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Point Du Jour
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Quoi de commun entre un photographe qui essaye de capturer des fantômes, un expérimentateur qui tente d'enregistrer ses pensées en disposant une plaque sensible sur son front, un opérateur de fête foraine, un prestidigitateur en chambre noire, de joyeux amateurs, quelques chasseurs de reflets et des producteurs anonymes d'images énigmatiques ? Rien, si ce n'est leur appartenance à cette vaste catégorie photographique encore insuffisamment étudiée : celle du vernaculaire. La photographie vernaculaire est le plus souvent appliquée ou fonctionnelle, c'est-à-dire utilitaire. La famille est l'un de ses principaux lieux de production ou de circulation, elle est donc aussi domestique. Surtout, elle se situe hors de ce qui a été jugé le plus digne d'intérêt par les instances de légitimation culturelle. Elle se développe en périphérie de ce qui fait référence, compte et pèse dans la sphère artistique. Elle est l'autre de l'art, mais c'est précisément à ce titre qu'elle a intéressé les avant-gardes et continue d'être regardée par nombre d'artistes utilisant la photographie. En historien consciencieux, mais non sans délectation, Clément Chéroux revient dans cet ouvrage sur quelques-unes de ces pratiques vernaculaires oubliées. Elles deviennent autant d'occasions d'interroger la photographie : faut-il (ou non) croire aux images, comment s'aveugler en les regardant, qu'est-ce qu'un amateur, quel est l'inconscient photographique du cinéma de Georges Méliès, les photographes forains ont-ils le pouvoir de changer la vie en changeant de décor, quelle était la véritable activité d'Eugène Atget, pourquoi les images documentaires avaient-elles valeur d'extase pour les surréalistes ?
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Comment faire face à « un monde imparfait » ? Telle est la question que se pose le jeune Gilles Caron, appelé en 1960 à faire son service militaire en Algérie, dans une lettre à sa mère. Devenu reporter au sein de l´agence Gamma, il photographiera nombre de situations de con its durant la seconde moitié des années 1960, jusqu´à sa disparition en 1970 au Cambodge, à l´âge de trente ans. Ce livre propose un parcours à travers quelques-uns de ses reportages entre 1967 et 1970, d´Israël au Tchad, en passant par le Vietnam, le Biafra, Mai-68, l´Irlande du Nord et Prague. Un chapitre est consacré à ses photographies de tournage (notamment Baisers volés de François Truffaut et Week end de Jean-Luc Godard). Les historiens de la photographie Guillaume Blanc, Clara Bouveresse et Isabella Senuita éclairent le contexte historique et les conditions de production de ces images, pour certaines devenues célèbres, et leur diffusion par la presse à laquelle elles étaient destinées.
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Nos prisons rend compte, à travers un montage de textes et d'images, du travail mené durant trois ans par Maxence Rifflet avec des détenus. Il est ponctué de « documents » anonymes et d'oeuvres artistiques concernant les prisons, rassemblés au fil de cette recherche.
Au départ du projet, il y avait une question : comment photographier dans un espace de surveillance sans le redoubler, comment cadrer sans enfermer ? La première réponse a été de ne pas s'intéresser à l'enfermement en général, mais à des lieux particuliers : photographier des prisons, plutôt que la prison.
Les cinq premières, où Maxence Rifflet a mené ces ateliers, évoquent une longue histoire architecturale : de la petite maison d'arrêt de Cherbourg datant de 1827 à la maison centrale « ultra-sécurisée » de Condé-sur-Sarthe inaugurée en 2013, en passant par les prisons de Caen, Rouen et Val-de-Reuil dont la construction s'étend sur un siècle et demi. Conçu après Mai-81, la centre de détention expérimental de Mauzac en Dordogne se compose de bâtiments autonomes entre lesquels on peut circuler. À l'inverse, la maison d'arrêt de Villepinte, en région parisienne, illustre les restrictions spatiales induites par une surpopulation permanente.
Néanmoins, l'architecture carcérale n'est pas uniquement le sujet de ce travail ; elle est aussi le lieu où il s'est élaboré : il s'agissait de photographier non seulement des prisons, mais en prison, sans nier les contraintes que cela suppose et en collaboration avec les détenus.
Aussi, Nos prisons constitue d'abord le récit d'une expérience subjective, quoiqu'indissociable des photographies réalisées en commun. Maxence Rifflet raconte les lieux et les usages qu'il découvre, ses échanges avec les prisonniers, les relations avec l'administration, ou encore ses rencontres avec Robert Badinter, initiateur de la prison de Mauzac, avec Christian Demonchy qui en fut l'architecte avant de construire celle de Villepinte.
Le titre, dans sa simplicité, expose une dualité : nos prisons, car elles sont partie intégrante de la société où nous vivons, que nous en sommes responsables ; mais nôtres aussi, parce qu'elles semblent procéder d'une logique fatale et s'imposer à nous. En donnant une vision inédite des prisons en France aujourd'hui, ce livre engage à s'affranchir des représentations abstraites qui nous empêchent d'en imaginer même la transformation. -
De Chris Marker, on connaît généralement quelques films phares (Le Joli Mai, La Jetée, Le Fond de l'air est rouge), et parfois la légende : l'amour des bêtes, l'indépendance farouche, l'engagement constant, le goût du secret et des images. Mais son parcours biographique et artistique reste encore à explorer. Né en 1921 et décédé le jour de sa naissance, quatre-vingt-onze ans plus tard, Chris Marker a influencé plusieurs générations d'artistes et de cinéastes à travers le monde. Proche des réalisateurs Agnès Varda et Alain Resnais, célébré par le critique André Bazin dans les années 1950, il fut un des réinventeurs du documentaire et participa au mouvement du cinéma militant dans les années 1960-70. Dès les années 1980 et jusqu'à sa mort, il s'intéressa aux nouvelles technologies.
Composé de vingt-deux notices à la fois historiques et analytiques, ce livre prend en compte l'ensemble du corpus markerien - des premiers articles dans la revue Esprit aux films célèbres ou méconnus, en passant par les photographies, les objets multimédias, les textes de toute nature. Les reproductions, nombreuses qui courent tout au long du livre, sont des « bandes » composées généralement de trois photogrammes. Tantôt il s'agit de réaliser des montages, rapprochements d'extraits venus d'oeuvres différentes ; tantôt de faire droit au filmage de Marker, et de restituer sa force discrète d'évocation. Idéalement, ce circuit des images doit permettre une autre perception des oeuvres, parallèle à celle proposée par le texte.
Cette forme ouverte a paru la plus à même de restituer la diversité du « phénomène » Marker, ses complexités comme ses cohérences. Also known as Chris Marker (« Connu aussi sous le nom de Chris Marker ») est moins le portrait d'un homme ou d'un auteur qu'un récit suggestif, une traversée des signes qui en tracent les possibles visages.
Dans un important dossier-hommage publié en août 2012, au moment de la mort du cinéaste, Libération recommandait Also known as Chris Marker comme le meilleur essai consacré à Marker. Le livre, réédité à l'occasion de la manifestation « Planète Marker » au Centre Pompidou, propose une liste des oeuvres et une bibliographie actualisées.
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À la fin des années 1960, l'opposition à la guerre du Vietnam, au racisme et à l'injustice sociale se radicalise aux États-Unis, avec le soutien de nombreux artistes. Le 9 septembre 1971, une révolte éclate à la prison d'Attica dans l'État de New York. Immédiatement, les détenus, en majorité noirs, font entrer journalistes, photographes et observateurs. Pour la première fois, une mutinerie est ainsi suivie de l'intérieur. Au bout de quatre jours, l'assaut est donné. La révolte se solde par quarante-trois morts et des dizaines de blessés.
L'événement a un écho immense, entraînant enquêtes et mobilisations :
Attica devient un symbole de la lutte contre l'arbitraire. C'est cette histoire, à la fois artistique et politique, que met en lumière le livre. Elle renvoie aux conflits raciaux qui traversent toujours les États-Unis et à la situation dramatique de ses prisons. Elle engage aussi à porter plus d'attention aux conditions de détention comme aux discriminations qui existent en France aujourd'hui.
Outre documents et images d'archives, le livre rassemble des photographies et oeuvres graphiques d'artistes tels que Cornell Capa, Emory Douglas, Faith Ringgold, Martha Rosler, Stephen Shames, ou Frank Stella. Il comprend également six essais d'historiens de différentes disciplines ainsi qu'une introduction et un récit des événements par Philippe Artières, historien, directeur de recherches au CNRS et responsable de l'ouvrage.
L'historienne de l'art Elvan Zabunyan consacre son essai à l'engagement des artistes américains au cours des années 1960-1970. Se plaçant du côté du « pouvoir », l'historien de la photographie Thierry Gervais analyse la manière dont Newsweek, Time ou Life rendent compte des événements tandis que, du point de vue opposé, l'historienne du cinéma Nicole Brenez revient sur les films militants réalisés à cette époque. Les historiens de la musique Jedediah Sklower et Emmanuel Parent resituent les différents morceaux consacrés à Attica dans l'évolution des musiques populaires aux Etats-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale.
Deux essais de spécialistes de l'histoire africaine-américaine complètent cet ensemble. Le livre s'ouvre sur un panorama de la situation politique et de la contestation aux Etats-Unis, au tournant des années 1960-1970, écrit par Caroline Rolland-Diamond, professeure à l'université Paris-Ouest ; il se conclut avec un texte de Tom Holt, professeur à l'université de Chicago, sur le lien entre la prison et la discrimination raciale aux Etats-Unis.
En proposant cette diversité de points de vue, Attica, USA, 1971 espère permettre aux lecteurs français à la fois de découvrir un événement exceptionnel et une histoire dont les échos sont encore sensibles aujourd'hui.
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L'activité artistique de John Coplans (1920-2003) s'inscrit dans une vie faite de ruptures radicales et de profondes continuités. Après une enfance entre l'Angleterre et l'Afrique du Sud, il s'engage à dix-sept ans dans l'armée britannique et combat durant la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1950, il étudie l'art à Paris puis à Londres où il devient peintre. À quarante ans, Coplans part aux États-Unis et se consacre à la critique d'art ; en tant que cofondateur de la célèbre revue Artforum, il joue un rôle essentiel dans les débats des années 1960-1970. En 1980, il débute à soixante ans une Å«uvre photographique, dont son propre corps est la seule matière, et qu'il poursuivra jusqu'à sa mort. L'historien d'art Jean-François Chevrier, interlocuteur et ami de Coplans, propose ici une «Âbiographie artistique» où sont abordés les grands enjeux de l'art du second XXe siècle, notamment aux États-Unis. La deuxième partie du livre est constituée d'une anthologie de textes de Coplans.
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« Grass Grows » est issu du travail de Camille Fallet à Glasgow et de ses recherches sur l'histoire de la ville. Glasgow est une des métropoles où est né et s'est développé le capitalisme depuis la fin du XVIIIe siècle. Son architecture ancienne célèbre la puissance économique et la volonté de conquête de la Grande-Bretagne industrielle.
Au cours des années 1970-1980, la ville a connu un véritable effondrement dont l'espace urbain porte les traces. Pour Camille Fallet, elle fut le décor d'un imaginaire artistique habité par le travail de Walker Evans sur l'architecture victorienne aux États-Unis dans les années 1930. -
L'oeuvre photographique de Raoul Hausmann est restée longtemps méconnue.
De cet artiste-clé du XXe siècle, la postérité a d'abord retenu le rôle majeur au sein de Dada Berlin, les assemblages, les photomontages, les poèmes phonétiques, quand les vicissitudes de l'Histoire ont effacé cette autre facette, à tous égards prééminente, de son travail.
À partir de 1927, en Allemagne, Hausmann devient un photographe prolixe, avant que sa pratique ne décline après son départ d'Ibiza en 1936. Entre ces deux dates, il aura débattu du rôle de la photographie, publié des textes théoriques, quand ses compagnons d'aventure avaient pour nom August Sander et Lázló Moholy-Nagy, lequel ne craignait pas de déclarer : « Tout ce que je sais, je l'ai appris de Raoul. » Hausmann photographe étonne. Lui dont on connaît la veine acerbe et mordante de l'époque Dada vise ici la pacification, la réconciliation, une forme de résistance au temps par la sérénité. À partir de 1926, l'atmosphère de Berlin lui semblant de plus en plus oppressante, il prolonge sans cesse ses séjours dans de petits villages sur la mer du Nord et sur la Baltique. Là, il photographie le sable, l'écume, les tourbières, des corps nus, les courbes des dunes, le blé, les brins d'herbe, l'anodin qui s'impose dans un éblouissement.
Son attention se porte aussi sur de modestes artefacts solitaires - râpes à fromage, chaises cannées, corbeilles en osier - tous objets troués qu'il transforme en flux, voire en tourbillon de lumière. Hausmann nomme ces expérimentations « mélanographies ». Elles restituent le saisissement né de l'apparition de l'image, écrit-il, comme « la dynamique d'un processus vivant ».
Après l'incendie du Reichtsag en 1933, Hausmann, qui sera qualifié d'artiste « dégénéré » par les nazis, quitte précipitamment l'Allemagne pour Ibiza.
Sa pratique photographique évolue. Fasciné par la pureté des maisons paysannes en forme de cubes blancs, il réalise l'inventaire photographique de ces « architectures sans architecte ». La photographie vient alors soutenir une étude anthropologique de l'habitat vernaculaire, engagée contre les théories racialistes agitant les milieux architecturaux dans les années 1930.
Lui-même intégré à la communauté insulaire, évoluant presque hors du temps, comme dans un « état de rêve » , Hausmann réalise encore des portraits saisissants des habitants, tout en continuant son travail sur les formes du végétal. Le déclenchement de la guerre d'Espagne et l'abandon presque immédiat du petit territoire d'Ibiza aux franquistes marquent le début d'un exil autrement pénible qui ne lui permettra plus de se consacrer de façon aussi assidue à la photographie.
Accompagné de textes de l'historienne d'art Cécile Bargues, auteur de Après Dada. Raoul Hausmann (Madraga, 2015), ce livre est le premier entièrement consacré à son oeuvre photographique. Il accompagne l'exposition présentée au Point du Jour à l'automne prochain, puis au Jeu de Paume début 2018.
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Gilles Raynaldy a photographié la « Jungle de Calais » au fil des neuf mois précédant l'évacuation des réfugiés qui y étaient installés, entre février et octobre 2016. Dans le récit en forme de journal qui ponctue les images, il raconte son expérience d'étranger accueilli par les habitants d'un camp devenu, avec le concours de nombreux bénévoles, un lieu de vie commune, malgré la précarité et la répression. Si Gilles Raynaldy porte témoignage, c'est avant tout de sa propre découverte de ce territoire, du temps qu'il y a passé et des rencontres qu'il y a faites, comme des difficultés et des incertitudes qui furent les siennes. L'écrivaine Marielle Macé éclaire l'approche du photographe, sa présence non intrusive, son attention aux lieux, aux détails, aux gestes. L'anthropologue Michel Agier rappelle, lui, les formes urbaines et les usages sociaux qui s'inventèrent dans la Jungle et dont les enseignements demeurent actuels.
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En décembre 1989, Gilles Saussier photographie pour l'agence Gamma la révolution roumaine. Quinze ans plus tard, il revient à Timisoara mettre en relation ses images de presse avec les événements de 1989, le passé plus lointain et la situation actuelle du pays. Vigoureuse critique du photoreportage, Le Tableau de chasse est aussi une méditation sur l art et la mort, l histoire racontée par les pouvoirs et la mémoire des sans-voix.
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Pictures ; s'approprier la photographie, New York 1979-2014
Douglas Crimp
- Point Du Jour
- 10 May 2016
- 9782912132727
Dès 1979, Douglas Crimp met en rapport, contradictoire, la reconnaissance de la photographie comme art moderniste par le musée, le marché (spécificité du médium, style propre à chaque artiste, tirages originaux) et l'usage inverse, qualifié de « postmoderniste », qu'en font de jeunes artistes (mélange des médiums, reproductions multiples, ambiguïté de l'auteur). Durant les années 1980, il poursuit cette réflexion polémique, en suivant ceux qu'on qualifie désormais de « Pictures Generation », d'après son premier article « Pictures ». Au moment de l'épidémie du sida, il insiste sur l'enjeu politique de la représentation des malades et milite au sein d'Act Up New York. Il participe alors à la naissance des Queer Studies, consacrées à la construction sociale des genres sexuels.
Enfin, dans les années 1990-2000, Crimp revient sur des artistes qu'il a contribué à faire connaître, en s'intéressant au contexte de production de leurs images. Ce recueil est une réflexion sur les différents modes d'appropriation de la photographie. Il évoque aussi le parcours d'un théoricien de l'art, gay new-yorkais, inscrit dans son époque.
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Sans doute le plus grand sculpteur du XXe siècle, Brancusi utilisa largement le film et la photographie dans les années 1920-30 ; non seulement pour documenter son oeuvre mais aussi la penser.
En effet, ces images mettent en effet deux de ses caractères essentiels : les relations changeantes entre la sculpture, l'espace et la lumière - que l'appareil permet d'enregistrer - , et les rapports d'une sculpture à l'autre - réunies dans un même cadrage.
Outre les sculptures et l'atelier, on découvre l'artiste au travail, ses modèles et amis comme Man Ray, ainsi que d'étonnants autoportraits, études de matière et expérimentations photographiques.
Les photogrammes et nombre de photographies sont ici publiés pour la première fois. L'impression en quadrichromie permet de rendre les diverses teintes des tirages noir et blanc originaux. Trois essais éclairent la notion transversale de reproduction, l'usage spécifique du cinéma et les liens de Brancusi avec Man Ray. Ils sont accompagnés d'un important appareil critique.
Cet ensemble propose, à travers le prisme inédit de l'image, une vision nouvelle tout à la fois de l'homme, de l'artiste et de l'oeuvre.
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Une route, un chemin est la description libre et documentée de deux territoires normands. Le littoral et le fleuve en sont les structures géographiques et imaginaires. Maxence Rifflet associe des séquences de photographies entrecoupées de courts récits à la première personne. Ces textes sont les fragments heurtés, sérieux et délirants, d'un journal de travail. Le photographe brosse le portrait de personnages, s'interroge sur ses images, et met en scène son écriture.
La première partie rassemble trois années de travaux sur la route "touristique" qui relie Cherbourg et Coutances par la côte. Depuis sa voiture, le voyageur contemple ces sites naturels et découvre les activités qui façonnent le paysage : légumes de sable, élevages de pré-salé, ostréiculture. Mais cette route est une rupture dans le territoire : elle traverse des sites protégés et institue une séparation entre le bocage et le littoral. La route figure les tensions entre le spectacle de la nature et une inquiétude écologique. Pour le photographe, l'attitude contemplative ne s'oppose pas à son propos documentaire, elle le renforce. Cette vue de dune est un jeu de vibration de la lumière mais l'image renseigne sur l'actualité de l'érosion des côtes. Quant au portrait de cet ostréiculteur au travail, il associe la description d'un geste à la puissance suggestive d'un flux s'échappant d'un mystérieux contenant.
En empruntant la route, Maxence Rifflet a trouvé un chemin. Son parcours sur la côte ouest de la Manche fait appel à des qualités de funambule. Nous avançons avec lui en équilibre sur un fil, entre une mer et un département par les champs et par les grèves. D'images en récits nous assistons à la construction d'un espace mental, imaginaire.
Les Boucles de la Seine - deuxième partie du livre - désignent les terres nichées dans les méandres du fleuve. Elles ont donné son nom à un parc régional qui maintient une parenthèse verte entre Rouen et le Havre. Les photographies, ici plus lumineuses que descriptives, se passent de récit. Un texte de Jean-François Chevrier relie ces deux parties et pose un regard sur cette carte figurée, précise, expérimentale et ouverte. Pour%25250Al'historien d'art, la route, le chemin, la boucle évoquent le tracé et dessinent une métaphore psychique.
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Diplopie ; l'image photographique à l'ère des médias globalisés : essai sur le 11 septembre 2001
Clément Chéroux
- Point Du Jour
- 9 September 2009
- 9782912132611
Diplopie (le fait de voir double) étudie deux effets de répétition produits par le 11-Septembre : diffusion massive d'un très petit nombre d'images dans la presse ; reprise dans ces images de celles d'une autre attaque surprise (Pearl Harbour) suivie d'une autre mobilisation nationale légitime (guerre du Pacifique). Evénement mondial sans précédent, le 11-Septembre n'illustre pas seulement une concentration économique et une diffusion instantanée, mais aussi une uniformisation imaginaire et historique.
Dans la première partie, l'auteur fait un recensement très précis des images parues dans la presse et identifie des motifs récurrents (le nuage, les ruines, etc.). Dans la seconde, il élargit son corpus à d'autres représentations, quelques mois avant et après le 11-Septembre. Cette seconde partie, plus analytique, met en lumière des superpositions d'images, tant pour des raisons factuelles (anniversaire de Pearl Harbour en 2002) qu'idéologiques (restauration, après le Vietnam, de la guerre légitime) La force du livre est d'aborder de manière nouvelle un événement très connu ; non de manière " sentimentale " ou critique, mais en analysant les images à travers lesquels il nous est apparu.
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Sous un titre apparemment anodin, La Photographie constitue en fait une oeuvre unique.
À travers de brèves séquences d'images introduites par un texte, Mulas y parcourt l'art de son temps et fait le portrait des artistes qu'il a côtoyés. Mais outre sa valeur documentaire, cet ensemble possède également une forte dimension autobiographique et spéculative. Représentant les oeuvres dans l'espace et en présence de leurs auteurs, bien souvent au travail, Mulas est conduit à s'interroger sur sa propre pratique, au croisement de la photographie et de l'art.
Après l'Hommage à Niépce, première de la série des Vérifications, le livre débute à New York en 1964 avec Marcel Duchamp. Il se poursuit, au cours des années 1960, dans les ateliers de Stella, Johns, Warhol et Lichtenstein. Mulas rapproche ensuite, via des notions telles que « le comportement » ou « le rituel », d'autres artistes américains tels que Rauschenberg, Chamberlain et Calder, ou italiens comme Pistoletto et Fontana.
Il s'intéresse aussi à « la ville », en évoquant les expositions dans l'espace public de Spolète et Pesaro, puis son projet de constituer une archive photographique de Milan. Enfin, un chapitre est consacré à la Biennale de Venise au fil de ses différentes éditions.
Les Vérifications, que Mulas réalisa dans les dernières années de sa vie, concluent le livre comme l'exposition. Dans ces planches-contacts ou associations d'images, conçues pour être présentées telles quelles, le photographe prend pour objet la photographie elle-même, ses opérations essentielles, sa relation à l'espace et au temps.
La dernière Vérification est dédiée à Marcel Duchamp. Elle montre le rouleau de pellicule qui constituait l'Hommage à Niépce sous un verre brisé à comme une manière de conjoindre, en un dernier geste, l'enregistrement photographique et le ready-made.
L'exposition réunit essentiellement des photographies parues dans La Fotografia (1973).
Elle présente une centaine de tirages d'époque en noir et blanc, appartenant aux Archives Ugo Mulas à Milan. L'exposition est coproduite avec la Fondation Henri Cartier-Bresson (Paris), en collaboration avec les Archives Ugo Mulas (Milan). Elle sera présentée à la Fondation Henri Cartier-Bresson du 15 janvier au 24 avril 2016.
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Spolia est une enquête sur la Colonne sans fin du sculpteur roumain Constantin Brancusi, érigée dans les Carpates méridionales en 1938. Suivant le cours du Jiu, Gilles Saussier explore les conditions de fabrication du monument et photographie l'arrière-pays minier où il a pris forme. Le récit de cette élévation par des ingénieurs et des ouvriers creusant infiniment sous terre croise l'histoire de l'art moderne et la construction de l'Europe contemporaine, de la révolution industrielle à l'effondrement du bloc communiste.
Les spolia désignent, dans l'architecture de l'Antiquité tardive et du Moyen Âge, les remplois de matériaux et d'éléments d'anciens édifices dans de nouvelles constructions. Pluriel du substantif neutre spolium dont l'étymologie renvoie à la dépouille d'un animal, aux pillages et aux butins de guerre.
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Fictions de Trump ; puissances des images et exercices du pouvoir
Dork Zabunyan
- Point Du Jour
- 20 October 2020
- 9782912132925
Le corps de Donald Trump est presque partout, hors de nous, sur nos écrans, pris dans des canaux d'information qui en disséminent les images fixes et animées. Il est aussi présent en nous, de manière plus ou moins flottante, dans l'esprit de ses détracteurs comme de ses partisans.
Le 45e président des États-Unis d'Amérique n'est toutefois pas l'unique sujet du livre. À partir de ses innombrables représentations audiovisuelles, avant comme après son élection, il s'agit ici d'explorer la fonction des images dans l'exercice du pouvoir aujourd'hui, les histoires qu'elles racontent comme les discours qu'elles conditionnent.
Deux questions parcourent cet essai?: quel est cet étrange amour pour le pouvoir, véhiculé par les images d'un dirigeant autoritaire, auquel adhèrent des individus qui n'ont aucun intérêt à voter pour lui?? Quels contre-feux filmiques, réels ou imaginés, sont susceptibles de mobiliser les puissances des images pour se soustraire à ce pouvoir, voire pour le contrarier??
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Houses and homes ; photographier la maison aux Etats-Unis, 1930-1990
Eliane de Larminat
- Point Du Jour
- 20 October 2020
- 9782912132932
Photographie documentaire et célébration de la maison individuelle sont deux axes essentiels de la culture visuelle des États-Unis. Cet essai s'attache à analyser leurs relations, à partir de l'oeuvre fondatrice de Walker Evans dans les années 1930, sur fond d'imaginaires et d'imageries qui remontent au dix-neuvième siècle.
Avec Evans, le motif de la maison devient une manière de regarder les espaces ordinaires, entre inconnu et déjà-vu, lyrisme et neutralité, voire empathie et ironie, qu'adopteront, chacun à leur manière, des artistes américains comme Robert Adams, Lewis Baltz, Dan Graham ou Stephen Shore.
La fécondité de ce sujet s'explique aussi par la rencontre de projets esthétiques avec des enjeux intellectuels et sociaux. Qu'il s'agisse des enquêtes des années 1930, du moment « pop » des années 1970, de la critique des banlieues ou des études culturelles, l'intérêt pour les maisons manifeste une attention aux situations collectives qu'incarne ce lieu commun de l'individualité.
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La révolte de la prison de Nancy ; 15 janvier 1972
Collectif
- Point Du Jour
- 18 May 2013
- 9782912132734
En février 1971, Michel Foucault fonde, avec des intellectuels, des militants, d'anciens détenus mais aussi des professionnels de l'institution judiciaire, le Groupe d'information sur les prisons (GIP). Son but est d'abord de rompre le silence qui pèse sur les lieux de détention en faisant connaître leur fonctionnement et en donnant la parole aux détenus. Jusqu'en 1973, le GIP mène clandestinement des « enquêtes-intolérance » qui font l'objet de publications, organise conférences de presse et actions de rue. Quelques mois après l'ouverture de ce nouveau front de lutte, éclatent différents mouvements de protestation à l'intérieur des prisons. A Nancy, le 18 janvier 1972, les détenus occupent pendant plusieurs heures les toits d'où ils font entendre leur colère et leurs revendications. Cette « mutinerie-manifestation », et le procès auquel elle donne lieu en juin, ont un formidable écho dans l'opinion.
Le livre réunit une série exceptionnelle réalisée tout au long de journée par un photographe local, Gérard Drolc, ainsi que différents documents liés à la révolte de Nancy : deux conférences de presse du GIP, avec Jean-Paul Sartre et Michel Foucault ; une tribune de Gilles Deleuze ; des interrogatoires judiciaires des prisonniers et une pièce créée par le Théâtre du Soleil d'Ariane Mnouchkine, à partir des minutes du procès. Des photographies de Martine Franck et d'Élie Kagan illustrent ces textes.
Enfin, une seconde conférence de presse de Michel Foucault, au nom du GIP, est ici publiée pour la première fois. Consacrée à la révolte de la prison de Toul, intervenue quelques semaines avant celle de Nancy, elle manifeste encore l'importance du GIP dans le parcours de l'auteur de Surveiller et punir (1975).
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La Peinture photogénique est un court texte, publié pour la première fois en février 1975 dans un catalogue d'exposition consacré à Gérard Fromanger. Le peintre et le philosophe se sont rencontrés quelques années auparavant lors des actions du Groupe d'information sur les prisons.
Gérard Fromanger travaille en utilisant des photographies projetées sur la toile. En écho à ce croisement des médiums, Michel Foucault redécouvre une période oubliée de l'histoire de la photographie, entre 1860 et 1880, où les photographes reprennent en toute liberté des thèmes picturaux, interviennent sur les tirages à la manière des peintres, mêlent les registres et les genres. Il met en relation cette production d'images « androgynes » avec l'art contemporain des années 1960-1970 (hyperréalisme, pop art, et bien sûr le travail de Gérard Fromanger). Comme à son habitude, mais sur un nouveau terrain, Michel Foucault mène ainsi une archéologie du présent et esquisse la possibilité d'une autre histoire, différente des grandes scansions établies.
Jusqu'alors uniquement disponible en recueil les Dits et écrits (Seuil, 2001), La Peinture photogénique est ici accompagnée d'un choix des différentes oeuvres auxquelles Michel Foucault fait référence. Exactement trente ans après sa mort, cette nouvelle édition met en lumière un aspect moins connu de son travail : lui l'infini lecteur était aussi un formidable regardeur d'images.
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Au travers de six études, l'ouvrage propose une approche des stratégies employées par le surréalisme pour rendre visible les notions essentielles de son esthétique, qui concilie renouvellement de l'inspiration poétique et nécessité de l'engagement politique à l'heure de la montée du fascisme.
Alors que l'idéalisme des années 1920, guidé par la magie de l'automatisme psychique, peine à devenir une arme idéologique, la photographie fournit à l'entourage d'andré breton les moyens de faire de l'image mentale une réalité concrète. pour y parvenir, les documents photographiques opèrent au coeur des usages surréalistes par le jeu des détournements qui donnent au surréalisme l'apparence prestigieuse d'une révolution scientifique.
Loin d'un univers convenu de l'onirisme, les surréalistes utilisent la trivialité des documents pour s'inscrire dans l'histoire en marche. si l'étrangeté est toujours au rendez-vous -à travers une vulgaire reproduction, un simple grossissement ou encore un instantané-elle est désormais au service de la puissance de l'esprit à transformer le monde. breton, dali, brassai, man ray et tant d'autres travaillent, au passage des années 1920-1930, à cette " illumination profane " que reconnaît alors en allemagne walter benjamin, et qui traduit la conversion du surréalisme au politique.
Cette approche anthropologique et esthétique du plus fameux courant artistique du xxe siècle montre le rôle déterminant de la photographie dans une conduite pragmatique de l'avant-garde.
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j'espère que tu vas bien.
le temps est froid. il a gelé blanc. je t'envoie une carte où tu vois le bâtiment en face de chez nous. il n'y a plus de grue comme tu vois mais de belles pelouses. ce sont des jeunes gens qui habitent là. où il y la croix c'était le nova service ; maintenant c'est une école maternelle provisoire. claudine s'est coupé la langue en tombant à l'école la semaine dernière. elle beaucoup saigné mais cela va bien maintenant.
toujours pas de nouvelles de louis. ils sont fainéants ! le 11 novembre, nous avons été à ranchères en voiture. le gardien nous a conduits. marie-paule est 9e sur 36. elle travaille bien.
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Diaporama
Constance Nouvel, Michel Poivert, Paul Sztulman
- Point Du Jour
- 20 October 2020
- 9782912132901
Diaporama fait suite à trois expositions de Constance Nouvel, présentées successivement en 2019-2020 par la Galerie In Situ ? fabienne leclerc (Paris), Le Point du Jour (Cherbourg) et le Centre photographique d´Île-de-France (Pontault-Combault). Néanmoins, ce livre ne constitue pas un catalogue des oeuvres exposées, mais bien le quatrième volet d´un cycle, qu´il synthétise et relance. À l´origine, Constance Nouvel a conçu les expositions en imaginant, sur le modèle des « plateaux » dans le jeu vidéo, un passage qui relierait trois décors d´un même univers. Le livre concrétise cette utopie et en déploie les enjeux : comment les oeuvres trouvent forme dans l´espace et en modifient-elles la perception ? À quelles images du réel l´outil photographique donne-t-il accès ? Les vues des expositions et les reproductions des oeuvres sont accompagnées d´un entretien avec le critique d´art Paul Sztulman et suivies d´un récit de science-fiction par l´historien de la photographie Michel Poivert.
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La ville que nous voyons
Claire Tenu, Jean-François Chevrier
- Point Du Jour
- 16 November 2013
- 9782912132765
À l'invitation du Point du Jour, Claire Tenu a travaillé pendant deux ans à Cherbourg. La ville que nous voyons désigne non seulement cette ville en particulier, vue à travers le livre, mais aussi toute ville, dont la découverte renouvelle une expérience semblable de la vision. Dans cette expérience, l'espace concret se superpose à un espace imaginaire ; ainsi, à Cherbourg, l'ouverture vers la mer, l'héritage napoléonien avec la construction de la rade, la peinture de Jean-François Millet natif de la région, mais aussi bien, quelle que soit la ville, la relation entre un « ici » et un « ailleurs », les traces de l'histoire, la présence vivante de l'art.
Ce livre n'est donc pas le portrait d'une ville, fût-il fragmentaire, où s'exprimerait un « style » photographique. Il constitue plutôt une manière de voir mettant en relation différentes images - telles qu'elles apparaissent dans notre tête et sous nos yeux.
Dans La ville que nous voyons, le regard de Claire Tenu a croisé d'autres regards. Certaines de ses photographies lui furent suggérées par les élèves et enseignants d'un collège avec lesquels elle a d'abord travaillé. D'autres évoquent des représentations anciennes qu'elle a réunies : cartes postales ou vues de Baldus, plans des digues ou dessins de Millet, photogrammes des Parapluies de Cherbourg ou encore un Songe de Jacob datant du XVIIIe siècle, conservé au musée de la ville. Précédées d'un avant-propos où Claire Tenu retrace les étapes de son travail, les séquences d'images sont entrecoupées de huit textes, entre récit et rêverie. Un essai de l'historien d'art Jean-François Chevrier apporte enfin un autre contrepoint à cet étrange concert.
Encarté dans l'ouvrage, se trouve un livret dépliable, issu d'un travail avec les étudiants des Beaux-Arts de Cherbourg sur une sculpture de Frank Stella visible dans la ville. Commandé par la municipalité de Miami, ce kiosque à musique monumental en inox fut fabriqué en 2001 par les Constructions mécaniques de Normandie. À la suite d'un imbroglio juridico-financier, cette « cruche cassée » (Broken Jug), qui emprunte son titre à une pièce de Kleist, est restée depuis lors sur le site du chantier naval. Inachevé et sans fonction, cet objet devient ici un livre dans le livre, auquel il fait écho et dont il s'échappe.