Si, après la Commune de 1871, les anarchistes ont fait l'objet d'une haine indescriptible, Louise Michel, du fait qu'elle était une femme, a connu cette haine multipliée d'une façon délirante.
Dans ses Mémoires, elle raconte son enfance campagnarde, ses débuts d'institutrice avant 1870 et sa lutte pour élever les enfants des quartiers pauvres. Aux premières lignes sous la Commune de 1871, le tribunal militaire versaillais la condamne à la déportation à vie en Nouvelle-Calédonie où elle sympathise avec les Canaques. Graciée, elle mène à son retour une vie de militante et d'agitatrice révolutionnaire et se déclare " anarchiste ".
Amie des frères Reclus, de Kropotkine, elle sillonne alors inlassablement la France et l'Europe et retourne souvent en prison. En 1883, elle est condamnée à six ans de réclusion criminelle pour avoir dirigé une manifestation de chômeurs. Ces Mémoires, qui servent à l'histoire de leur temps, sont aussi un document sur la misère et les luttes du peuple, écrit par une femme qui a voulu les vivre et les partager toutes.
Si l'accélération constitue le problème central de notre temps, la résonance peut être la solution. Telle est la thèse du présent ouvrage, lequel assoit les bases d'une sociologie de la « vie bonne » - en rompant avec l'idée que seules les ressources matérielles, symboliques ou psychiques suffisent à accéder au bonheur.
La qualité d'une vie humaine dépend du rapport au monde, pour peu qu'il permette une résonance. Celle-ci accroît notre puissance d'agir et, en retour, notre aptitude à nous laisser « prendre », toucher et transformer par le monde. Soit l'exact inverse d'une relation instrumentale, réifiante et « muette », à quoi nous soumet la société moderne. Car si nous les recherchons, nous éprouvons de plus en plus rarement des relations de résonance, en raison de la logique de croissance et d'accélération de la modernité, qui bouleverse en profondeur notre rapport au monde sur le plan individuel et collectif.
De l'expérience corporelle la plus basique (respiration, alimentation, sensations...) aux rapports affectifs et aux conceptions cognitives les plus élaborées, la relation au monde prend des formes très diverses : la relation avec autrui dans les sphères de l'amitié, de l'amour ou de la politique ; la relation avec une idée ou un absolu dans les sphères de la nature, de la religion, de l'art et de l'histoire ; la relation avec la matière, les artefacts, dans les sphères du travail, de l'éducation ou du sport.
Tout en analysant les tendances à la crise - écologique, démocratique, psychologique - des sociétés contemporaines, cette théorie de la résonance renouvelle de manière magistrale le cadre d'une théorie critique de la société.
Traduction de Sarah Raquillet et Sacha Zilberfarb.
Aucun ouvrage n'avait jusqu'à présent réussi à restituer toute la profondeur et l'extension universelle des dynamiques indissociablement écologiques et anthropologiques qui se sont déployées au cours des dix millénaires ayant précédé notre ère, de l'émergence de l'agriculture à la formation des premiers centres urbains, puis des premiers États.
C'est ce tour de force que réalise avec un brio extraordinaire Homo domesticus. Servi par une érudition étourdissante, une plume agile et un sens aigu de la formule, ce livre démonte implacablement le grand récit de la naissance de l'État antique comme étape cruciale de la « civilisation » humaine.
Ce faisant, il nous offre une véritable écologie politique des formes primitives d'aménagement du territoire, de l'« autodomestication » paradoxale de l'animal humain, des dynamiques démographiques et épidémiologiques de la sédentarisation et des logiques de la servitude et de la guerre dans le monde antique.
Cette fresque omnivore et iconoclaste révolutionne nos connaissances sur l'évolution de l'humanité et sur ce que Rousseau appelait « l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes ».
Le 26 mai 1828, Kaspar Hauser fit son apparition sur une place de Nuremberg. Ce jeune homme, qui semblait avoir 16 ou 17 ans, savait à peine marcher. Il n'avait pas cinquante mots en bouche et ne pouvait dire d'où il venait, ni où il allait. On l'aurait dit échappé de la Caverne de Platon. Il demeure à ce jour l'un des plus célèbres « enfants sauvages ».
Ayant grandi séquestré, coupé de tout contact humain, il fut arraché à une nuit insondable pour naître au monde une seconde fois. Rien ne le rattachait à son époque, pas même à un groupe social ou une génération. Kaspar ignorait jusqu'à la différence homme-femme. Il habitait un corps étrange et dissonant, vierge de toute socialisation. On découvrit bientôt sa sensorialité inouïe, sa vie émotionnelle intense. Du moins jusqu'à ce qu'il apprenne, douloureusement, les moeurs et usages de son temps, non sans être devenu, la rumeur enflant, l'orphelin de l'Europe.
Le plus probable est que Kaspar Hauser ait été un prince héritier, écarté d'une succession par une sombre intrigue de cour. Son assassinat, cinq ans plus tard, semble le corroborer. Le plus intéressant, toutefois, ne réside pas tant dans le mystère de ses origines ou l'énigme de sa mort que dans la capacité de cette histoire tragique, aux accents oedipiens, à en dire long sur la culture, sur nos façons d'arraisonner le monde. L'examen approfondi de cette trajectoire aberrante révèle aussi, par son anomalie même, jusqu'à quelles secrètes profondeurs le social et l'histoire s'inscrivent d'ordinaire en chacun de nous. Ce qui laisse soupçonner derrière cette vie minuscule un cas majuscule des sciences humaines et sociales.
Lorsque je lis, une voix en moi m'intime de lire (« lis ! »), tandis qu'une autre s'exécute, prêtant sa voix à celle du texte, comme le faisaient les antiques esclaves lecteurs que l'on rencontre notamment chez Platon. Lire, c'est habiter cette scène qui, même lorsqu'elle est intériorisée dans une lecture apparemment silencieuse, reste plurielle : elle est le lieu de rapports de pouvoir, de domination, d'obéissance, bref, de toute une micropolitique de la distribution des voix.
L'écoute attentive de la polyphonie vocale inhérente à la lecture conduit vers ses zones sombres : là où, par exemple chez Sade ou dans des jurisprudences récentes, elle peut devenir un exercice violent, punitif. Mais en prêtant ainsi l'oreille aux rapports conflictuels des voix lisant en nous, on est aussi conduit à revisiter l'idée, si galvaudée depuis les Lumières, selon laquelle lire libère. Les zones sombres de la lecture sont ses zones grises : là où lectrices et lecteurs, en faisant l'épreuve des pouvoirs qui s'affrontent dans leur for intérieur, s'inventent, deviennent autres. Aujourd'hui plus que jamais, à l'ère de l'hypertexte, lire, c'est faire l'expérience des puissances et des vitesses qui nous traversent et trament notre devenir.
Cette archéologie du lire dialogue avec nombre de théories de la lecture, de Hobbes à de Certeau en passant par Benjamin, Heidegger, Lacan ou Blanchot. Mais elle s'attache aussi à ausculter, d'aussi près que possible, de fascinantes scènes de lecture orchestrées par Valéry, Calvino ou Krasznahorkai.
Le projet culturel de notre modernité semble parvenu à son point d'aboutissement : la science, la technique, l'économie, l'organisation sociale et politique ont rendu les êtres et les choses disponibles de manière permanente et illimitée.
Mais alors que toutes les expériences et les richesses potentielles de l'existence gisent à notre portée, elles se dérobent soudain à nous. Le monde se referme mystérieusement ; il devient illisible et muet. Le désastre écologique montre que la conquête de notre environnement façonne un milieu hostile. Le surgissement de crises erratiques révèle l'inanité d'une volonté de contrôle débouchant sur un chaos généralisé. Et, à mesure que les promesses d'épanouissement se muent en injonctions de réussite et nos désirs en cycles infinis de frustrations, la maîtrise de nos propres vies nous échappe.
S'il en est ainsi, suggère Hartmut Rosa, c'est que le fait de disposer à notre guise de la nature, des personnes et de la beauté qui nous entourent nous prive de toute résonance avec elles. Telle est la contradiction fondamentale dans laquelle nous nous débattons. Pour la résoudre, cet essai ne nous engage pas à nous réfugier dans une posture contemplative, mais à réinventer notre relation au monde.
« Il y a maintenant presque huit ans, je me suis retrouvée de façon inattendue éperdument amoureuse d'une chienne rouge piment que j'ai appelée Cayenne. » C'est en partant des gestes les plus ordinaires du quotidien et non pas de grands principes que Donna Haraway nous invite à penser notre relation aux espèces compagnes. Ces espèces avec lesquelles nous « partageons le pain », depuis les micro-organismes qui nous peuplent jusqu'aux animaux de compagnie. Cet enchevêtrement nous conduit auprès de bouledogues français à Paris, à des projets concernant les prisonniers du Midwest, à des analyses coûts-bénéfices dans la culture marchande autour des chiens, à des souris de laboratoire et des projets de recherche en génétique, sur des terrains de baseball et d'agility, auprès de baleines munies de caméras au large de l'Alaska, sur des sites industriels d'élevage de poulets, etc.
Il s'agit ici non pas de domestication, de contrôle ou de rachat de la dette mais de contact. Quelle est la valeur ajoutée du contact ? Que nous apprennent à sentir et à faire les « zones de contact » ? Loin de tout retour romantique à une rencontre sauvage, dénuée d'intérêts et de contamination biopolitique, prendre soin du contact entre espèces « entraîne » à un perpétuel zigzag entre ce qui nous affecte, nous rattache, nous rend interdépendants, simultanément robustes et vulnérables.
Dans l'ordre de la modernité, le Nègre est le seul de tous les humains dont la chair fut faite marchandise. Mais dans un retournement spectaculaire, ce nom honni est devenu le symbole du désir de vie, une force pleinement engagée dans l'acte de création. En analysant cette étonnante contradiction de l'« expérience nègre », Achille Mbembe répond ici à quelques questions dérangeantes : la relégation de l'Europe au rang d'une simple province du monde signera-t-elle l'extinction du racisme, avec la dissolution de l'un de ses signifiants majeurs, le Nègre ? Ou au contraire, une fois dissoute cette figure historique, deviendrons-nous tous les Nègres du nouveau racisme qui pointe, avec la poussée antimigratoire en Europe et l'assignation raciale de catégories entières de la population ?
Les révolutions ne se prêtent pas aux récits linéaires. Elles sont de véritables séismes qui, en renversant l'ordre établi, renouvellent les horizons d'attente et font advenir des idées, des imaginaires et des canons esthétiques nouveaux.
Pour en mesurer les forces et les puissances de transformation, mais aussi les tensions et les contradictions, Enzo Traverso compose une constellation d'« images dialectiques », où se télescopent les « locomotives de l'histoire » de Marx et le « frein d'urgence » de Walter Benjamin, les corps sexuellement libérés d'Alexandra Kollontaï et les corps disciplinés pour bâtir la « société nouvelle », la création d'images et de symboles (la barricade, le drapeau rouge, les chansons et rituels...) et la furie iconoclaste.
Au croisement de l'histoire intellectuelle, de l'histoire visuelle et de la théorie politique, ce livre montre que l'idée de révolution offre une clé d'intelligibilité de la modernité, jusqu'à notre présent, où elle continue d'informer souterrainement notre rapport au futur et au possible.
« Pour celles et ceux qui aspirent à façonner un autre ordre des choses, le récit d'Enzo Traverso est essentiel. Pour celles et ceux qui veulent réfléchir à ce qui anime les révolutions ou en fait des naufrages, cet ouvrage rare parcourt le globe et les bibliothèques, s'intéressant à Phnom Penh et La Havane, et pas seulement à Paris et Moscou, et pensant avec Weber, Arendt, Fanon et Constant, et pas seulement avec Trotski, Lénine et Mao. » Wendy Brown, professeure de sciences politiques àl'université de Berkeley.
Martin Luther King, Malcolm X, Rosa Parks. Dans la mémoire collective, ces trois noms résument trop souvent à eux seuls le long combat des Noirs américains pour l'égalité, la justice et la dignité. Au-delà du récit convenu centré sur ces grandes figures héroïques, Black America retrace la lutte des Afro-Américains, depuis l'émancipation des esclaves en 1865 jusqu'à nos jours, en redonnant toute leur place aux acteurs - et aux actrices - anonymes mais essentiels de cette histoire inachevée.
Proposant une analyse globale des mouvements de revendications noirs, l'auteure décrit avec talent la longue sortie de la ségrégation dans l'ancien Sud esclavagiste et les luttes radicales engagées par les Noirs pour y mettre un terme. Mais elle raconte aussi une histoire moins connue : celle de l'« apartheid américain » dans le Nord et l'Ouest et des mobilisations quotidiennes des Afro-Américains pour l'amélioration de leurs conditions de vie.
Alors que l'élection de Barack Obama en 2008 à la Maison-Blanche semblait annoncer l'avènement d'une Amérique post-raciale, le mouvement Black Lives Matter, né en réaction aux violences policières dont les Noirs sont victimes, rappelle que le problème des discriminations et des inégalités raciales reste entier.
Grâce à des recherches originales dans les archives, à une analyse minutieuse de la presse afro-américaine et à un suivi précis des recherches les plus récentes sur ces sujets, l'auteure offre avec Black America une grande fresque appelée à devenir une référence incontournable sur cette question essentielle de l'histoire des États-Unis.
La crise écologique est tout à la fois une crise scientifique, politique et morale. Il suffit de penser à la réaction suscitée chez des millions de gens par les abattages d'animaux d'élevages lors de la maladie de la vache folle, ou à la crainte partagée par de plus en plus de monde à l'égard des générations futures concernant l'état du monde que nous sommes en train de leur laisser. C'est dire aussi que l'eau que nous buvons, l'air que nous respirons, les forêts qui nous entourent ne sont plus des ressources inépuisables parce qu'ils ne sont plus non plus des ressources tout court, au sens de simples moyens mais exigent aujourd'hui d'être traités comme des fins. Comment définir alors notre responsabilité morale dans cette recomposition du monde ? Il nous faut pour cela apprendre à parler aussi bien (aussi sérieusement) de l'hypothèse Gaïa que de l'effet de serre, des OVNI que des trous noirs, mais aussi du Gange, mère sacrée des Indiens que d'une manifestation sociale. Une des façons d'y arriver passe par la construction d'une différence entre des propositions morales et des positions moralistes, les premières cherchant à prendre soin de ce à quoi nous tenons, tandis que les secondes au contraire justifient les pires décisions sous couvert de bonnes intentions. La philosophie pragmatique est ici un recours car elle est une pensée du monde en train de se faire. Face à cette crise, il ne s'agit pas en effet de dire ce qu'il faudrait faire mais d'essayer de décrire au mieux ce que les gens font, non de prescrire ce qu'il faut changer dans nos modes de vie, mais d'accompagner les changements en train de se produire. De fait, ce livre cherchera à rendre compte de l'émergence de nouvelles pratiques indissociablement morales et politiques. Et ces expérimentations, amenant les acteurs concernés à « se mêler de ce qui n'est pas censé nous regarder », nous donnent quelques raisons d'espérer.
Le mythe grec d'Érysichthon nous parle d'un roi qui s'autodévora parce que rien ne pouvait assouvir sa faim - punition divine pour un outrage fait à la nature. Cette anticipation d'une société vouée à une dynamique autodestructrice constitue le point de départ de La Société autophage. Anselm Jappe y poursuit l'enquête commencée dans ses livres précédents, où il montrait - en relisant les théories de Karl Marx au prisme de la « critique de la valeur » - que la société moderne est entièrement fondée sur le travail abstrait et l'argent, la marchandise et la valeur.
Mais comment les individus vivent-ils la société marchande ? Quel type de subjectivité le capitalisme produit-il ? Pour le comprendre, il faut rouvrir le dialogue avec la tradition psychanalytique, de Freud à Erich Fromm ou Christopher Lasch. Et renoncer à l'idée, forgée par la Raison moderne, que le « sujet » est un individu libre et autonome. En réalité, ce dernier est le fruit de l'intériorisation des contraintes créées par le capitalisme, et aujourd'hui le réceptacle d'une combinaison létale entre narcissisme et fétichisme de la marchandise.
Le sujet fétichiste-narcissique ne tolère plus aucune frustration et conçoit le monde comme un moyen sans fin voué à l'illimitation et la démesure. Cette perte de sens et cette négation des limites débouchent sur ce qu'Anselm Jappe appelle la « pulsion de mort du capitalisme » : un déchaînement de violences extrêmes, de tueries de masse et de meurtres « gratuits » qui précipite le monde des hommes vers sa chute.
Dans ce contexte, les tenants de l'émancipation sociale doivent urgemment dépasser la simple indignation contre les tares du présent - qui est souvent le masque d'une nostalgie pour des stades antérieurs du capitalisme - et prendre acte d'une véritable « mutation anthropologique » ayant tous les atours d'une dynamique régressive.
Depuis qu'elle existe, l'humanité a su cultiver l'art de raconter des histoires, un art partout au coeur du lien social. Mais depuis les années 1990, aux États-Unis puis en Europe, il a été investi par les logiques de la communication et du capitalisme triomphant, sous l'appellation anodine de « storytelling » : celui-ci est devenu une arme aux mains des « gourous » du marketing, du management et de la communication politique, pour mieux formater les esprits des consommateurs et des citoyens. Derrière les campagnes publicitaires, mais aussi dans l'ombre des campagnes électorales victorieuses, de Bush à Sarkozy, se cachent les techniciens sophistiqués du storytelling management ou du digital storytelling.
C'est cet incroyable hold-up sur l'imagination des humains que révèle Christian Salmon dans ce livre, au terme d'une longue enquête consacrée aux applications toujours plus nombreuses du storytelling : le marketing s'appuie plus sur l'histoire des marques que sur leur image, les managers doivent raconter des histoires pour motiver les salariés, les militaires en Irak s'entraînent sur des jeux vidéos conçus à Hollywood et les spins doctor construisent la vie politique comme un récit...
Christian Salmon dévoile ici les rouages d'une « machine à raconter » qui remplace le raisonnement rationnel, bien plus efficace que toutes les imageries orwelliennes de la société totalitaire. Ce « nouvel ordre narratif » va au-delà de la création d'une novlangue médiatique engluant la pensée : le sujet qu'il veut formater est un individu envoûté, immergé dans un univers fictif qui filtre les perceptions, stimule les affects, encadre les comportements et les idées...
La physionomie de nos sociétés dépend de vendeurs et d'acheteurs qui ne se rencontrent plus comme autrefois sur les marchés de plein air ou dans les ateliers des artisans. Depuis un siècle, les articles jugés sur pièce ont fait place à des « produits » préemballés, bardés de marques et poussés à travers des « canaux de distribution » matériels et médiatiques ; les clients sont devenus des « consommateurs ». Ajustant chaque jour la production à la consommation et la consommation à la production, le marketing est loin d'être un simple intermédiaire : il exerce une influence profonde, nourrie de toutes les sciences sociales, y compris dans la sphère intime, en politique et à l'université. La société tout entière est « orientée-marché », sous la bénédiction de l'État et malgré bien des réticences individuelles.
Avec le management, le marketing a fait de l'entreprise l'institution cardinale de notre époque, dont notre survie dépend toujours davantage. Bien mieux que la science économique, la rationalité marketing permet de comprendre intimement les entreprises et les marchés. Et pourtant, l'histoire de ce savoir pratique indispensable au bon fonctionnement du capitalisme reste méconnue.
Et si l'inconscient lui-même n'échappait pas à l'histoire ? En le situant au-delà du social, au-delà de l'histoire, Freud a laissé la psychanalyse prisonnière d'un postulat encombrant. Il a fait comme si la structure de la personnalité qu'il observait chez ses patients viennois à la fin du XIXe siècle touchait à l'homme éternel et non aux représentants d'une époque, d'une culture, d'un univers social particuliers.
Nourri d'histoire des sensibilités, de sociologie psychologique et d'anthropologie critique, ce livre voudrait montrer en quoi notre vie psychique profonde est tout imprimée d'histoire. Pour s'en convaincre, il n'est qu'à scruter, sur la longue durée, les lentes transformations du refoulement pulsionnel et du contrôle des émotions. Elles sont étroitement corrélées aux révolutions silencieuses de nos moeurs, aux altérations souterraines de notre vie affective, aux déplacements discrets des désirs et des interdits, des seuils de pudeur et des frontières de l'intime. De là il faut conclure à l'existence de troubles d'époque et de névroses de classe. Et puis songer aussi au perpétuel renouvellement des fantasmes à partir desquels se meuvent les êtres intérieurs, aux variations du symbolisme des rêves, calquées sur les évolutions de l'imaginaire social et non sur des archétypes universels, ou encore aux mutations sourdes des complexes psycho-affectifs (dont l'OEdipe) au gré des métamorphoses de la famille, de la parenté et des rapports de genre.
Cet ouvrage invite ainsi la psychanalyse et toutes les sciences psychologiques à considérer qu'il a sans doute fallu des siècles d'histoire pour façonner les inconscients qui sont les nôtres. Une chose paraît d'ailleurs certaine : à trop séparer la psyché du social-historique, nous avons longtemps ignoré jusqu'à quel point notre vie affective et psychique demeure, dans ses strates les plus enfouies et obscures, pétrie de social et d'histoire.
Le spectre de la modernisation hante la planète. On compare les sociétés en fonction de leur plus ou moins grand degré de modernisation ; on s'interroge sur ses vertus, ses dangers, son degré d'universalité ou son obsolescence. Or, chose étrange, on manque d'une description anthropologique de ceux qui se désignent comme étant à l'origine de ce mouvement. Que nous est-il donc arrivé ? De quoi pouvons-nous hériter ? Comment bien nous présenter face aux autres cultures ?
L'auteur a mis au point un dispositif d'enquête pour repérer les valeurs multiples et contradictoires auxquelles tiennent ceux qui se disent modernes. Pour suivre le fil de l'expérience, il faut accepter qu'il y ait plusieurs régimes de vérité, plusieurs modes d'existence, plusieurs types de raison dont l'enquêteur dressera avec soin les conditions de félicité et d'infélicité. En procédant ainsi, on revisite tous les domaines dont l'ensemble forme le coeur de notre vie collective : les sciences, les techniques, mais aussi le droit, la religion, la politique et, bien sûr, l'économie, la plus étrange et la plus ethnocentrique des productions.
Ce livre est un premier « rapport d'enquête ». L'anthropologie philosophique qu'il esquisse donne à la comparaison des cultures une autre base que celle d'un front universel de modernisation. Il complique l'image que les Modernes ont d'eux-mêmes, mais aussi celle que les autres peuvent avoir sur eux. L'enjeu n'est pas mince au moment où les crises écologiques obligent les sociétés à repenser ce qu'elles ont en commun.
Les lecteurs pourront participer à l'enquête grâce à un site Internet. Ils y trouveront l'apparat critique qui complète le livre, mais aussi l'occasion de comprendre autrement les arguments ou même de participer à leur transformation. Les lecteurs deviendront co-producteurs de la version finale de l'ouvrage.
Depuis plusieurs décennies, la sociologie est régulièrement accusée d'excuser la délinquance, le crime et le terrorisme, ou même de justifier les incivilités et les échecs scolaires. À gauche comme à droite, nombre d'éditorialistes et de responsables politiques s'en prennent à une « culture de l'excuse » sociologique, voire à un « sociologisme » qui serait devenu dominant.
Bernard Lahire démonte ici cette vulgate et son lot de fantasmes et de contre-vérités. Il livre un plaidoyer lumineux pour la sociologie et, plus généralement, pour les sciences qui se donnent pour mission d'étudier avec rigueur le monde social. Il rappelle que comprendre les déterminismes sociaux et les formes de domination permet de rompre avec cette vieille philosophie de la responsabilité qui a souvent pour effet de légitimer les vainqueurs de la compétition sociale et de reconduire certains mythes comme celui du self made man, celui de la « méritocratie » ou celui du « génie » individuel.
Plus que la morale ou l'éducation civique, les sciences sociales devraient se trouver au coeur de la formation du citoyen, dès le plus jeune âge. En développant la prise de distance à l'égard du monde social, elles pourraient contribuer à former des citoyens qui seraient un peu plus sujets de leurs actions.
Comment saisir les vies oubliées, celles dont on ne sait rien ? Comment reconstituer au plus près l'atmosphère d'une époque, non pas à grands coups de pinceau, mais à partir des mille petits événements attrapés au plus près de la vie quotidienne, comme dans un tableau impressionniste ?
Arlette Farge offre ici ce qu'on appelle les « déchets » ou les « reliquats » du chercheur : ces bribes d'archives déclarées inclassables dans les inventaires, délaissées parce que hors des préoccupations présentes de l'historien. Ce sont des instantanés qui révèlent la vie sociale, affective et politique du siècle des Lumières. Prêtres, policiers, femmes, ouvriers, domestiques, artisans s'y bousculent.
De ces archives surgissent des images du corps au travail, de la peine, du soin, mais aussi des mouvements de révolte, des lettres d'amour, les mots du désir, de la violence ou de la compassion.
Le bruit de la vague, expliquait Leibnitz, résulte des milliards de gouttelettes qui la constituent ; Arlette Farge immerge son lecteur dans l'intimité de ces vies oubliées. Une nouvelle manière de faire de l'histoire.
« Pour mortels et dangereux qu'ils soient, les bidonvilles ont devant eux un avenir resplendissant. » Des taudis de Lima aux collines d'ordures de Manille, des bidonvilles marécageux de Lagos à la Vieille Ville de Pékin, on assiste à l'extension exponentielle des mégalopoles du tiers monde, produits d'un exode rural mal maîtrisé. Le big bang de la pauvreté des années 1970 et 1980 - dopé par les thérapies de choc imposées par le FMI et la Banque mondiale - a ainsi transformé les bidonvilles traditionnels en « mégabidonvilles » tentaculaires, où domine le travail informel, « musée vivant de l'exploitation humaine ».
Un milliard de personnes survivent dans les bidonvilles du monde, lieux de reproduc-tion de la misère, à laquelle les gouvernements n'apportent aucune réponse adaptée. Désormais, les habitants mettent en péril leur vie dans des zones dangereuses, instables ou polluées. Parallèlement, la machine impitoyable de la rénovation urbaine condamne des millions d'habitants pauvres au désespoir des sombres espaces périurbains. Bien loin des villes de lumière imaginées par les urbanistes, le monde urbain du XXIe siècle ressemblera de plus en plus à celui du XIXe, avec ses quartiers sordides dépeints par Dickens, Zola ou Gorki. Le pire des mondes possibles explore cette réalité urbaine méconnue et explosive, laissant entrevoir, à l'échelle planétaire, un avenir cauchemardesque.
mémoires de master et thèses de doctorat résultent d'un travail qui implique une méthode, mais aussi un savoir-faire.
quel sujet et quel directeur choisir ? une thèse - ou une cotutelle - en europe ? pourquoi faut-il penser très tôt aux multiples fonctions de l'ordinateur ? quelle démarche de recherche adopter ? quel calendrier ? quelle problématique ? comment construire sa documentation ? comment se servir au mieux d'internet ? comment passer du plan de travail au plan de rédaction ? comment entendre les conseils de son directeur de thèse ? comment rédiger ? comment réaliser la bibliographie, la table des matières, les index ? comment présenter la thèse ? comment se préparer à la soutenance ? des conseils qui ont fait leurs preuves depuis plus de vingt ans.
et de nouveaux conseils pour faire le meilleur usage possible de son pc, de son mac et d'internet.
" le théâtre de l'opprimé est théâtre dans le sens le plus archaïque du mot.
Tous les êtres humains sont des acteurs (ils agissent !) et des spectateurs (ils observent !). nous sommes tous des spect-acteurs. ce livre est un système d'exercices (monologues corporels), de jeux (dialogues corporels) et de techniques de théâtre-image, qui peuvent être utilisés par des acteurs (ceux qui font de l'interprétation leur profession ou leur métier) aussi bien que par des non-acteurs (c'est-à-dire tout le monde !).
" augusto boal. le brésilien augusto boal est l'une des grandes figures internationales du théâtre contemporain : fondateur du théâtre de l'opprimé, sa pratique a essaimé depuis plus de trois décennies dans le monde entier. ses techniques sont largement utilisées par ceux qui ont choisi de faire du théâtre une arme politique, mais aussi par les professionnels du social (psychothérapeutes, infirmiers psychiatriques, éducateurs ou enseignants).
La nouvelle édition de ce livre, désormais devenu une référence incontournable, est entièrement actualisée et propose de nouveaux jeux, exercices et techniques.
" une pratique qui peut fort bien modifier les relations scolaires ou féconder le théâtre, comme le prouvent les expériences rapportées en fin de livre. " le monde de l'éducation.
" les exercices mis au point par augusto boal, même s'ils n'ont rien à voir avec les habituels "trainings", peuvent répondre au besoin qu'éprouvent les comédiens d'approcher les spectateurs sans se laisser engloutir.
" le monde.
Les raisons de se révolter ne manquent pas.
Mais, en démocratie, s'engager dans un combat contre l'injustice, l'inégalité ou la domination est un geste qui doit s'exprimer sous une forme d'action politique acceptable. Parmi ces formes se trouve la désobéissance civile : elle consiste, pour le citoyen, à refuser, de façon non violente, collective et publique, de remplir une obligation légale ou réglementaire parce qu'il la juge indigne ou illégitime, et parce qu'il ne s'y reconnaît pas.
Cette forme d'action est souvent considérée avec méfiance : pour certains, elle ne serait que la réaction d'une conscience froissée, puisqu'elle n'est pas articulée à un projet de changement politique ; pour d'autres, elle mettrait la démocratie en danger en rendant légitime un type d'action dont l'objet pourrait être d'en finir avec l'Etat de droit. Ce livre original, écrit par un sociologue et une philosophe, analyse le sens politique de la désobéissance, en l'articulant à une analyse approfondie des actes de désobéissance civile qui prolifèrent dans la France d'aujourd'hui - à l'école, à l'hôpital, à l'université, dans des entreprises, etc.
Il montre comment ces actes s'ancrent avant tout dans un refus de la logique du résultat et de la performance qui s'impose aujourd'hui comme un mode de gouvernement. A la dépossession qui le menace - de son métier, de sa langue, de sa voix -, le citoyen ne peut alors répondre que par la désobéissance, dont le sens politique doit être pensé.
Publié pour la première fois en 1899, The Philadelphia Negro : A Social Study est le résultat d'une recherche commandée par l'université de Pennsylvanie à W. E. B. Du Bois, alors âgé de vingt-huit ans. Associé à la jeune chercheuse blanche Isabel Eaton, Du Bois livre une analyse magistrale de la question raciale au moment où l'oppression des Noirs américains n'a jamais été aussi violente depuis l'abolition de l'esclavage en 1865.
Dans cette enquête de sociologie urbaine détaillant la formation de ce qui deviendra le ghetto noir de Philadelphie, Du Bois déploie tout son talent de sociologue, mais aussi d'historien et d'ethnologue. Cherchant à décrire et à expliquer les structures économiques, politiques et culturelles dans lesquelles vit la population noire de la ville, il entreprend un travail méthodique de collecte d'un vaste ensemble de données quantitatives et qualitatives. Son but : proposer un contre-feu sociologique aux explications dominantes de l'inégalité raciale alors fondées sur l'infériorité supposément « naturelle » des Africains-Américains.
Si Les Noirs de Philadelphie est aujourd'hui considéré comme un texte fondateur des sciences sociales, c'est aussi un livre de combat politique en faveur de l'émancipation de la minorité noire aux États-Unis. En mettant au jour ses conditions de vie réelles, Du Bois oppose la dignité noire aux préjugés raciaux afin de fonder la démocratie américaine sur la justice.
À l'évocation des mots photojournalisme ou photographie de guerre, la mémoire convoque des icônes dont les plus anciennes remontent aux années 1920 et 1930. On imagine ainsi que les conflits d'avant la Grande Guerre n'ont été que peints, dessinés et gravés ; figés dans un héroïsme un peu innocent avant que les violences du XXe siècle ne soient saisies sur pellicule dans leur réalisme cauchemardesque.
Des albums privés des soldats coloniaux aux fonds des premières agences d'images, ce livre, véritable archéologie de la photographie de conflit, est une invitation, et une éducation, à lire l'image-choc pour la désarmer plutôt que la subir. L'auteur se focalise sur les clichés de la violence physique et de la destruction armée, pris non pas comme de simples illustrations mais comme les supports d'une relation sociale. Dans ce monde de la fin du XIXe siècle, les conflits se multiplient de façon inédite et les abus coloniaux ponctuent les conquêtes. En les capturant, l'appareil photographique, devenu portable et abordable, transforme profondément l'économie visuelle de la violence, et ce bien avant 1914.
Au-delà d'une histoire des photographies des corps brutalisés et des violences armées, cet ouvrage, loin d'une pornographie du désastre, est aussi une proposition. Comment présenter des photographies montrant les atrocités indicibles pour les penser et en faire l'histoire ? L'observateur, y compris lorsque son regard plonge au coeur des ténèbres, peut retrouver dans les photographies les hommes et les femmes du passé, et non des victimes passives et anonymes figées sur le papier.