Agnes Heller dans ce recueil sur l'Europe, met en discussion les "valeurs communes européennes", s'interroge sur le rôle des simples citoyens et se demande si: "L'Europe est quelque chose de plus qu'un musée?" Dans ces textes, il est question des grands paradoxes qui caractérisent si bien le continent européen que la culture occidentale : l'universalisme humaniste et le fanatisme nationaliste, la tolérance et la xénophobie, le totalitarisme et la liberté.
Dans cet essai, Emanuele Coccia s'interroge sur la sensibilité, sur la vie sensible. Mais si la sensibilité est si évidemment présente en nous, si elle est l'évidence même, si nous cherchons, par tous les moyens, à jouir d'elle et à jouir avec elle, comment se fait-il que la philosophie lui ait comme tourné le dos ? Ce livre est donc en premier lieu une réhabilitation de la sensibilité. Car cette réhabilitation est urgente. De fait, par la sensibilité nous tenons au monde et le monde tient à nous. Mais cette réhabilitation prend aussi la forme d'une réflexion inattendue sur l'image - cette modalité par laquelle nous rendons sensibles les idées. L'image n'est-elle pas la forme sensible de l'autre ? A travers de brefs paragraphes qui invitent au rêve et à la méditation, cet essai riche et stimulant s'articule en deux parties qui tendent, la première à définir ce que nous appelons sensibilité, vie sensible ; la seconde à penser le rapport de l'image et de la sensibilité.
Elles sont parmi les habitants les plus nombreux de notre planète et pourtant la philosophie les a négligées, voire haïes : les plantes ont depuis toujours été la cible d'un snobisme métaphysique. Malgré le développement de l'écologie, la démultiplication des débats sur la nature ou sur les questions animales, les plantes - leur forme de vie, leur nature - restent une énigme pour la philosophie. En mêlant exemples tirés de la philosophie, des sciences naturelles et de l'art, ce livre s'efforce de pénétrer le mystère de ces êtres singuliers.
Est-ce que notre aptitude à juger, à distinguer le bien du mal, le beau du laid, est dépendante de notre faculté de penser ? Tant d'années après le procès Eichmann, Hannah Arendt revient dans ce bref essai, écrit en 1970, à la question du mal. Eichmann n'était ni monstrueux ni démoniaque, et la seule caractéristique décelable dans son passé comme dans son comportement durant le procès et l'interrogatoire était un fait négatif : ce n'était pas de la stupidité mais une extraordinaire superficialité. La question que Hannah Arendt pose est : l'activité de penser en elle-même, l'habitude de tout examiner et de réfléchir à tout ce qui arrive, sans égard au contenu spécifique, et sans souci des conséquences, cette activité peut-elle être de nature telle qu'elle conditionne les hommes à ne pas faire le mal ? Est-ce que le désastreux manque de ce que nous nommons conscience n'est pas finalement qu'une inaptitude à penser ?
Haïr l'indifférence, c'est à la fois haïr l'acceptation des choses comme elles vont et détester la confiance faite aux experts, qui n'est autre que la paresse qui contribue au cours des choses.
L'indignation ne suffit pas, si elle n'est que simple mouvement du coeur. Elle commande l'analyse.
Les axes de réflexion de ce regroupement de textes sont autant de pistes pour aujourd'hui : la politique et les politiques ; l'éducation des peuples ; la liberté et la loi ; les maux de l'État italien ; contre la guerre. Des textes qui remontent pourtant presque tous aux années 1917 et 1918. C'est à cette époque que Gramsci forge les principaux éléments de sa théorie.
« J'appellerai littéralement dispositif tout ce qui a, d'une manière ou d'une autre, la capacité de capturer, d'orienter, de déterminer, d'intercepter, de modeler, de contrôler et d'assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants. Pas seulement les prisons donc, les asiles, le panoptikon, les écoles, la confession, les usines, les disciplines, les mesures juridiques, dont l'articulation avec le pouvoir est en un sens évidente, mais aussi, le stylo, l'écriture, la littérature, la philosophie, l'agriculture, la cigarette, la navigation, les ordinateurs, les téléphones portables, et, pourquoi pas, le langage lui-même ». Le dispositif nomme un ensemble de praxis, de savoirs, de mesures, d'institutions dont le but est de gérer, de gouverner, de contrôler et d'orienter, en un sens qui se veut utile, les comportements, les gestes et les pensées des hommes. Nous sommes pris dans des dispositifs : nous nous transportons, nous nous parlons, nous nous rapportons à nous-mêmes à travers des dispositifs. Nous appartenons aux dispositifs tout autant qu'ils font partie de nos vies. Mais qu'est-ce qu'un dispositif et comment situer l'analyse qui pourrait nous en délivrer ? Dans ce texte bref et incisif, Giorgio Agamben ne se contente pas de poser la question mais explique comment elle s'est posée à lui.
On peut lire son essai comme une leçon de méthode, comme une analyse de notre société, comme une nouvelle orientation pour fonder l'anthropologie. C'est que l'analyse des dispositifs débouche sur une enquête d'une grande portée : « Il y a donc deux classes : les êtres vivants (ou les substances) et les dispositifs. Entre les deux, comme tiers, les sujets. J'appelle sujet ce qui résulte de la relation, et pour ainsi dire, du corps à corps entre les vivants et les dispositifs ».
La guerre n'est que la poursuite de la politique par d'autres moyens. Le premier acte de guerre est de désigner l'ennemi. La guerre est un acte de violence destiné à contraindre l'adversaire à se soumettre à notre volonté. La guerre est un jeu d'interaction entre incertitudes, frictions et hasards. C'est à la fois un acte d'intelligence politique, un calcul de probabilités et une disponibilité au risque.
Le livre de Clausewitz (1780-1831) est le classique de la guerre moderne. Cette édition propose, dans une nouvelle traduction, les parties fondamentales du Vom Kriege, pour permettre au lecteur d'accéder à cette oeuvre majeure, dans une forme abrégée mais fidèle à la structure originelle.
Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps.
Le 27 avril 1985, Emmanuel Levinas prononce une conférence sur le thème de l'individu intitulée « De l'unicité ». À l'heure des bilans, comment la conscience de l'individu européen peut-elle véritablement demeurer en paix ? Le texte de Levinas est une invitation à penser « l'individu humain » dans sa subjectivité propre d'être unique, dans son « unicité d'unique ». Sans rompre avec la rigueur des formes logiques du langage, Levinas revient sur des questions qui lui sont chères : telles que l'amour du prochain et la justice. La réflexion éthique ouvre désormais un horizon politique. Inédit
Ce texte fondamental de Sandor Ferenczi, l'un de ses plus célèbres, est d'une terrible actualité. Car en décrivant deux processus névrotiques essentiels chez l'enfant - l'identification à l'agresseur, la prématuration psychique face à la folie adulte et au terrorisme de la souffrance -, il signe le retour en force de la théorie de la séduction, une séduction liée aux pratiques violentes et passionnelles des parents face aux besoins de tendresse physique émanant des enfants.
Prononcée plusieurs fois en 1935 et 1936, cette conférence sur l'oeuvre d'art est un texte majeur de Martin Heidegger (1889-1976), l'un des philosophes les plus importants et les plus controversés du XXe siècle. La version que nous publions est inédite en français : c'est celle de la première conférence prononcée. Heidegger y déconstruit le concept d'art tel qu'il est hérité de la tradition idéaliste platonicienne, pour ouvrir une compréhension de l'art radicalement neuve. Elle s'inscrit dans le contexte de la montée en puissance du nazisme, dont Heidegger avait d'abord été partie prenante, en tant que recteur de l'université de Fribourg jusqu'en avril 1934, mais ne saurait en aucun cas se réduire à un texte nazi. Dès sa lecture approfondie de Hölderlin en 1934-1935, Heidegger s'engage dans ce qu'il nomme lui-même un « tournant », qui l'éloigne à la fois de ses écrits de jeunesse et de son engagement politique. Sa pensée n'en garde pas moins une ambition immense, en cherchant à ouvrir une nouvelle histoire pour l'humanité.
Du rôle de l'argent dans les rapports entre les sexes jusqu'à l'utopie d'un Éros fait de réciprocité, par exaltation (et non par effacement) des singularités qualitatives, Georg Simmel, ce classique de la sociologie moderne, parcourt ici le vaste champ des déterminations qui conditionnent le masculin et le féminin, et envisage les changements d'optique qui permettraient de les déconditionner. Sa réflexion passe aussi bien par une phénoménologie des comportements quotidiens (La Psychologie de la coquetterie) que par une série d'interrogations générales sur la culture féminine, ce lieu de toutes les convergences et toutes les bifurcations possibles. Georg Simmel offre l'exemple d'une sociologie en liberté qui, loin de s'enliser dans le positivisme, joue simultanément de toutes les ressources qu'offre l'imagination militante alliée à l'analyse exacte.
Cet essai devait à l'origine figurer dans le troisième volume de L'Obsolescence de. l'homme, oeuvre maîtresse de Günther Anders, volume qui n'a jamais vu le jour. Ce texte à demi dialogué, on pourrait dire théâtral, se montre riche en aperçus de tous genres, sous-tendu par une dialectique toujours surprenante. Un essai magistral, pratiquant l'exagération et le paradoxe comme sources d'insurrection permanente contre une époque glaciaire. Un texte classique au sens fort : à lire en classe, pour l'instruction des générations qui viennent.
révolution non violente est certainement l'ouvrage qui permet le mieux de comprendre, de l'intérieur, ce que fut le grand mouvement de libération des noirs américains.
dans ce livre consacré à la " révolution noire " qui éclata en 1963 en divers points des etats-unis, martin luther king, prix nobel de la paix 1964, raconte l'action extraordinaire qu'il mena avec son mouvement en faveur des droits civiques. action non violente, mais action directe, menée sur plusieurs fronts, et qui fut illustrée par la célèbre marche sur washington et par le vote au sénat de la loi sur les droits civiques.
mais les pages de ce livre n'évoquent pas seulement une action. elles révèlent aussi toute la personnalité de martin luther king, à la fois humble et passionnée, profondément attachante dans ses appels si lucides, émouvante dans la célèbre lettre, si sereine, qu'il écrivit du fond de sa cellule dans la prison de birmingham.
La recherche ici entreprise dans le sillage de «Homo sacer» ne porte pas sur les circonstances historiques dans lesquelles s'est accomplie la destruction des juifs d'Europe, mais sur la structure et la signification du témoignage. Il s'agit de prendre au sérieux le paradoxe de Primo Levi, selon lequel tout témoignage contient nécessairement une lacune, le témoin intégral étant celui qui ne peut témoigner.
Il s'agit de ceux qui « ont touché le fond », des déportés dont la mort « avait commencé avant la mort corporelle » ? bref, de tous ceux que, dans le jargon d'Auschwitz, l'on appelait les « musulmans ». On a essayé ici de regarder cet invisible, de tenir compte des « témoins intégraux » pour l'interprétation d'Auschwitz. On propose, par là, une réfutation radicale du révisionnisme. Dans cette perspective, en effet, Auschwitz ne se présente pas seulement comme le camp de la mort, mais aussi comme le lieu d'une expérience encore plus atroce, où les frontières entre l'humain et l'inhumain, la vie et la mort s'estompent ; et, mise à l'épreuve d'Auschwitz, toute la réflexion de notre temps montre son insuffisance pour laisser apparaître parmi ses ruines le profil incertain d'une nouvelle terre éthique : celle du témoignage.
En marquer le sujet en tant que reste, tel est le but de ce livre.
L'espèce humaine se trouve à un carrefour.
Dotée d'une puissance en constante extension, il lui faut désormais opérer les choix ou assumer les hésitations qui lui éviteront le sort de l'apprenti sorcier. la futurologie apparaît alors non comme un charlatanisme de plus, mais comme l'indispensable évaluation des effets à longue portée, pour les générations à venir, des révolutions technologiques déferlantes d'oú peuvent surgir le meilleur et le pire.
Dresser les critères de cette évaluation, telle est la tâche du philosophe. et s'il fait appel à l'éthique, ce ne sera jamais pour brimer ou pour briser la vie, mais au contraire pour l'aider à parer les plus graves dangers, afin de lui offrir un nouveau champ de développement.
Si la politique semble aujourd'hui traverser une éclipse persistante, où elle apparaît en position subalterne par rapport à la religion, à l'économie et même au droit, c'est parce que, dans la mesure même où elle perdait conscience de son propre rang ontologique, elle a négligé de se confronter aux transformations qui ont vidé progressivement de l'intérieur ses catégories et ses concepts.
Giorgio agamben recherche des paradigmes proprement politiques dans des expériences et des phénomènes qui d'habitude ne sont pas considérés comme politiques ; la vie naturelle des hommes remise, suivant l'indication de foucault, au centre de la polis ; l'état d'exception (suspension temporaire de l'ordre juridique, qui se révèle en constituer plutôt la structure en tous sens fondamentale) ; le camp de concentration (zone d'indifférence entre public et privé et, en même temps, matrice secrète de l'espace politique dans lequel nous vivons) ; le réfugié qui, brisant le lien entre homme et citoyen, passe de figure marginale à facteur décisif de la crise de l'etat-nation moderne ; la sphère des moyens purs ou des gestes (c'est-à-dire des moyens qui, tout en restant tels, se libèrent de leur relation à une fin) comme sphère propre de la politique.
Leo strauss se penche sur la signification du nihilisme allemand, qu'il considère comme la base culturelle du national-socialisme. C'est la seule fois oú il parle du nazisme, lui qui en a connu les premiers signes en tant qu'allemand et en tant que juif. son analyse est simple et lumineuse. il démontre que loin d'être un phénomène lié à la folie d'un chef capable de sidérer un peuple entier, le nazisme est enraciné dans l'histoire de l'allemagne moderne et dans l'histoire de la modernité. sa critique s'inscrit dans la tradition philosophique classique et dans la tradition biblique, l'une et l'autre radicalement opposées au nihilisme contemporain.
La crise de notre temps est tout entière là, avec les moyens, donnés par la tradition, de la surmonter. ce livre est composé de trois essais : " sur le nihilisme allemand ", 1941, " la crise de notre temps ", 1962, et " la crise de la philosophie politique ", 1962.
Qu'est-ce qu'une règle, si elle semble se confondre avec la vie ? Et qu'est-ce qu'une vie humaine, si en chacun de ses gestes, en chacune de ses paroles, en chacun de ses silences, elle ne peut plus se distinguer de la règle ?
C'est à ces questions que le nouveau livre de Giorgio Agamben tente de donner une réponse, à la faveur d'une relecture passionnée de ce phénomène fascinant et d'une portée considérable que fut le monachisme occidental depuis Pacôme jusqu'à saint François d'Assise. Tout en s'appuyant sur une reconstruction minutieuse de la vie des moines dans leur souci obsessionnel de la scansion temporelle et de la règle, Agamben montre que la véritable nouveauté du monachisme ne réside pas dans la confusion entre la vie et la norme, mais dans la découverte d'une nouvelle dimension humaine où, pour la première fois peut-être, la «vie» comme telle s'affirme dans son autonomie et où la revendication de la «très haute pauvreté» lance au droit un défi dont notre époque doit encore tenir compte.
Réfuter Freud, tel est l'enjeu de ce livre majeur qui fonde en même temps une nouvelle théorie de la culture. Peut-on retrouver oedipe sous les Tropiques ? En méditant sur la théorie psychanalytique de la sexualité pendant qu'il se livre à l'étude des Trobriandais (Mélanésie), Bronislaw Malinowski, l'un des pères de l'ethnologie moderne, propose une analyse des transformations que la nature animale a dû subir dans les conditions anormales qui lui ont été imposées par la culture.
"Je retrouverais chez lui ce qu'on a appelé la "mentalité des grandes villes". Il y a dans cette pensée mobile et comme perpétuellement inquiète, je ne sais quoi de fiévreux, d'angoissé et de vibrant qui est spécifiquement moderne. Georg Simmel n'est pas un optimiste et ce n'est pas sa Tragédie de la culture qui peut nous promettre le repos et la quiétude : Georg Simmel, comme Pascal, approuverait volontiers ceux qui "cherchent en gémissant". Mais, comme Pascal aussi, il espère dans un Absolu qui rendra peut-être un jour à l'esprit sa confiante sérénité." (Vladimir Jankélévitch)
On ne résume pas un tel ouvrage - monumental, riche et foisonnant. Disons simplement qu'il est le résultat d'un pari insensé : qu'un homme puisse, à lui seul, s'emparer de la ville et nous en restituer toutes les facettes, tous les secrets.
Qu'il s'agisse de l'arrivée sous la pluie dans une petite ville, des manifestations de rue, des dérives nocturnes ou des promenades matinales, des rythmes urbains, de la symbolique de la rue, du carrefour ou du boulevard, des
transports (bus, taxi, métro), de personnages emblématiques (prostituée, clochard), des quartiers et faubourgs, ou encore des intérieurs (hôtels, studios, salles de bain, de séjour), on se laissera donc porter par la prose d'un Sansot éblouissant, au gré de ses intuitions malicieuses et de sa géographie sentimentale.
On tente ici d'organiser, autour du concept de critique, doublé de celui d'utopie, une lecture suivie - c'est-à-dire conséquente - des écrits de Walter Benjamin (1892-1940). Un troisième terme, celui de crise, dessine entre les deux premiers l'espace problématique d'une histoire en train de se faire ou de se défaire.
Sous le titre de Crise et Critique, Benjamin a envisagé avec Brecht et quelques autres, à l'heure de la montée des périls dans la jeune République allemande de Weimar, (et plus précisément au tournant de l'année 1930) la publication d'une revue engagée sur le front de l'art, de la littérature et de la culture. Ce projet avorta, mais les échanges auxquels il donna lieu alimentent la définition benjaminienne de la - tâche de la critique - (un ensemble de fragments éclatés). A vrai dire, Benjamin n'avait pas attendu ce moment pour mettre au premier plan de sa pensée la notion de critique. Chacun des objets qu'il a étudiés jusqu'alors - le concept de critique d'art dans le romantisme allemand, Les Affinités électives de Goethe, origine du drame baroque allemand - lui permet de creuser sous divers angles une théorie de la critique indissociable de la pratique de celle-ci. La critique proprement littéraire, ce faisant, ne manque pas de border la philosophie de l'art, ni de déborder vers l'histoire et la politique, ce dernier trait s'accentuant, sous la pression des circonstances, avec Sens unique (1928) et le Passagenwerk, l'Oeuvre des Passages (1928-1940).
Le recueil de textes présenté ici - coupe transversale dans les écrits de Benjamin - repose sur des extraits et des fragments significatifs, attestant d'une méthode qui se veut mobile pour affronter et exploiter tout à la fois le grand vent de l'époque. S'il y a quelque risque à bâtir ainsi sur des éléments dispersés - mais d'un autre côté tout autant rassemblés -, on est en droit de s'y sentir autorisé par la démarche de l'auteur lui-même, procédant volontiers par citation et montage.
Cet ouvrage de giorgio agamben a une première qualité rare et évidente : son élégance.
Ses quatre parties rassemblent chacune, en autant de " stanze " en prose, des essais discontinus, intitulés melencolia i ou narcisse et pygmalion, ou å'dipe et le sphinx, qui parlent aussi bien à l'intellect qu'à l'imagination, et que relie un réseau problématique parfaitement cohérent. le style de l'auteur a cette densité gnomique de la prose atticiste, chère aux " sénéquistes " du xviie siècle, qui entre en consonance harmonieuse avec l'oratio stricta des poètes et des philosophes évoqués ou étudiés dans ce livre : dante et les troubadours, baudelaire et nietzsche, mallarmé et lacan.
Mais cette densité n'est jamais obscure : ou du moins, son obscurité n'est que le prix de l'éclaircissement, de la percée à la fois érudite et philosophique. le bonheur d'expression littéraire est ici la récompense du bonheur de la pensée.