentent un lien génétique ou thématique avec un roman sont réunies dans une section Autour placée à la suite de ce roman. On trouvera ainsi, Autour de «Mrs. Dalloway», un ensemble de textes dans lequel Woolf voyait «un couloir menant de Mrs. Dalloway à un nouveau livre» ; ce «nouveau livre» sera un nouveau chef-d'oeuvre, Vers le Phare.
Romans et nouvelles, donc, mais ces termes ne s'emploient ici que par convention. Woolf en avait conscience : «Je crois bien que je vais inventer un nouveau nom pour mes livres, pour remplacer «roman». Un nouveau ... de Virginia Woolf. Mais quoi? Élégie?» L'élégie, qui a partie liée avec la mort, est une forme poétique, et le roman, chez Woolf, emprunte en effet à la poésie («Il aura une part de l'exaltation de la poésie»), aussi bien qu'à l'essai et au théâtre («Il sera dramatique»), jusqu'à un certain point («mais ce ne sera pas du théâtre»). Play-poem, «poème dramatique», qualifiera Les Vagues ; essay-novel, «roman-essai», désigne Les Années ; Flush et Orlando partagent la même indication de genre: a Biography, ce qui ne dit à peu près rien de ces deux livres, mais confirme qu'il faut ici renoncer aux catégories reçues et, plus largement, considérer d'un oeil neuf tout ce qui semblait définir le romanesque: «Le récit peut-être vacillera; l'intrigue peut-être s'écroulera; les personnages peut-être s'effondreront. Il sera peut-être nécessaire d'élargir l'idée que nous nous faisons du roman.» Élargir : rompre avec la continuité chronologique, en finir avec l'hégémonie de la représentation, faire du vécu subjectif de la conscience la véritable matière du roman. Woolf le reconnaissait, elle n'avait pas le don de la réalité: «J'immatérialise le propos...» Il s'agissait moins pour elle de bâtir des intrigues que d'isoler des «moments d'être», déchirures éclairantes dans l'obscur tissu d'une existence, témoignant «qu'une chose réelle existe derrière les apparences». «Je rends [cette chose] réelle en la mettant dans des mots. Ce sont mes mots et eux seuls qui lui donnent son intégrité; et cette intégrité signifie qu'elle a perdu le pouvoir de me faire souffrir.»
«Sa vie de guignon (1821-1867), dont deux volumes de Correspondance retracent les douloureuses étapes, contraste avec la forte organisation d'une oeuvre qui comprend la poésie la plus classique et la plus révolutionnaire, le poème en prose, la nouvelle, les maximes d'un moraliste sans indulgence, les pages les plus intelligentes qui aient été écrites sur la peinture, la littérature et la musique. Avec Baudelaire apparaît un nouveau type de créateur : celui qui s'est associé un critique, et un nouveau type de lecteur - Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère !, qui doit collaborer à cette création sous peine de l'ignorer.» Claude Pichois.