Dans ce livre, où chaque page représente un âge, se trouve tout ce que l'on apprend au cours d'une vie, de 0 à 99 ans.
?Un ouvrage destiné à toute la famille, à feuilleter dans un sens comme dans l'autre, pour apprendre à grandir et réapprendre à s'émerveiller.
Kharkiv. Marioupol. Lougansk. Tchernihiv. Boutcha...
« Je prie mes lecteurs, tous ceux qui sont auprès de nous par la pensée en ce moment, de graver dans leur mémoire ces noms de villes ukrainiennes. Ces lieux nous appartiennent à nous tous. La responsabilité de leur sécurité incombe au monde entier. ».
Dès le début de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022, l'écrivaine et photographe Evgenia Belorusets a entrepris de tenir un journal, dans lequel elle raconte le quotidien des habitants de Kiev : le sifflement des bombes, le silence des rues dévastées, la sidération, l'effroi, l'incertitude. Mais la vie, aussi, qui continue vaille que vaille à travers les gestes les plus anodins - échanger quelques mots avec un voisin, s'asseoir un moment sur un banc dans un parc, attraper au vol le miracle d'un sourire, d'un rayon de soleil, d'une minute de répit.
Avec ce document exceptionnel, dans lequel dialoguent textes et photographies, Evgenia Belorusets fait acte de résistance à sa manière intime, tentant, par les seules armes de l'art et de la littérature, de nous faire prendre la mesure exacte, à hauteur d'humanité, du drame qui se joue aujourd'hui à nos portes.
Le projet culturel de notre modernité semble parvenu à son point d'aboutissement : la science, la technique, l'économie, l'organisation sociale et politique ont rendu les êtres et les choses disponibles de manière permanente et illimitée.
Mais alors que toutes les expériences et les richesses potentielles de l'existence gisent à notre portée, elles se dérobent soudain à nous. Le monde se referme mystérieusement ; il devient illisible et muet. Le désastre écologique montre que la conquête de notre environnement façonne un milieu hostile. Le surgissement de crises erratiques révèle l'inanité d'une volonté de contrôle débouchant sur un chaos généralisé. Et, à mesure que les promesses d'épanouissement se muent en injonctions de réussite et nos désirs en cycles infinis de frustrations, la maîtrise de nos propres vies nous échappe.
S'il en est ainsi, suggère Hartmut Rosa, c'est que le fait de disposer à notre guise de la nature, des personnes et de la beauté qui nous entourent nous prive de toute résonance avec elles. Telle est la contradiction fondamentale dans laquelle nous nous débattons. Pour la résoudre, cet essai ne nous engage pas à nous réfugier dans une posture contemplative, mais à réinventer notre relation au monde.
C'est à la disparition du monde des "choses" ou des "objets" que Byung-Chul Han consacre ce nouveau livre. Les choses stabilisent la vie humaine, lui confèrent une continuité. Pôles de repos du monde, les choses sont aujourd'hui totalement recouvertes par les informations. Mais il n'est pas possible de séjourner auprès des informations... Quel rapport entretenons-nous désormais avec les choses ? Que deviennent-elles lorsque, pénétrées par les informations, elles deviennent elles-mêmes des informations et s'immatérialisent ? Han poursuit sa critique de la rationalité technique et numérique en s'interrogeant sur la signification des objets et leur effet dans notre existence. Sans doute le plus nostalgique, le plus touchant et le plus polémique des livres de Han parus en langue française.
Au printemps 1940, quelques mois avant de se suicider, Walter Benjamin rédige une suite d'aphorismes denses et étincelants, bouleversants blocs de prose poétique au centre desquels rayonne «Angelus Novus», le tableau de Klee, que le philosophe associe à l'Ange de l'Histoire. Réunis sous le titre "Sur le concept d'histoire", ces aphorismes sont le texte le plus commenté de Benjamin. Leur répondent ici deux autres essais : "Eduard Fuchs, le collectionneur et l'historien" (1937), et le célèbre "Paris, la capitale du XIXe siècle" (1935), traversés par une même question : peut-on sauver le passé ? Avec une préface de Patrick Boucheron, professeur au Collège de France.
C'est dans cette fameuse histoire critique de la photographie que Walter Benjamin définit pour la première fois le concept d'aura, clé de voûte de sa théorie esthétique, ainsi que la notion d'inconscient optique, ce quelque chose qu'en prenant une photo nous captons sans le savoir et que, par exemple, certains psychogénéalogistes vont traquer pour éclairer notre histoire. «Petite histoire de la photographie» (1931) est suivi de «Un portrait d'enfant» (1934), où Benjamin, analysant une photographie du jeune Kafka baignée de tristesse, se trouve soudainement renvoyé à sa propre enfance. Avec ce livre, qui est l'autre volet de «L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique», partez en compagnie d'un maître penseur à la recherche de la puissance des images.
Au-delà des théories classiques dont il retrace l'histoire en remontant à Platon ou à Vitruve, cet essai novateur propose une philosophie politique - et non pas simplement esthétique ou symbolique - de l'architecture.
Partant du constat que la Révolution française s'est déroulée dans des rues et sur des places qui avaient été construites moins d'un siècle auparavant, et que les masses révolutionnaires n'auraient pas pu se rassembler si ces nouveaux espaces publics n'avaient pas existé, il s'interroge sur les conditions architecturales de la démocratie : quels types d'espaces rendent possibles ou impossibles certains types d'actes ou d'événements ? Où l'on apprend que le cours de l'histoire dépend de la construction de l'espace...
Là où Michel Foucault avait étudié l'architecture en tant que technologie de pouvoir, Ludger Schwarte tente de cerner son rôle dans les mouvements d'émancipation. Si l'on conçoit les espaces publics comme des théâtres de l'action collective, alors la question est de savoir si leur configuration permet des interactions événementielles, des expérimentations créatrices. En ce sens, tout espace public authentique est fondamentalement anarchique.
L'Europe est inquiète, l'Europe va voter. C'est le moment d'écouter la parole du plus grand philosophe européen actuel, connu pour sa pensée vigoureuse et ses idées iconoclastes. En quatre essais sur les thèmes de l'immigration, du Brexit, de la cohésion sociale et de la nation, il défend la réalité de l'Europe, analyse la montée des populismes et leur vision simpliste du monde, dénonce l'absurdité des ghettos et nous rappelle la nécessité vitale de lutter contre le cynisme. Et si rien n'était possible sans l'autre ?
Comment concilier action et rêve, vie et poésie ? Walter Benjamin pensait que l'art pouvait transformer le monde et changer la vie. D'où son intérêt pour le surréalisme dans trois textes fascinants des années 1920-1930 : "Kitsch onirique", "Le surréalisme, dernier instantané de l'intelligence européenne" et "Sur l'actuelle position sociale de l'écrivain français", où ce philosophe passionné de littérature développe son célèbre concept d'illumination profane et explore les forces de la créativité contre le capitalisme.
Notre société est incapable d'assurer et d'assumer la transmission du savoir et de l'expérience depuis qu'elle a fait de la rupture le moteur de la modernité. Refuser tout héritage, faire table rase du passé, mépriser les modèles et les filiations, rompre systématiquement avec le père : ce geste "moderne", qui nous englue dans le présent, mène aux pires catastrophes, humaines, politiques, économiques. Contre le culte de l'ici-et-maintenant, et pour sortir du malaise dans notre civilisation occidentale, Peter Sloterdijk propose une relecture vertigineuse de notre histoire et nous exhorte à nous réinscrire dans la durée. Telle est la leçon de ce livre, sans nul doute un essai magistral sur l'art de maîtriser sa liberté.
Saturés de connexions, sommés d'être libres, comptables de l'amour et entrepreneurs de nous-mêmes, nous sommes épuisés par la société de la performance. Ayant perdu la faculté de désirer, le sujet contemporain, tel un personnage du best-seller 50 nuances de Grey, ne voit plus dans le monde que son propre reflet. C'est 1'«enfer de l'identique», cette aporie née d'une jouissance pauvre qui rapporte tout à soi, au moindre coût.
Dès lors, comment résister à cette mort programmée du désir?
Un cochon sème la panique dans le centre de Bruxelles. Autour de la place de la Bourse, un Turc de passage est renversé par l'animal. Un vieux monsieur lui tend la main pour l'aider à se relever : « Gouda Mustafa prit la main et se releva. Son père l'avait mis en garde contre l'Europe. » C'est sur cette scène symbolique que débute le roman de Robert Menasse, 480 pages haletantes et débordant d'imagination qui nous emmènent dans le monde ubuesque de « l'Europe ».
L'agression du cochon fou n'est pas la seule péripétie du début de ce livre : dans le même quartier, un homme est tué d'une balle de revolver. Qui est-il, pourquoi a-t-il été tué ?
La question sous-tendra le récit jusqu'à sa fin, sans qu'on y apporte de véritables réponses.
Le coup de feu a été entendu par un voisin, le Dr Martin Susman, qui travaille à la Commis- sion européenne et sera l'un des personnages principaux d'une autre branche du récit. Ainsi commence à tourner un incroyable manège sur lequel Menasse dispose ses personnages avec une inventivité sans borne et une joie créative aussi sardonique que communicative.
Dans cette atmosphère tantôt spectrale, tantôt burlesque, mais toujours d'une drôlerie aussi fine qu'irrésistible, Menasse s'amuse alors à entremêler la trame de ses récits et à provoquer des croisements entre tous ses personnages.
Bruxelles est la scène de son théâtre, il y déroule son récit comme un metteur en scène de talent :
Le rythme est précis, l'humour sec et omnipré- sent, le fond pensé et solidement charpenté.
En juillet 1999, en prononçant un discours sur Heidegger et sa Lettre sur l'humanisme, Peter Sloterdijk déclenche une vivepolémique. Quel est l'objet du scandale ? Son constat : l'humanisme est mort en 1945. Si une nation ne repose plus sur une fiction politique, d'inspiration humaniste, pour souder ses citoyens, quelle gestion des hommes ? D'ailleurs, note le philosophe, la « domestication de l'être humain constitue le grand impensé face auquel l'humanisme a détourné les yeux depuis l'Antiquité » ; « le simple fait de s'en apercevoir suffit à se retrouver en eau profonde ».Avec ses Règles pour le parc humain, Peter Sloterdijk incite à penser la condition humaine qui vient avec l'anthropotechnologie.Quelques mois plus tard, il prononce à Paris un deuxième discours dans lequel il développe ses positions : La Domestication de l'Être. Il y poursuit sa réflexion sur les conditions et le mystère de l'irruption de l'humanité, et la voie que celle-ci peut suivre vers un apprivoisement d'elle-même.PETER SLOTERDIJK, philosophe allemand né en 1947, est l'auteur d'une oeuvre importante, notamment : Sphères (I, Bulles ; II, Globes : macrosphérologie ; III, Écumes : sphérologie plurielle).
« Si une intelligence extraterrestre se rapprochait de notre globe terrestre, elle apercevrait depuis les lointains [...] un point bleu pâle : notre planète. [...] Mais son regard s'attarderait en outre sur de minuscules feux lumineux que les nuages et les intempéries ne peuvent pas obscurcir. Ces étincelles brillent elles aussi d'un bleu irisant. Elles sont la trace de grands esprits comme Socrate et Voltaire. » C'est sous ce patronage philosophique que se placent d'emblée Alexander Kluge et Ferdinand von Schirach, pour cette conversation entre intellectuels qui a pour ambition de parler du monde contemporain, avec ses périls et ses espoirs. Appartenant à des générations distinctes, mais ayant tous deux une formation du juriste, ces deux plumes allemandes devisent en toute amitié de l'état des choses, et convoquent l'héritage de grands esprits et d'artistes comme Kleist, Truman Capote ou le cinéaste Michael Haneke - sans hésiter à puiser également dans leurs expériences personnelles, et notamment l'enfance, pour interroger le sens de l'Histoire.
Ces références, et l'empreinte qu'elles ont laissée dans la pensée de chacun, font de ces entretiens un témoignage singulier, où deux pensées se croisent, se questionnent et se nourrissent mutuellement. À la fois dialogue philosophique et réflexion politique, cette conversation peut également se lire comme une proposition de nouvelle définition de l'humanisme.
À partir des réflexions proposées par Freud dans le Moïse de Michel-Ange, Joseph Vogl développe une théorie de l'indécision et présente dans le même temps un véritable système pour explorer cette notion dans toutes ses variantes et ses nuances : dans le glissement synonymique entre hésiter, tergiverser, osciller, rechigner, chanceler ou vaciller s'exprime un doute profond, une démarche inquiète, un recul. Pourtant, la perplexité implicite de cette hésitation n'implique pas tout simplement l'arrêt d'une action. Elle indique tout d'abord le seuil imperceptible entre action et non-action, un interstice régi par la pure contingence et la potentialité créatrice. En tant qu'acte de parole à la fois impuissant et résistant, l'indécision introduit une temporalité suspendue qui s'oppose au primat de l'acte posé par la culture occidentale.
Pour Joseph Vogl, un événement est toujours inscrit dans un ensemble stratifié formé par l'ensemble de ses variantes non réalisées. Sa recherche esthétique et historique attribue ainsi à l'indécision une place posée comme systématique :
Elle instaure une « méthode de complication » par laquelle le pouvoir discursif des événements historiques et politiques peut être interrogé et contenu. Considérée comme une attitude face au monde et un geste de mise en question radicale, la temporalité suspendue de l'indécision constitue enfin le champ opératoire du discours lui-même.
Dans ce petit essai brillant et érudit, Vogl retrace une « anti-histoire » de l'indécision qui apparaît surtout en littérature et prend corps à travers les siècles dans les personnages d'Oreste, de Wallenstein, de Joseph K., de Bartleby ou de l'homme sans qualités.
Gerhard Richter, né en 1932, est aujourd'hui considéré comme « une des figures majeures de la peinture contemporaine », comme l'appela le Centre Pompidou lors de l'une des grandes rétrospectives qui lui ont été consacrées ces dernières années. C'est aussi un artiste au destin exceptionnel, qui a réussi à imposer son style personnel après avoir traversé la dictature nazie et avoir échappé au régime d'Allemagne de l'Est. C'est cette vie que raconte ce livre, adaptation du scénario d'un film qui sortira au mois d'octobre réalisé par l'auteur de La Vie des autres, Oscar 2007 du meilleur film étranger.
Dans ce récit librement inspiré de la vie de Gerhard Richter - dans une interview récente, l'auteur et réalisateur explique qu'il laissera au lecteur le soin de faire la part du réel et du fictif -, Florian Henckel von Donnersmarck suit le fil de l'existence de l'artiste (ici sous le prénom de Kurt) depuis l'arrivée du nazisme, avec la visite de l'exposition L'Art dégénéré à Dresde, jusqu'au début de sa carrière de peintre. La mort de sa tante Elisabeth, une femme superbe, dotée d'un profond sens artistique, mais éliminée par les nazis pour « schizophrénie », le suicide de son père, la rencontre avec sa future épouse, Ellie, ses débuts à l'académie des beaux-arts de Dresde, son passage à l'Est et son entrée à l'académie de Düsseldorf, un creuset de l'art contemporain, alors dirigé par Joseph Beuys, où Richter trouvera son style et fera ses premiers pas d'artiste.
À ce récit biographique se mêle l'histoire d'un gynécologue, Carl Seeband, ancien SS membre de « Aktion T4 » au cours de laquelle furent éliminés plusieurs dizaines de milliers de handicapés et de malades mentaux - dont la tante de Richter. Emprisonné par les Russes à la Libération, Seeband se « rachètera » en sauvant la femme et l'enfant à naître du commandant russe du camp de prisonniers. L'ancien nazi fera une brillante carrière en RDA avant de passer à l'Ouest et de redevenir directeur de clinique. Homme de pouvoir, manipulateur, brutal, Seeband est aussi le père d'Ellie, la compagne de Kurt. À travers son histoire, Florian Henckel von Donnersmarck nous fait revivre l'histoire agitée et ambiguë de ces scientifiques du XXe siècle qui ont servi tous les régimes sans aucun cas de conscience. C'est pourtant un artiste, ici, qui aura raison du criminel.
Oeuvre sans auteur est un film et un récit palpitant, où la violence se mêle constamment à la tendresse, l'épaisse brutalité à la plus grande subtilité esthétique, pour produire un récit aussi émouvant et intelligent que les tableaux de l'artiste dont il dépeint la vie.
Notre société est incapable d'assurer et d'assumer la transmission du savoir et de l'expérience depuis qu'elle a fait de la rupture le moteur de la modernité. Refuser tout héritage, faire table rase du passé, mépriser les modèles et les filiations, rompre systématiquement avec le père : ce geste « moderne », qui nous englue dans le présent, mène aux pires catastrophes, humaines, politiques, économiques. Contre le culte de l'ici-et-maintenant, et pour sortir du malaise dans notre civilisation occidentale, Peter Sloterdijk propose une relecture vertigineuse de notre histoire et nous exhorte à nous réinscrire dans la durée. Telle est la leçon de ce livre, sans nul doute un essai magistral sur l'art de maîtriser sa liberté.
À bien y regarder, tout ceci n'est qu'une erreur, mais voilà : les erreurs ont été commises et c'est à nous d'en assumer les conséquences. " Cette phrase écrite par H.G. Adler au début de son roman en donne le ton et la substance : face à l'absurde, à l'incroyable, comment l'homme parvient-il à assumer un destin dont il ne maîtrise plus rien ? Adler cherche ici à apporter une réponse à cette question. Que cette réponse prenne la forme d'un roman s'inscrit dans la substance même du choix fait par l'auteur : répondre, par la rigueur et la force d'évocation du langage littéraire, à une situation que la raison n'est plus capable d'appréhender.
Le roman raconte le destin des membres d'une famille juive, celle du docteur Lustig - très semblable à celle d'Adler - depuis le début des mesures d'exclusion raciale, au cours de leur déportation vers un lieu ressemblant à Theresienstadt, et jusqu'à la libération par les Américains.
Un voyage n'est bien entendu pas le premier roman consacré au thème de la déportation et des camps de concentration nazis. Il est sans doute le seul, en revanche, à avoir cherché une forme littéraire parfaitement spécifique pour rendre compte de l'indescriptible. Adler utilise dans son texte un étonnant mélange d'abstraction et de narration, projetant le quotidien des camps dans une sorte de réalité parallèle, déconcertante, comme s'il s'agissait d'exprimer et de comprendre enfin une angoisse dont aucune description de lieux, de personnages ou de faits réels ne pourra jamais rendre vraiment compte : l'interdiction pure et simple de la vie, énoncée sous forme de commandements quasi-religieux passant par les institutions de l'État : police, justice et administration.
" Les Interdits " sont ainsi les habitants juifs auxquels on a interdit jusqu'au fait d'avoir un domicile. " Les Émissaires " sont les membres de la police juive chargée d'informer ceux qui vont être déportés de la date de leur départ. Et " les Héros " sont les petits sbires de la SS, une désignation qui contraste brutalement avec leur esprit étriqué et haineux. C'est l'usage systématique et profondément réfléchi de cette technique littéraire qui permet au roman d'Adler de se démarquer de tout ce qui a été écrit sur la déportation et les camps nazis : une transfiguration romanesque, souvent très abstraite et pourtant tissée de récits et d'émotions, qui plonge le lecteur dans un univers parallèle, où la réalité renaît sous forme d'idées et de mots, peut-être plus terrifiante encore que dans sa description brute. Il n'y a plus de dissonances entre la fiction et la réalité.
Écrit par Adler en 1950, après qu'il a émigré en Angleterre, Un voyage n'a été publié en Allemagne qu'en 1962. Après la guerre en effet, les grandes maisons d'édition étaient plutôt réticentes à faire paraître des romans consacrés à l'Holocauste, estimant, dans la lignée d'Adorno, que la tragédie ne pouvait être mise en fiction. Seul un petit éditeur accepta de le publier.
H.G. Adler est né en 1910 à Prague, où il a fait des études de littérature, de sciences et de musique avant de travailler pour la radio tchèque à partir de 1935. En février 1942, il est déporté avec sa famille à Theresienstadt, puis à Auschwitz, où sa première épouse et sa mère sont décédées, et, deux ans plus tard, dans des subdivisions de Buchenwald, où il a été libéré par les Américains. Au total, il a perdu 16 membres de sa famille dans les camps, dont ses parents. De 1945 à 1947, il travaille au musée juif de Prague, s'efforçant de développer les archives concernant les persécutions et le camp de Theresienstadt. Il part ensuite s'installer à Londres, où il se remarie et a un fils. Il a alors consacré la majeure partie de son existence à enseigner et écrire sur la Shoah. Plus connu pour ses essais et ses études (il a notamment fait paraître des études sur Theresienstadt, un essai sur le combat contre la " solution finale " et sur la déportation), il est l'auteur de 26 ouvrages de poésie, de philosophie, d'histoire et six de fictions - dont Un voyage - pour lesquels il a reçu de nombreux prix. Il est mort à Londres en 1988.
Un chef d'oeuvre, écrit dans une prose particulièrement belle et pure. [...] Adler a réinstallé le principe d'espoir dans la littérature moderne. " (Elias Canetti) Salué par Heimito von Döderer et Elias Canetti, proche du travail de James Joyce et de Virginia Woolf par le caractère innovant de son style, Un voyage s'inscrit dans la lignée des ouvrages de W.G. Sebald. L'influence de Kafka est aussi sensible. Comme dans Le Procès et Le Château, l'arbitraire et l'anonymat du pouvoir sont flagrants. Ce livre apporte la preuve que l'art a la capacité de rendre compte de l'inimaginable, qu'il peut même élargir la perception que les gens peuvent en avoir. Un livre qui ne peut que fasciner toute personne s'intéressant à l'histoire récente et à la littérature moderne.
" Le spectacle auquel nous assistons sur les théâtres de l'économie financière internationale est-il pure déraison ? " Dans un contexte de crise financière omniprésente et durablement installée, Joseph Vogl interroge le système capitaliste, ses arcanes, ses modes de fonctionnement, la manière dont il se perpétue. Censé reposer sur une confiance multilatérale, le système des marchés est en réalité traversé d'inquiétude et d'instabilité. Tel un spectre agitant dans l'ombre les flux de capitaux, le monde financier se voit entouré d'une aura mystérieuse, aussi incompréhensible qu'imprévisible. L'enjeu est de saisir comment l'économie financière tente de comprendre un monde qu'elle a elle-même engendré.
Constantin von Barloewen ouvre un dialogue au-delà des siècles et des disciplines, de l'art et de la politique, entre quatre érudits : Alexis de Tocqueville l'historien, Michel Leiris l'anthropologue, V.S. Naipaul l'écrivain, Pierre Verger le photographe et ethnologue. Bien que séparés dans le temps et d'origines différentes, ils restent à ses yeux proches les uns des autres. À travers une relecture inédite de l'oeuvre maîtresse de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, jusqu'aux romans de Naipaul ou aux parcours de Leiris et Verger, Barloewen met en lumière une " anthropologie comparative et humaniste ". Il voit en ces quatre personnalités les éclaireurs d'une civilisation pluraliste, ouverte, interactive, visant l'édification d'une éthique mondiale. Vivants, souvent émouvants, ces Portraits croisés incitent autant le lecteur à se replonger dans l'oeuvre de ces hommes d'exception qu'à porter un regard neuf sur le monde qui nous entoure et celui qui nous attend.
Pendant quarante ans, Peter Sloterdijk a pris quotidiennement des « notes » dans de grands cahiers qui n'ont jamais été exploités. L'auteur de Sphères et de Tu dois changer ta vie a finalement accepté d'en publier une dizaine, couvrant la période 2008-2011. À mi-chemin entre le journal et les notes philosophiques, écrites d'une plume vive et mordante, nous y découvrons l'auteur au travail, ses projets, ses voyages, ses colères, ses souffrances et ses émerveillements. On y devine l'angoisse de la mort, la solitude du penseur, la difficulté à vivre dans cette époque qui est la nôtre ¿ « Quand nous partirons, écrit Peter Sloterdijk à la fin de ces notes, nous aurons le sentiment d'avoir passé notre enfance dans l'Antiquité, nos années de maturité dans un Moyen Âge que l'on appelait la modernité et nos journées de vieillesse dans une époque monstrueuse pour laquelle nous n'avons pas encore de nom. » Mais l'ouvrage fait aussi apparaître comment, au fil des jours et des lignes, une oeuvre majeure de la philosophie contemporaine se forme, entre la mélancolie de vivre et le bouillonnement des idées.
L'une des caractéristiques majeures des oeuvres de Peter Sloterdijk est le lien qu'il sait nouer entre
le récit et la réflexion philosophique. C'est à cette qualité récurrente que l'on doit ce voyage
renversant opéré au coeur de la globalisation à l'aube du XXIe siècle.
Pour Peter Sloterdijk, l'année 1492 sonne le début de cette « mondialisation » qui a été précédé, du
point de vue scientifique, par « l'arrondissement » d'une planète que l'on croyait plate. Esprit
d'entreprise et goût du risque caractérisaient ce phénomène d'abord porté par des découvreurs et
des investisseurs, et qui a pris aujourd'hui une forme essentiellement économique.
Dans la phase finale de la globalisation, le système mondia l s'est totalement épanoui ; il donne à
toutes les formes de la vie les traits du capitalisme. Peter Sloterdijk utilise le Palais de Cristal de
Londres, lieu de la première exposition mondiale de 1851, comme métaphore extrêmement
éloquente de cette situation : le palais symbolise le caractère inévitablement exclusif de la
globalisation, la création d'une structure de confort, c'est-à-dire la construction d'un espace intérieur
dont les frontières sont invisibles, mais pratiquement infranchissables de l'extérieur, habité par un
milliard et demi de gagnants de la globalisation - ils sont trois fois plus nombreux à attendre devant
la porte.
« Le fait central des Temps Modernes n'est pas que la Terre tourne autour du soleil, mais que
l'argent court autour de la Terre. »
De Rousseau au Mont Ventoux, il n'y a peut-être qu'un tour de roue de vélo : celle de Peter Sloterdijk, philosophe dont on connaît la prestigieuse trilogie Sphères, les volumes majeurs que sont Colère et Temps ou Il faut changer ta vie, mais dont on ignore souvent les rapports complexes qu'il entretient avec la France. Il y exprime un amour teinté de distance et parfois d'ironie pour les grands auteurs français ou francophones ' Descartes, Voltaire, Dumas, Althusser, René Girard, Bruno Latour et tant d'autres. Il revient sur les grands événements de l'histoire de France, notamment la Révolution. Il observe avec étonnement le monde et de la vie politique en France ' on y trouvera entre autres un passage surprenant concernant Jean-Pierre Chevènement, et le texte fulminant paru sous le titre Théorie des après-guerres. Il évoque aussi les paysages et la montagne française dans un entretien inédit.
Cette mosaïque de vingt-deux textes (parfois parus en France en volume, parfois inédits) compose un portrait philosophique, politique, intellectuel et historique de la France telle que la voit Sloterdijk ' sans complaisance, mais sans renier ses admirations.