Nous sommes dans les années cinquante. Au large de Boston, sur un îlot nommé Shutter Island, se dresse un groupe de bâtiments à l'allure sinistre. C'est un hôpital psychiatrique pour assassins. Le Marshal Teddy Daniels et son coéquipier Chuck Aule ont été appelés par les autorités de cette prison-hôpital car l'une des patientes, Rachel Solando, manque à l'appel. Comment a-t-elle pu sortir d'une cellule fermée à clé de l'extérieur ? Le seul indice retrouvé dans la pièce est une feuille de papier sur laquelle on peut lire une suite de chiffres et de lettres sans signification apparente. Oeuvre incohérente d'une malade ou cryptogramme ? Progressivement, les deux policiers s'enfoncent dans un monde de plus en plus opaque et angoissant, jusqu'au choc final de la vérité.
Au soir de ses quatorze ans, dans une boutique désaffectée de Harlem, au milieu des prières et des trépignements cadencés de ses frères, au rythme hallucinant des tambourins, John Grimes traverse un moment essentiel, une nuit de révélation personnelle, entre crise existentielle et épiphanie. Dans ce premier roman écrit en 1952, James Baldwin raconte, avec des accents d'une sincérité déchirante, à la fois son expérience et une odyssée collective, celle d'une famille aux attitudes violemment contrastées, celle d'un peuple venant du Sud rural dans un ghetto du Nord. Ce texte, devenu un classique, est un des premiers livres sur la condition des Noirs.
"Pinocchio n'est pas un conte ni un roman, il n'est assignable à aucun genre littéraire ; tout comme son protagoniste, qui n'est ni un animal ni un garçon, n'est pas même un « quoi », mais seulement un « comment » : il est, au sens le plus strict, une voie de sortie, ou une échappatoire, aussi bien hors de l'humain que de l'inhumain - c'est pour cela qu'il ne fait que courir, et que quand il s'arrête, à la fin, il est perdu". (Giorgio Agamben) Un texte magistral sur le livre "Pinocchio" par l'un des grands philosophes de notre époque.
Dans cet essai, Emanuele Coccia s'interroge sur la sensibilité, sur la vie sensible. Mais si la sensibilité est si évidemment présente en nous, si elle est l'évidence même, si nous cherchons, par tous les moyens, à jouir d'elle et à jouir avec elle, comment se fait-il que la philosophie lui ait comme tourné le dos ? Ce livre est donc en premier lieu une réhabilitation de la sensibilité. Car cette réhabilitation est urgente. De fait, par la sensibilité nous tenons au monde et le monde tient à nous. Mais cette réhabilitation prend aussi la forme d'une réflexion inattendue sur l'image - cette modalité par laquelle nous rendons sensibles les idées. L'image n'est-elle pas la forme sensible de l'autre ? A travers de brefs paragraphes qui invitent au rêve et à la méditation, cet essai riche et stimulant s'articule en deux parties qui tendent, la première à définir ce que nous appelons sensibilité, vie sensible ; la seconde à penser le rapport de l'image et de la sensibilité.
Est-ce que notre aptitude à juger, à distinguer le bien du mal, le beau du laid, est dépendante de notre faculté de penser ? Tant d'années après le procès Eichmann, Hannah Arendt revient dans ce bref essai, écrit en 1970, à la question du mal. Eichmann n'était ni monstrueux ni démoniaque, et la seule caractéristique décelable dans son passé comme dans son comportement durant le procès et l'interrogatoire était un fait négatif : ce n'était pas de la stupidité mais une extraordinaire superficialité. La question que Hannah Arendt pose est : l'activité de penser en elle-même, l'habitude de tout examiner et de réfléchir à tout ce qui arrive, sans égard au contenu spécifique, et sans souci des conséquences, cette activité peut-elle être de nature telle qu'elle conditionne les hommes à ne pas faire le mal ? Est-ce que le désastreux manque de ce que nous nommons conscience n'est pas finalement qu'une inaptitude à penser ?
Quelle est cette maison qui brûle ? Le pays où l'on vit ou bien l'Europe, ou encore le monde entier ? Peut-être les maisons et les villes ont-elles déjà brûlé, depuis on ne sait combien de temps, dans un unique et immense brasier que nous avons feint de ne pas voir.
Haïr l'indifférence, c'est à la fois haïr l'acceptation des choses comme elles vont et détester la confiance faite aux experts, qui n'est autre que la paresse qui contribue au cours des choses.
L'indignation ne suffit pas, si elle n'est que simple mouvement du coeur. Elle commande l'analyse.
Les axes de réflexion de ce regroupement de textes sont autant de pistes pour aujourd'hui : la politique et les politiques ; l'éducation des peuples ; la liberté et la loi ; les maux de l'État italien ; contre la guerre. Des textes qui remontent pourtant presque tous aux années 1917 et 1918. C'est à cette époque que Gramsci forge les principaux éléments de sa théorie.
« J'appellerai littéralement dispositif tout ce qui a, d'une manière ou d'une autre, la capacité de capturer, d'orienter, de déterminer, d'intercepter, de modeler, de contrôler et d'assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants. Pas seulement les prisons donc, les asiles, le panoptikon, les écoles, la confession, les usines, les disciplines, les mesures juridiques, dont l'articulation avec le pouvoir est en un sens évidente, mais aussi, le stylo, l'écriture, la littérature, la philosophie, l'agriculture, la cigarette, la navigation, les ordinateurs, les téléphones portables, et, pourquoi pas, le langage lui-même ». Le dispositif nomme un ensemble de praxis, de savoirs, de mesures, d'institutions dont le but est de gérer, de gouverner, de contrôler et d'orienter, en un sens qui se veut utile, les comportements, les gestes et les pensées des hommes. Nous sommes pris dans des dispositifs : nous nous transportons, nous nous parlons, nous nous rapportons à nous-mêmes à travers des dispositifs. Nous appartenons aux dispositifs tout autant qu'ils font partie de nos vies. Mais qu'est-ce qu'un dispositif et comment situer l'analyse qui pourrait nous en délivrer ? Dans ce texte bref et incisif, Giorgio Agamben ne se contente pas de poser la question mais explique comment elle s'est posée à lui.
On peut lire son essai comme une leçon de méthode, comme une analyse de notre société, comme une nouvelle orientation pour fonder l'anthropologie. C'est que l'analyse des dispositifs débouche sur une enquête d'une grande portée : « Il y a donc deux classes : les êtres vivants (ou les substances) et les dispositifs. Entre les deux, comme tiers, les sujets. J'appelle sujet ce qui résulte de la relation, et pour ainsi dire, du corps à corps entre les vivants et les dispositifs ».
La guerre n'est que la poursuite de la politique par d'autres moyens. Le premier acte de guerre est de désigner l'ennemi. La guerre est un acte de violence destiné à contraindre l'adversaire à se soumettre à notre volonté. La guerre est un jeu d'interaction entre incertitudes, frictions et hasards. C'est à la fois un acte d'intelligence politique, un calcul de probabilités et une disponibilité au risque.
Le livre de Clausewitz (1780-1831) est le classique de la guerre moderne. Cette édition propose, dans une nouvelle traduction, les parties fondamentales du Vom Kriege, pour permettre au lecteur d'accéder à cette oeuvre majeure, dans une forme abrégée mais fidèle à la structure originelle.
«La religion de mon temps» sort en mai 1961, au moment Pasolini commence sa carrière cinématographique. Il revient d'Inde où il s'est rendu avec Alberto Moravia et où l'a rejoint Elsa Morante. C'est à elle qu'il le dédie. Son amie est mystique, et même catholique. Il a, lui, avec la religion un rapport plus complexe, dont témoigne en particulier ce recueil. Comme dans tous ses recueils, Pasolini utilise la poésie de plusieurs façons : intime, politique, descriptive, sociale, provocatrice, réflexive. Invectives et prières, clamées ou murmurées, confessions et dénonciations, contemplations et méditations, récits et dialogues alternent dans ces poèmes animés comme il aimera le dire plus tard d'une « vitalité désespérée ». Témoin, compagnon, amoureux des pauvres, il tente de décrire un monde de la nuit et de la misère, riche d'une lumière qu'il ne sait pas avoir.
En quelques pages, Truman Capote prouve dans cette nouvelle sa puissance émotionnelle, loin du mythe de l'écrivain star adepte des colonnes mondaines. Un jeune garçon, Bobby, doit quitter la ferme de son enfance pour rejoindre les bancs de l'école. Derrière le masque de la fiction, on retrouve la nostalgie et la mélancolie qui planent sur toute l'oeuvre de Capote. Un petit bijou de délicatesse.
Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps.
« L'amitié est si étroitement liée à la définition de la philosophie que l'on peut dire que sans elle la philosophie ne serait pas possible. L'intimité entre amitié et philosophie est si profonde que celle-ci inclut le philos, l'ami, dans son nom même. » Giorgio Agamben relit Aristote pour retrouver la signification de l'amitié. L'ami est un autre soi-même avec lequel on partage le fait d'exister, la douceur même de vivre. C'est pourquoi l'amitié ouvre l'espace d'une communauté et d'une politique qui précèdent toute identité et tout partage.
Publié initialement en 1930, Paroles de chien est un récit raconté à la première personne par un chien appelé Bottes, un Aberdeen terrier comme celui que possédait Kipling. Contrairement aux autres animaux "anthropomorphisés" par Kipling dans ses Histoires comme ça ou dans les deux Livres de la Jungle, si le héros canin de ce livre à l'humour très anglais peut parler, il possède un vocabulaire simple et n'est pas capable de comprendre ce qu'il observe. Et c'est cette caractéristique qui fait tout le sel de cette autobiographie d'un chien, qui voit en son maître un Dieu. Bottes est le témoin privilégié de ces humains dont il partage le quotidien et les péripéties, des plus quotidiennes aux plus originales. Mais il est aussi un animal parmi les autres : ceux de son espèce d'abord, et également un renard apprivoisé et le chat Cuisine, son éternel adversaire. Avec une pointe d'ironie innocente, Kipling nous permet de voir le monde à travers les yeux de notre plus fidèle compagnon, et nous révèle une fois encore, avec ce livre qui devrait ravir plus d'un lecteur, toute la verve surprenante de son talent de narrateur. On dit souvent de son animal domestique qu'il ne lui manque que la parole. Avec Paroles de chien, Kipling a enfin réparé cette injustice !
Dans la culture occidentale, principe, création et commandement sont des notions étroitement liées. L'«archè» (l'origine) est toujours déjà le commandement, et le commencement toujours le principe qui gouverne et commande. C'est vrai aussi bien dans la théologie que dans la tradition philosophique et politique, où principe et création, commandement et volonté forment ensemble un dispositif stratégique au fondement de notre société. Les cinq textes rassemblés ici cherchent à désamorcer ce dispositif au moyen d'une enquête archéologique des concepts d'oeuvre, de création, de commandement et de volonté. (Inédit)
Regardez les murs de la ville : ils regorgent d'écrits et d'images qui nous disent comment mieux vivre, comment être nous-mêmes, comment devenir moraux. Pour qui sait la regarder, la publicité est porteuse de la morale publique. Si c'est le cas, il faut revenir avec plus de soin sur ce qui relie espace public et publicité. Le premier a mobilisé l'attention des philosophes et des sociologues; la seconde a attiré la foudre des moralistes. Et pourtant, la publicité exprime la valeur morale à venir. Pour le reconnaître, il faut opérer une véritable conversion du regard : la morale n'est pas refermée dans le rapport que nous entretenons avec les hommes et les femmes qui nous entourent ; elle est aussi, et pour une grande part, dans le rapport que nous avons avec les choses.
Ce texte fondamental de Sandor Ferenczi, l'un de ses plus célèbres, est d'une terrible actualité. Car en décrivant deux processus névrotiques essentiels chez l'enfant - l'identification à l'agresseur, la prématuration psychique face à la folie adulte et au terrorisme de la souffrance -, il signe le retour en force de la théorie de la séduction, une séduction liée aux pratiques violentes et passionnelles des parents face aux besoins de tendresse physique émanant des enfants.
Dans ce court texte écrit en 1926 pour la revue de T. S. Eliot, Virginia Woolf s'interroge sur cette expérience particulière dont personne ne parle, dont le langage peine à rendre compte mais que tout le monde connaît : la maladie. Lorsqu'on tombe malade, constate-t-elle, la vie normale interrompt son cours réglé pour laisser place à un état de contemplation où le corps reprend ses droits et où l'univers apparaît soudain dans son indifférence totale à la vie humaine.
Au moment même où il achève son grand cycle Homo Sacer, Agamben offre une réflexion sur la littérature et la création qui déplace le coeur de l'esthétique vers une réflexion plus vaste sur notre présence au monde.
Qu'est-ce que raconter ? Pourquoi raconte-t-on ? Qu'est-ce qui est en jeu dans la littérature, quel est donc ce feu que le récit a perdu et qu'il cherche coûte que coûte à retrouver ? Dans dix essais admirables consacrés à l'acte de création, Agamben revient sur sa définition par Deleuze comme « acte de résistance » : l'acte qui libère l'oeuvre de la puissance dans le geste même où elle libère sa puissance. Comme dans ses écrits précédents, l'interrogation obstinée sur le « mystère » de la littérature, menée jusque dans ses aspects les plus matériels (la transformation de la lecture dans le passage du livre à l'écran) s'entremêle à une méditation sur l'autre mystère de la modernité : celui de l'éthique et de la politique. Car comme le révèle le dernier Foucault, l'esthétique entendue comme esthétique de l'existence est désormais une des formes majeures de l'éthique.
Prononcée plusieurs fois en 1935 et 1936, cette conférence sur l'oeuvre d'art est un texte majeur de Martin Heidegger (1889-1976), l'un des philosophes les plus importants et les plus controversés du XXe siècle. La version que nous publions est inédite en français : c'est celle de la première conférence prononcée. Heidegger y déconstruit le concept d'art tel qu'il est hérité de la tradition idéaliste platonicienne, pour ouvrir une compréhension de l'art radicalement neuve. Elle s'inscrit dans le contexte de la montée en puissance du nazisme, dont Heidegger avait d'abord été partie prenante, en tant que recteur de l'université de Fribourg jusqu'en avril 1934, mais ne saurait en aucun cas se réduire à un texte nazi. Dès sa lecture approfondie de Hölderlin en 1934-1935, Heidegger s'engage dans ce qu'il nomme lui-même un « tournant », qui l'éloigne à la fois de ses écrits de jeunesse et de son engagement politique. Sa pensée n'en garde pas moins une ambition immense, en cherchant à ouvrir une nouvelle histoire pour l'humanité.
"Profaner c'est restituer à l'usage commun ce qui a été séparé dans la sphère du sacré." Cette définition offre au lecteur le fil d'Ariane qui lui permettra de s'orienter à travers les neuf petites proses théoriques dans lesquelles Giorgio Agamben a recueilli les motifs les plus urgents et les plus actuels de sa pensée en une sorte de dernier compendium. Avec un bonheur retrouvé son écriture se meut entre littérature et philosophie.
Depuis la fête qui entretient une relation contemporaine avec la boulimie, jusqu'à la nudité ; depuis le problème du corps glorieux des béats, qui ont un estomac et des organes sexuels mais qui ne mangent pas et ne font pas l'amour, jusqu'à la figure nouvelle d'une identité impersonnelle imposée à l'humanité par les dispositifs de la biométrie ; le point de fuite vers lequel convergent tous ces thèmes est le désoeuvrement. Il ne faut pas entendre ce terme comme oisiveté ou inertie, mais comme le paradigme de l'action humaine et celui d'une nouvelle politique. C'est la pratique même de ce désoeuvrement qui définit le no man's land où se meut une écriture qui est tout à la fois, pensée et littérature, divagation et fiche philologique, traité de métaphysique et note sur les moeurs.
Partant de la femme, de la différence entre l'homme et la femme, ce recueil se conclut par un retour sur l'enfance. Entre les deux il y a toute la panoplie du monde : la morale, l'érotisme, le christianisme, la presse, le théâtre, la politique, la bêtise, etc. La succession des thèmes y est autant désinvolte que réfléchie. Il ne s'agit pas en effet d'un recueil disparate, une simple succession de bons mots mais d'un véritable traité : à la fois système du monde et sa déconstruction.
Kraus révèle ici en raccourci tout le chatoiement de sa pensée : il est irritant et enthousiasmant, réactionnaire et progressiste, injuste et pertinent. Impertinent toujours !
Contrairement à ce que laisserait penser son titre, qui induit une pensée ramassée en quelques mots, on trouve dans Aphorismes des réflexions qui font parfois plus d'une page, comme si Kraus se moquait lui-même du cadre qu'il se donnait : " Un aphorisme n'a pas besoin d'être vrai, mais il doit dépasser la vérité. " Ou encore : " L'aphorisme ne recouvre jamais la vérité ; il est soit une demi-vérité, soit une vérité et demie. " On sent là une pensée en gestion, résolue à ne pas se fixer sur une vérité unique mais cherchant l'équilibre du monde dans l'oscillation perpétuelle des choses.
Selon une tradition antique, quatre divinités président à notre naissance : «Daïmon» (le Génie divin), «Tychè» (la Fortune), «Éros» (l'Amour) et «Anankè» (la Nécessité). Et nous devons leur payer un tribut tout au long de notre vie. Goethe, lui, y ajoute «Elpis »(l'Espérance). Giorgio Agamben, par une étude du concept d'aventure dans la littérature médiévale et la philosophie jusqu'à Deleuze, montre comment, dans le réseau de ces cinq instances, se joue l'aventure humaine, où se révèle pour chacun son éthique singulière.