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La Fabrique
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La grande transformation numérique de nos sociétés est en passe de s'achever avec le triomphe de l'intelligence artificielle, promettant de conclure l'interconnexion des machines, des données et des calculs. Elle n'a pourtant produit aucun progrès social et pour cause : appliqués au social, les calculs sont profondément défaillants et problématiques. De la CAF à Pôle Emploi, de Parcoursup aux logiciels d'embauches automatisés, des applications de consommation à celles qui permettent la collusion des monopoles... nous sommes cernés par des calculs déficients, opaques, discriminatoires et autoritaires. Imprégnés par les recettes néolibérales, ces outils qui visent une improbable « efficacité maximale » nous empêchent de produire d'autres logiques et de mettre en oeuvre d'autres politiques économiques et sociales.
Hubert Guillaud ne se contente pas d'exposer au grand jour l'impéritie des systèmes qui gouvernent les politiques publiques au quotidien, il nous invite aussi à réinventer le numérique pour éviter le piège qu'il nous tend : en reconstruisant le service public, en inventant des métriques de gauche... et surtout en remettant de la démocratie et de la justice dans les décisions techniques. -
Au loin la liberté : Essai sur Tchekhov
Jacques Rancière
- La Fabrique
- 13 September 2024
- 9782358722834
Une courte nouvelle de Tchekhov nous montre deux gendarmes en compagnie d'un vagabond qu'ils mènent en prison. En écoutant celui-ci raconter ses rêves de liberté, les gendarmes tendent leur esprit pour se représenter la « distance effrayante qui les sépare du pays de la liberté ». Ce livre envisage l'oeuvre tout entière du narrateur Tchekhov comme une tension pour prendre la mesure de cette distance : pour montrer combien la vie que ses contemporains mènent est éloignée de la liberté mais aussi pour l'imposer comme le point focal qui commande de changer cette vie et ne se laisse pas oublier. De là le rapport très particulier qui s'établit entre le choix de ses sujets, la manière dont il les traite et les effets qu'il en attend. Tchekhov ne montre pas des hommes écrasés par les forces de l'exploitation et de la répression mais des hommes chez qui la servitude est une manière d'être, un cours normal du temps et des choses qu'ils n'osent pas interrompre. Il ne procède pas par tableaux d'ensemble destinés à montrer les maux d'une société que des réformateurs auraient pour tâche de guérir. Ses récits ne partent pas d'une situation originelle dont ils développeraient les conséquences jusqu'à leur conclusion nécessaire. Ils commencent par le milieu en se concentrant sur des moments privilégiés où des personnages quelconques - riches ou pauvres, gendarmes ou voleurs, professeurs ou illettrés... - se trouvent invités à franchir un pas devant lequel ils se dérobent le plus souvent. Les cinq premiers chapitres du livre dessinent la dramaturgie de la servitude et de l'appel typique du récit tchekhovien. Les quatre derniers analysent le mode d'adresse et la poétique qui y répondent. Tchekhov s'adresse aux semblables de ses personnages mais non pas pour leur faire prendre conscience des causes globales de leur situation. Il n'y a pas d'autre raison à la servitude que la servitude elle-même qui reproduit sans cesse les manières, les affects et les pensées qui la perpétuent en retour. Pour briser le cercle, pour former des hommes capables de transformer en réalité l'appel de la vie nouvelle, il faut d'abord changer les manières de sentir. C'est à cette révolution des affects que s'emploie l'écrivain. Pour cela il lui faut raconter et moduler autrement le malheur en mêlant ses accents à ceux de l'appel lointain. Il lui faut constituer un enchaînement mélodique qui s'oppose au ronronnement de la servitude et s'enfonce plus profondément que lui dans l'expérience sensible des humains. Le récit adressé à ces hommes et femmes qui vivent mal et ont toujours le pouvoir de vivre mieux doit être semblable au chant rauque et pourtant consolateur du butor invisible dans les marais : il doit leur faire sentir leur malheur d'une manière plus heureuse, donc plus libre, en les faisant pleurer deux fois : non pas seulement par la honte ressentie mais aussi par la consolation qui lui est apportée.
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« La forme d'une ville change plus vite, hélas ! que le coeur d'un mortel ». Ces mots de Baudelaire, si souvent cités, s'appliquent à tous les temps, puisque le changement et l'effacement sont continus, mais ce que l'on ressent aujourd'hui, c'est une transformation de l'être urbain lui-même.
La ville, en tant qu'elle forme, et à chaque fois différemment, un certain style d'habitation du monde, existe-telle encore ? Ou est-elle en train de glisser vers un devenir confus qui en rend les traits indistincts ?
Le passant, qui est le lecteur, l'interprétant fondamental de la ville, reste perplexe devant des espaces qui semblent ne pas vouloir de lui. Pourtant quelque chose résiste, non seulement en lui, mais aussi grâce à la force de l'improvisation urbaine qui, dès qu'elle le peut, déjoue la tyrannie de la norme entretenue par les édiles.
La ville est en éclats parce qu'elle est le lieu de ce combat entre ce qui la veut encore et ce qui cherche à en noyer le sens sous l'enflure patrimoniale et les effets d'image.
Alternant récits et analyses, souvenirs et projections, ce livre se propose comme un antidote, tant au repli nostalgique qu'à l'idéologie « tendance » d'une certaine architecture. -
L'histoire du mouvement féministe en France dans les années 1970, période au cours de laquelle le mouvement se pacifie au profit d'un féminisme étatique fondé sur des avancées législatives en terme d'égalité et de laïcité. L'internationalisme des luttes est également abordé. Enfin, des pistes d'action pour un féminisme politique sont proposées.
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Le culte de l'auteur : Les dérives du cinéma français
Geneviève Sellier
- La Fabrique
- 13 September 2024
- 9782358722841
Ce livre propose « d'aller plus loin » dans l'analyse de la crise que vit actuellement le « cinéma d'auteur » français. Si les comportements abusifs d'un certain nombre de réalisateurs - qui se posent comme des héritiers de la Nouvelle Vague - remontent souvent aux années 1980-1990 et sont donc prescrits, de nombreux témoignages dénoncent des faits récents et tout porte à croire que les harcèlements et abus sexuels n'ont pas cessé sur les plateaux de tournage. Au-delà des récentes dénonciations, cette crise doit nous amener à nous interroger sur les représentations que propose ce cinéma d'auteur : « À partir de la Nouvelle Vague, la tâche des critiques de cinéma en France consiste à faire l'éloge et l'exégèse des oeuvres, en les référant au génie de leur auteur, dont on analyse le style et les "obsessions", en laissant soigneusement dans l'ombre les déterminations sociales, qu'elles soient de genre, de classe ou de race, qui structurent aussi toute oeuvre artistique. » « La liberté de création artistique qui consiste en "la capacité de matérialiser, sans contraintes, une ou plusieurs oeuvres, de formes diverses, dans un domaine artistique" a été réaffirmée en
France par la loi du 7 juillet 2016. Elle aboutit à légitimer le fait que l'artiste puisse se placer au-dessus des lois, sous prétexte d'exprimer le caractère "transgressif" de son génie. Dans les faits, cette assimilation du réalisateur de films à un artiste dont il faut protéger la liberté de création a permis à Polanski de continuer à faire des films en France dans un cadre plus que confortable alors qu'il est toujours poursuivi pour agression sexuelle sur mineure aux États-Unis. »
Geneviève Sellier passe au crible des dizaines de films, en féministe et en cinéphile.
Cet oeil neuf dénote aussi une volonté de prendre en compte le caractère collectif de la conception et de la production des films distribués dans le circuit commercial : « La "politique des auteurs" que François Truffaut et sa bande des Cahiers du cinéma ont réussi à imposer comme critère exclusif de jugement, est sans doute la plus grande supercherie de l'histoire du cinéma. » -
Avis de tempête : Nature et culture dans un monde qui se réchauffe
Andreas Malm, N. Legrand
- La Fabrique
- 6 October 2023
- 9782358722612
Dans un monde qui se dirige vers le chaos climatique, la nature est morte. Elle ne peut plus être séparée de la société. Tout n'est plus qu'un amalgame d'hybrides, où l'homme ne possède aucune faculté d'action particulière qui le différencie de la matière morte. Mais est-ce vraiment le cas ? Dans cette polémique cinglante avec les philosophes de ce qu'il nomme le tournant culturel (dont Bruno Latour est une figure centrale), Andreas Malm développe un contre-argument : dans un monde qui se réchauffe, la nature revient en force, et il est plus important que jamais de distinguer le naturel du social. C'est en attribuant aux humains une capacité d'action spécifique que la résistance devient concevable. Ce livre pose des questions urgentes à l'heure ou l'inaction climatique à l'échelle mondiale inquiète de plus en plus de gens : quel rôle doit jouer la pensée théorique dans la lutte contre le réchauffement mondial ? Et ce qui s'écrit aujourd'hui est-il à la hauteur du défi ? Malm examine un grand nombre de textes contemporains qui interrogent le rapport entre nature et culture, leur hybridation ou leur séparation. Il offre un panorama critique des théories actuellement disponibles sur ce thème (constructionnisme, hybridisme et néomatérialisme), lequel représente par ailleurs un secteur éditorial florissant. Enfin, il fournit un manifeste théorique pour le temps présent, défendant une distinction stratégique entre nature et culture.
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Chaque secteur spécialisé de la connaissance fait à sa manière le constat d'un désastre. Les psychologues attestent d'inquiétants phénomènes de dissolution de la personnalité, d'une généralisation de la dépression qui se double, par points, de passages à l'acte fou. Les sociologues nous disent la crise de tous les rapports sociaux, l'implosion-recomposition des familles et de tous les liens traditionnels, la diffusion d'une vague de cynisme de masse ; à tel point que l'on trouve dorénavant des sociologues pour mettre en doute l'existence même d'une quelconque "société". Il y a une branche de la science économique - l'"économie non-autistique" - qui s'attache à montrer la nullité de tous les axiomes de la prétendue "science économique". Et il est inutile de renvoyer aux données recueillies par l'écologie pour dresser le constat de la catastrophe naturelle. Appréhendé ainsi, par spécialité, le désastre se mue en autant de "problème" susceptibles d'une "solution" ou, à défaut, d'une "gestion". Et le monde peut continuer sa tranquille course au gouffre.
Le Comité Invisible croit au contraire que tous les remous qui agitent la surface du présent émanent d'un craquement tectonique dans les couches les plus profondes de la civilisation. Ce n'est pas une société qui est en crise, c'est une figure du monde qui passe. Les accents de fascisme désespéré qui empuantissent l'époque, l'incendie national de novembre 2005, la rare détermination du mouvement contre le CPE, tout cela est témoin d'une extrême tension dans la situation. Tension dont la formule est la suivante : nous percevons intuitivement l'étendue de la catastrophe, mais nous manquons de tout moyen pour lui faire face. L'Insurrection qui vient tâche d'arracher à chaque spécialité le contenu de vérité qu'elle retient, en procédant par cercles. Il y a sept cercles, bien entendu, qui vont s'élargissant. Le soi, les rapports sociaux, le travail, l'économie, l'urbain, l'environnement, et la civilisation, enfin. Arracher de tels contenus de vérité, cela veut dire le plus souvent : renverser les évidences de l'époque. Au terme de ces sept cercles, il apparaît que, dans chacun de ces domaines, la police est la seule issue au sein de l'ordre existant. Et l'enjeu des prochaines présidentielles se ramène à la question de savoir qui aura le privilège d'exercer la terreur ; tant politique et police sont désormais synonymes.
La seconde partie de L'Insurrection qui vient nous sort de trente ans où l'on n'aura cessé de rabâcher que "l'on ne peut pas savoir de quoi la révolution sera faite, on ne peut rien prévoir". De la même façon que Blanqui a pu livrer les plans de ce qu'est une barricade efficace avant la Commune, nous pouvons déterminer quelles voies sont praticables hors de l'enfer existant, et lesquelles ne le sont pas. Une certaine attention aux aspects techniques du cheminement insurrectionnel n'est donc pas absente de cette partie. Tout ce que l'on peut en dire ici, c'est qu'elle tourne autour de l'appropriation locale du pouvoir par le peuple, du blocage physique de l'économie et de l'anéantissement des forces de police.
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Silvia Federici, dont le nom a déjà un fort écho en France depuis le succès du volumineux Caliban et la sorcière (Entremonde, 2014) propose ici une lecture inédite des rapports sociaux de domination, en faisant le choix de décentrer le regard par rapport aux domaines traditionnels de la critique sociale, à savoir le salariat et l'économie marchande.
Bien informée par sa grande fresque historique de la chasse aux sorcières à l'aube du capitalisme, Federici voit dans la famille et le contrôle de la sexualité, de la natalité, de l'hygiène et des populations surnuméraires (exclus, migrants et migrantes), la véritable infrastructure de la sphère productive.
Comment en effet faire tourner les usines sans les travailleurs bien vivants, nourris, blanchis, qui occupent la chaîne de montage ?
Loin de se cantonner à donner à voir le travail invisible des femmes au sein du foyer, Federici met en avant la centralité du travail consistant à reproduire la société (sexualité, procréation, affectivité, éducation, domesticité) et historicise les initiatives disciplinaires des élites occidentales à l'égard des capacités reproductrices des hommes et des femmes. De ce fait, la lutte contre le sexisme n'exige pas tant l'égalité salariale entre hommes et femmes, ni même la fin de préjugés ou d'une discrimination, mais la réappropriation collective des moyens de la reproduction sociale, des lieux de vie aux lieux de consommation, ce qui ne va pas sans la fin du capitalisme et de la production privée - production et reproduction étant irréductiblement enchâssées.
Ce livre constitue un essai court et percutant qui propose une lecture féministe, critique et exigeante de Marx, sans aucun prérequis en philosophie ou sciences économiques ; cet essai permet en outre de saisir avec rigueur la scansion historique du capitalisme patriarcal, ou encore les débats au sein du mouvement ouvrier sur l'horizon stratégique du féminisme.
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Les espoirs de la civilisation et autres écrits socialistes
William Morris
- La Fabrique
- 4 October 2024
- 9782358722827
Poète, écrivain, artiste, décorateur, William Morris (1834-1896) est aujourd'hui connu pour son oeuvre poétique et romanesque, ainsi que pour son travail révolutionnaire dans le domaine des arts décoratifs. Après une carrière bien remplie et de nombreux succès, il se « convertit » au socialisme au début des années 1880 à l'approche de la cinquantaine et se consacre corps et âme à la « cause » avec un enthousiasme et une énergie hors du commun. C'est cet aspect moins connu de sa vie et de son oeuvre que ce recueil d'articles et de conférences pour la plupart inédits en français nous fait découvrir. On y voit Morris s'affirmer comme l'un des pionniers du mouvement socialiste au Royaume-Uni. Révolté contre l'hypocrisie et le « philistinisme » de la société bourgeoise de son temps, il trouve dans le socialisme scientifique de Marx et Engels matière à aiguiser sa propre critique radicale du capitalisme. Sa sensibilité d'artiste lui permet d'humaniser la dimension parfois aride du matérialisme historique et de faire rêver ses lecteurs (et auditoires) d'un monde meilleur. Homme d'action et militant infatigable, il réussit une synthèse habile entre marxisme et critique de la civilisation industrielle, place l'art et le travail au centre de sa réflexion et s'insurge contre la destruction de la nature engendrée par la production de masse. Nombre des thèmes qu'il aborde dans ces textes aux magnifiques accents utopiques, comme la justice sociale, l'environnement, le consumérisme ou l'égalité hommesfemmes, restent plus que jamais d'actualité.
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Une histoire de l'imprimérie et de la chose imprimée
Olivier Deloignon
- La Fabrique
- 4 October 2024
- 9782358722810
Raconter l'histoire de l'imprimerie c'est d'abord se heurter à la question de ses mutations sociales et techniques. Outre le fait de déposer de l'encre sur un support, quel rapport entre le faiseur de livres ancien qui côtoie ses quelques compagnons chargés de « picorer » les lettres dans la casse ou de manoeuvrer la presse à vis et l'industriel contemporain dirigeant une armée de techniciens chargés d'assurer l'approvisionnement d'énormes rotatives ? Cet ouvrage n'a toutefois pas pour ambition de narrer par le détail les évolutions des techniques de composition et des méthodes d'impression. Il interroge plutôt la manière dont l'imprimerie a été et est encore perçue par ses usagers : les lecteurs (population des plus « plétho-atypique » qui comprend évidemment les bons et mauvais lecteurs en plus des censeurs et autres préfets en tous genres). On verra ainsi au fil des pages qu'un avis largement partagé fait de l'imprimerie un art merveilleux capable de donner une forme solide aux pensées. Inversement, de longue date, elle a été accusée de pervertir, au choix : la jeunesse, les âmes, les femmes, les hommes, les simples, les clercs... de stimuler l'oisiveté, l'hérésie, la révolte... En une douzaine de chapitres qui sont autant de haltes d'un « voyage en imprimerie », Olivier Deloignon évoque les querelles de paternité dont Gutemberg est sorti vainqueur (pour l'instant), fait le portrait des turbulents compagnons imprimeurs du xvi e siècle dont la tradition de lutte s'est poursuivie avec celle des ouvriers du livre, et nous familiarise avec les mots techniques ou argotiques des « gens du livre » comme avec les principes de la typographie moderne. Déployant les formes livresques sans cesse renouvelées au gré des innovations techniques, des « incunables » jusqu'à la bande dessinée et aux fanzines, il compose une histoire culturelle et politique de la chose imprimée des origines à... demain.
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En 2007, nous publiions L'insurrection qui vient. Un livre qu'on a aujourd'hui fini d'associer à « l'affaire Tarnac », en oubliant qu'il était déjà un succès en librairie avant que les médias et la ministre de l'intérieur de l'époque, Michèle Alliot-Marie, ne s'en emparent en 2008, garantissant pour de bon sa promotion à grand échelle.
Car il ne suffit pas qu'il soit versé dans son intégralité à un dossier d'instruction antiterroriste pour qu'un livre se vende, encore faut-il que les vérités qu'il articule touchent les lecteurs par une certaine justesse. Or il faut bien admettre que nombre des affirmations du Comité Invisible se sont vues confirmées depuis, en commençant par la première et la plus essentielle : le retour fracassant du fait insurrectionnel. Depuis 2008, il ne se passe pas un trimestre sans qu'une révolte de masse ou un soulèvement menant à la destitution du pouvoir en place ne viennent mettre à mal nos illusions sur la stabilité de ce monde. Qui aurait parié un kopeck, il y a sept ans, sur le renversement de Ben Ali ou de Moubarak par la rue, sur le soulèvement de la jeunesse au Québec, sur le réveil politique du Brésil, sur des incendies à la française dans les banlieues anglaises ou suédoises, sur la constitution d'une commune insurrectionnelle en plein coeur d'Istanbul, sur un mouvement d'occupation des places aux États- Unis ou sur une révolte comme celle qui s'est étendue à tout le territoire grec en décembre 2008 ?
Si ce fut la suite des événements qui conféra son caractère subversif à L'insurrection qui vient, c'est l'intensité du présent qui fait d'À nos amis un texte éminemment plus scandaleux. On ne peut se contenter de célébrer l'onde insurrectionnelle qui parcourt présentement le monde, tout en se félicitant de l'avoir senti poindre avant les autres, sans s'étendre sur le caractère composite, et parfois franchement équivoque, de certains soulèvements. Ce dont il s'agit aujourd'hui pour le Comité Invisible, c'est plutôt cerner et prendre à bras le corps les difficultés, les impasses et les embûches que rencontre ce mouvement mondial qui n'a pas de nom, mais qui fait tout trembler. Comment faire pour que les insurrections ne s'étranglent pas au stade l'émeute ? Quelles sont les stratégies adverses et les moyens de les déjouer ? Sommes-nous bien sûrs d'avoir saisi le type de gouvernementalité qui nous fait face ? Quelle part de la tradition révolutionnaire faut-il laisser derrière nous pour pouvoir à nouveau envisager une victoire ? Et d'ailleurs, en quoi consisterait une « victoire » ?
Durant les sept années qui séparent L'insurrection qui vient d'À nos amis, les agents du Comité Invisible ont continué de lutter, de s'organiser, de se porter aux quatre coins du monde là où il s'embrasait, de débattre avec des camarades de toute tendance et de tout pays. À nos amis est ainsi écrit au ras de ce mouvement général, au ras de l'expérience. Ses mots émanent du coeur des troubles et s'adressent à tous ceux qui croient encore suffisamment en la vie pour se battre.
À nos amis se veut un rapport sur l'état du monde et du mouvement, un écrit essentiellement stratégique et ouvertement partisan. Son ambition politique est démesurée : produire une intelligibilité partagée de l'époque, en dépit de l'extrême confusion du présent.
À cette fin, sa sortie est organisée simultanément, sous différents formats, sur quatre continents et en sept langues.
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« Celui qui voit ne sait pas voir » : telle est la présupposition qui traverse notre histoire, de la caverne platonicienne à la dénonciation de la société du spectacle. Elle est commune au philosophe qui veut que chacun se tienne à sa place et aux révolutionnaires qui veulent arracher les dominés aux illusions qui les y maintiennent. Pour guérir l'aveuglement de celui qui voit, deux grandes stratégies tiennent encore le haut du pavé. L'une veut montrer aux aveugles ce qu'ils ne voient pas : cela va de la pédagogie explicatrice des cartels de musées aux installations spectaculaires destinés à faire découvrir aux étourdis qu'ils sont envahis par les images du pouvoir médiatique et de la société de consommation. L'autre veut couper à sa racine le mal de la vision en transformant le spectacle en performance et le spectateur en homme agissant. Les textes réunis dans ce recueil opposent à ces deux stratégies une hypothèse aussi simple que dérangeante : que le fait de voir ne comporte aucune infirmité ; que la transformation en spectateurs de ceux qui étaient voués aux contraintes et aux hiérarchies de l'action a pu contribuer au bouleversement des positions sociales ; et que la grande dénonciation de l'homme aliéné par l'excès des images a d'abord été la réponse de l'ordre dominant à ce désordre. L'émancipation du spectateur, c'est alors l'affirmation de sa capacité de voir ce qu'il voit et de savoir quoi en penser et quoi en faire. Les interventions réunies dans ce recueil examinent, à la lumière de cette hypothèse, quelques formes et problématiques significatives de l'art contemporain et s'efforcent de répondre à quelques questions : qu'entendre exactement par art politique ou politique de l'art ? Où en sommes-nous avec la tradition de l'art critique ou avec le désir de mettre l'art dans la vie ? Comment la critique militante de la consommation des marchandises et des images est-elle devenue l'affirmation mélancolique de leur toute-puissance ou la dénonciation réactionnaire de l' « homme démocratique » ?
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Une histoire de la conquête spatiale : des fusées nazies aux astrocapitalistes du New Space
Irénée Régnauld, Arnaud Saint-Martin
- La Fabrique
- 2 February 2024
- 9782358722735
Apollo, Ariane, Artemis... les programmes spatiaux se présentent à nous comme les épisodes d'une glorieuse épopée. Les motifs ont varié, flattant l'élan pionnier, la science, la quête de ressources nouvelles et plus récemment d'une hypothétique « planète B », mais le script est resté le même : en se projetant dans l'espace, l'humanité accomplit sa destinée.
Les archives de la conquête spatiale contredisent pourtant cette fable. Loin du rêve humaniste, ses objectifs sont avant tout militaires, dès les premières expérimentations des ingénieurs nazis bientôt reconvertis dans l'aérospatiale aux États-Unis pour mener de front la course à la Lune, aux satellites et aux missiles. Dans le sillage des space enthusiasts au sein des gouvernements et des armées, une puissante industrie s'est développée, surfant sur le marché des télécommunications et de la surveillance, spéculant sur les projets d'expansion cosmique les plus farfelus. Cet « astrocapitalisme » se caractérise aujourd'hui par une fuite en avant destructrice : tandis que les puissances spatiales et les milliardaires du New Space visent la Lune et Mars, débris et pollutions s'accumulent au sol et dans le ciel.
Si l'enchantement perdure, c'est qu'une vaste conquête des esprits est à l'oeuvre, dont on verra que l'héroïsation des astronautes - hier intrépides aventuriers, aujourd'hui scientifiques éclairés - n'est qu'une dimension parmi les plus durables. Il existe pourtant d'autres usages de l'espace, ni guerriers ni marchands, plus contemplatifs et plus soutenables, qui offrent une voie alternative vers les étoiles. -
hier encore, le discours officiel opposait les vertus de la démocratie à l'horreur totalitaire, tandis que les révolutionnaires récusaient ses apparences au nom d'une démocratie réelle à venir.
ces temps sont révolus. alors même que certains gouvernements s'emploient à exporter la démocratie par la force des armes, notre intelligentsia n'en finit pas de déceler, dans tous les aspects de la vie publique et privée, les symptômes funestes de l'" individualisme démocratique " et les ravages de l'" égalitarisme " détruisant les valeurs collectives, forgeant un nouveau totalitarisme et conduisant l'humanité au suicide.
pour comprendre cette mutation idéologique, il ne suffit pas de l'inscrire dans le présent du gouvernement mondial de la richesse. il faut remonter au scandale premier que représente le " gouvernement du peuple " et saisir les liens complexes entre démocratie, politique, république et représentation. a ce prix, il est possible de retrouver, derrière les tièdes amours d'hier et les déchaînements haineux d'aujourd'hui, la puissance subversive toujours neuve et toujours menacée de l'idée démocratique.
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Maintenant fait suite à À nos amis, paru en 2014 et peut se lire comme un chapitre fantôme du précédent volume, issu de sa rencontre avec l'actualité française récente. C'est donc un texte court, un texte d'intervention, un texte que le Comité Invisible s'est vu en quelque sorte « commander » par la situation, en l'espèce par le mouvement qui s'est levé à l'occasion de la loi « travaille ! ». Centralité du blocage, détestation sans appel de la police, expérience et lassitude des AGs, retour du thème de la « commune », dépassement de l'opposition entre radicaux et citoyens, cortèges entiers entonnant « nous sommes tous des casseurs », dérision de la politique classique :
Ce mouvement a confirmé point par point chacune des intuitions, chacun des constats, chacune des conjectures d'À nos amis. Il n'y a qu'un thème du précédent volume qui ne se soit pas explicitement imposé, et c'est celui de la destitution. Destituer le pouvoir en place, c'était pourtant bien l'objet réel de ce mouvement qui consistait essentiellement l'idée d'une révolution destituante. Où il est moins question d'assaut que de désertion, de clameur que de silence, de palais qui brûlent que de forces qui s'agrègent, de positionnement politique que de profondeur existentielle. « Nous avons besoin de formes et de sensibilité, non d'institutions », dit le Comité Invisible dans ce texte qui doit être considéré comme une intervention dans les débats les plus brûlants de cette année d'élection présidentielle.
Faut-il lancer un nouveau processus constituant ou construire une puissance destituante ?
Y a-t-il encore un pouvoir à prendre ou n'y a-t-il pas plutôt une désertion à organiser ? Est-ce d'une nouvelle politique que nous avons besoin, ou de nouvelles formes de vie ? C'est ce débat, entamé en janvier 2016 par une tribune d'Éric Hazan et Julien Coupat intitulée « Pour un processus destituant », que le Comité Invisible tente ici de trancher. Un débat où l'on trouve d'un côté Giorgio Agamben, Jean-Luc Nancy et Mario Tronti, et de l'autre, quoi que sur un plan moins fondamental, Frédéric Lordon, Antonio Negri et l'ensemble des composantes « indignées » de la gauche. À l'issue de son nouvel opuscule, le Comité Invisible en arrive à charger le terme apparemment négatif de « destitution » de toute sa charge affirmative. Il n'y aura pas de renversement de l'ordre existant qui ne passe par l'affirmation d'une façon de vivre enfin désirable. L'aspect négatif, destructeur du processus révolutionnaire est impuissant sans la charge de silencieuse positivité que porte toute existence heureuse.
à empêcher un gouvernement de gouverner à sa guise, au travers d'une loi hautement symbolique. On a coutume de se représenter la révolution comme ce moment d'assaut au pouvoir politique suivi de l'instauration d'une nouvelle constitution, de nouvelles institutions. Dans un style alerte, plus proche de L'insurrection qui vient que d'À nos amis, le Comité Invisible montre ici que l'on ne peut rien comprendre à ce qui s'est passé de décisif dans le mouvement contre la loi « travaille ! », comme à ses ramifications futures, si l'on n'adopte pas une autre idée de la révolution,
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Programme de désordre absolu : Décoloniser le musée
Françoise Vergès
- La Fabrique
- 3 March 2023
- 9782358722490
La décolonisation du musée occidental universel est impossible, c'est l'argument de départ. Elle est impossible parce que pour que la décolonisation du musée soit accomplie, il faudrait des bouleversements qui remettraient radicalement en cause ses fondements, son fonctionnement, sa structure, sa mission, ses objectifs, et dès lors, pourrionsnous encore parler de musée ? Le musée, qui n'a jamais été un espace neutre, protégé des luttes sociales et idéologiques, symbolise la puissance de l'État, la richesse de la nation et son niveau de « civilisation ». Dire que cette décolonisation est impossible ne veut pas dire qu'il ne faut pas se battre pour que des amendements, des changements et des transformations de cette institution aient lieu, que des négociations ne soient pas entreprises avec les communautés dont des objets sont exposés, répondant ainsi à des exigences de réparation et de restitution et de justice épistémologique et sociale.
Françoise Vergès part de cette impossibilité pour penser ce qui serait possible, ce qui remplacerait le musée dans un monde post-raciste et post-capitaliste. Car si le programme de la décolonisation est celui d'un « désordre absolu » car il « se propose de changer l'ordre du monde » (Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Maspero, 1961), alors il nous faut imaginer ce qu'est ce programme. S'attaquer à l'ordre de ce monde (et non du monde, pour être précise), c'est s'attaquer à ses institutions.
Le premier chapitre revient sur une défaite, celle du projet Maison des civilisations et de l'unité réunionnaise à l'île de La Réunion et explique pourquoi cette défaite était inévitable dans un contexte de colonialité. Ensuite, l'auteure rappelle le rôle du pillage dans la constitution du plus grand musée français, le Louvre, accompli par les armées napoléoniennes dans des États d'Europe et en Égypte, établissant ainsi une politique qui trouvera son plein développement avec la colonisation. Puis l'auteure présente des pratiques qu'elle a imaginées et mises en oeuvre qui cherchent à expérimenter des méthodes collectives de performance artistiques. La conclusion portera sur « l'abolition-révolution » ou le programme décolonial de désordre absolu. -
Contre la littérature politique
Pierre Alferi, Leslie Kaplan, Nathalie Quintanae, Tanguy Viel, Antoine Volodine, Louisa Yousfi
- La Fabrique
- 19 January 2024
- 9782358722728
À l'aube des années 10 de ce siècle, alors que la sous-direction antiterroriste frappait à la porte, aux fenêtres et sur les ami-es de notre maison d'édition, nous avons publié « Toi aussi, tu as des armes », sous-titré poésie & politique. Ce livre, où il était question de poésie, réunissait des écrivain-es qui avaient en commun de ne pas trop aimer qu'on les traite de poètes. Il venait témoigner d'une conversation presque clandestine à propos des manières de faire de la poésie une politique et de rendre à la politique sa poésie. Il y a plus de dix ans ce geste constituait une petite bizarrerie. Aujourd'hui, le mot « politique » est partout en littérature, peut-être au point d'en disséminer le sens et d'en atténuer la portée. C'est ce qui nous a à nouveau poussés à réunir quelques ami-es (et ami-es d'ami-es) parmi ceux et celles qui ont maintenu un effort pour renouveler la tension entre littérature et politique moins comme un thème ou une position mais davantage comme une manière de faire et de défaire.
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Histoire populaire de la psychanalyse
Florent Gabarron-Garcia
- La Fabrique
- 17 September 2021
- 9782358722179
La psychanalyse semble aujourd'hui être passée corps et biens dans le camp de la réaction. Outre les sorties médiatiques contre les bandes de jeunes qui ne reconnaissent plus d'autorité, le « féminisme différenciateur » ou encore une « épidémie de transgenres », c'est l'histoire révolutionnaire qui est dénigrée :
Mai 1968, qualifié de « régression annale », et la Révolution française réduite à une simple affaire oedipienne.
Contre cette entreprise de réification, qui touche la discipline psychanalytique ellemême, ce livre entend redonner leur place aux acteurs et actrices de l'histoire populaire de la psychanalyse qui ont soutenu et accompagné les mouvements révolutionnaires de leur temps en cherchant à mettre la clinique au coeur de la cité. On y découvre un Freud enthousiaste à l'annonce de la révolution de 1917, qui encourage les expériences menées par Vera Schmidt et d'autres dans la Russie bolchevique. On suit la trajectoire de Marie Langer, de la Vienne rouge à l'Argentine, qui tente de concilier son engagement féministe et marxiste avec sa pratique analytique et les contraintes de l'exil... Et celle de François Tosquelles, de la guerre d'Espagne à l'hôpital de Saint-Alban où sa rencontre avec Jean Oury symbolise celle de deux générations :
Les analystes des années 1920-30 et ceux des années 1960 qui, en France, se retrouvent au sein de la clinique de La Borde.
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Gagner le monde : sur quelques heritages feministes
Zahra Ali, Silvia Federici, Verónica Gago, Lola Olufemi, Djamila Ribeiro, Rama Salla Dieng, Sayak Valencia
- La Fabrique
- 20 October 2023
- 9782358722643
Alors qu'une aspiration féministe à la justice et à l'égalité s'est emparée d'une génération et fait feu de tout bois, c'est par le détour de l'histoire que les textes rassemblés ici nous parlent d'aujourd'hui. Contre les récupérations conformistes, les offensives réactionnaires qui ciblent le féminisme, leurs autrices évoquent des luttes et des figures qui ont compté pour elles et s'arment d'un héritage internationaliste fécond et vivant.
On verra ainsi à l'oeuvre au fil des pages cette étonnante aptitude des concepts et des mots d'ordre féministes - comme des militantes elles-mêmes - à franchir les frontières à travers les décennies et les continents qui fait la puissance du féminisme, sa capacité à changer le monde.
Traduit de l'anglais et de l'espagnol par Étienne Dobenesque, traduit du portugais par Paula Anacaona -
En un demi-siècle, depuis les lois sur les droits civiques aux États-Unis, le combat pour la libération emmené par les luttes noires américaines a pris une dimension internationale ; il a joué à la fois le rôle de révélateur des grandes injustices et de catalyseur des espérances du moment.
Angela Davis a été un témoin majeur de ce demi-siècle. Militante communiste et proche des Black Panthers dès 1968, elle accompagne la radicalisation des mouvements noirs et leur engagement sur une multiplicité de fronts, de la guerre du Vietnam à la lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud.
Ce recueil d'entretiens et de textes inédits d'Angela Davis donne à voir cet engagement sans trêve pour la libération.
Figure iconique et mondialement reconnue, le parcours et l'engagement d'Angela Davis sont bien connus en France - notamment à travers son Autobiographie (récemment rééditée) - tout comme sa lutte contre l'enfermement et la prison, déployée dans Les Goulags de la démocratie.
Ce recueil d'articles et d'entretiens rassemble des textes et interventions contemporaines d'Angela Davis. Derrière une grande pluralité d'enjeux se dégagent deux grandes thématiques.
Davis y décrit d'abord la violence d'État et l'oppression comme des phénomènes mondiaux :
Elle souligne ainsi la porosité entre l'oppression des Palestiniens et l'incarcération en masse des Africains-américains, ou encore les liens entre les violences policières et la guerre sans fin menée au Moyen-Orient. Depuis sa perspective états-unienne, Angela Davis revient ainsi sur une série d'événements qui ont scandé la dernière séquence de la politique d'émancipation : les mobilisations autour de Ferguson, puis le mouvement Black Lives Matter contre les violences policières racistes, condensent un plus large spectre de résistances à l'échelle du monde.
D'autre part, le livre trace une continuité entre les luttes du passé et les luttes présentes.
On y rencontre d'abord les grandes figures ou séquences des luttes africaines-américaines :
Non seulement Malcolm X et les Black Panthers, mais aussi la guerre de Sécession et W.E.B Du Bois. Davis rappelle ainsi combien ces luttes se sont nourries des luttes de libération en Asie, en Afrique, en Amérique latine, et les ont inspirées en retour.
Mais ce livre porte aussi un regard optimiste sur les formes émergentes de résistance, et sur la capacité des nouvelles générations à reprendre le flambeau d'une lutte sans frontières contre l'injustice et l'oppression.
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Les trente inglorieuses : scènes politiques
Jacques Rancière
- La Fabrique
- 14 January 2022
- 9782358722247
Ce livre rassemble des interventions répondant à la contrainte d'un présent : une série d'irruptions de la logique de l'égalité et du pouvoir de « ceux qui ne sont rien » - des indignés et Nuit debout aux Gilets jaunes et leurs ronds points ; l'émergence des populismes et le devenir autoritaire de la version « consensuelle » et « policière » de la démocratie ; le renouveau du racisme d'État et des passions inégalitaires - islamophobie, politiques anti-migrants et anti-roms, néorépublicanisme réactionnaire. Ce recueil est le témoin de la capacité d'un philosophe, dont toute la carrière s'est vue consacrée à défendre le sens égalitaire de la démocratie contre son dévoiement oligarchique, à prendre position sur trente années et intervenir dans la conjoncture politique et sociale.
Depuis trente ans la contre-révolution intellectuelle a cherché à transformer toutes les luttes sociales et les mouvements d'émancipation du passé en prodromes du totalitarisme, toutes les affirmations collectives opposées au règne des oligarchies économiques et étatiques en symptômes d'égoïsme et d'arriération.
Les interventions ici réunies veulent à l'inverse rendre sensibles les ruptures que les inventions égalitaires opèrent dans le tissu de la domination. Elles n'apportent pas le point de vue du savant ou du moraliste, mais seulement une contribution individuelle au travail par lequel individus et collectifs sans légitimité s'appliquent à redessiner la carte du possible.
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Le Partage du Sensible : Esthétique et politique
Jacques Rancière
- La Fabrique
- 10 April 2000
- 9782913372054
Au-delà des débats sur la crise de l'art ou la mort de l'image qui rejouent l'interminable scène de la fin des utopies, le présent texte voudrait établir quelques conditions d'intelligibilité du lien qui noue esthétique et politique. Il propose pour cela d'en revenir à l'inscription première des pratiques artistiques dans le découpage des temps et des espaces, du visible et de l'invisible, de la parole et du bruit, qui définit à la fois le lieu et l'enjeu de la politique. On peut alors distinguer des régimes historiques des arts comme formes spécifiques de ce rapport et renvoyer les spéculations sur le destin fatal ou glorieux de la « modernité » à l'analyse d'une de ces formes. On peut aussi comprendre comment un même régime de pensée fonde la proclamation de l'autonomie de l'art et son identification à une forme de l'expérience collective. Les arts ne prêtent aux entreprises de la domination ou de l'émancipation que ce qu'ils peuvent leur prêter, soit simplement ce qu'ils ont de commun avec elles: des positions et des mouvements des corps, des fonctions de la parole, des répartitions du visible et de l'invisible. (J.R.)
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Aujourd'hui, les débats sur les mémoires de l'esclavage, du colonialisme et du néocolonialisme, les déboulonnages des statues et les polémiques qui les entourent ont besoin du retour à l'analyse historique des Révolutions française et coloniales et à leur contexte global.
La Révolution française a non seulement décrété la première abolition générale de l'esclavage le 6 février 1794 (16 pluviôse an II) mais elle a aussi posé la question de la nature du lien - colonial et/ou égalitaire - entre les peuples. Ces deux dimensions - celle de l'esclavage et celle du lien colonial - sont au centre de cet ouvrage qui se propose dans un premier temps d'offrir un récit des événements connectés des Révolutions française et coloniales et dans un deuxième temps une synthèse des travaux publiés depuis trente ans sur les évolutions politiques, sociales, économiques, « raciales » et culturelles dans les colonies françaises jusqu'en 1804.
Toutes les colonies ont été, à des degrés divers, affectées directement par les événements de la Révolution française, soit parce qu'elles ont été touchées par les conséquences des guerres contre les autres puissances coloniales, soit parce qu'elles ont été le cadre de révolutions (à Saint-Domingue/ Haïti et en Guadeloupe) ou de troubles révolution naires (en Martinique et dans les autres îles antillaises, à un moindre degré dans l'Océan Indien) en connexion permanente avec la Révolution en métropole. Dans tous les cas, les rapports sociaux et culturels entre les populations, les identités personnelles, locales, régionales, « raciales » ou nationales, les relations économiques, les statuts juridiques des individus, des groupes et des territoires ont été bouleversés. En retour, les enjeux coloniaux ont pesé sur les dynamiques politiques en France métropolitaine même. La Révolution française n'a pas engendré les révolutions dans les colonies, mais, par ses conséquences politiques et géopolitiques nationales, impériales et mondiales, elle a permis que ces résistances à l'esclavage se déploient sur une tout autre échelle et qu'elles aboutissent à Saint-Domingue et en Guadeloupe au moins, à de véritables révolutions. Cette rencontre entre Révolution française et Révolutions coloniales est le thème de cet ouvrage -
Qu'est devenue, que devient l'ex « capitale du XIXème siècle » que Walter Benjamin sut reconnaître dans Paris ? N'est-elle plus qu'une ville-musée, doublée d'une ville de pouvoir d'où le peuple est exclu et où les traces de ce qu'elle fut disparaissent ou sont marchandées ? Il y a de ça, hélas, et malgré de nombreuses résistances très inégalement réparties entre les quartiers, la cote d'alerte est souvent dépassée : dans des zones entières la ville ne se reconnaît plus. A l'âge des destructions systématiques a succédé une autre forme d'intervention, plus subtile mais tout aussi efficace, qui consiste à modifier la texture et les contenus de pans entiers de l'être urbain. Au centre presque exact de Paris se trouvait un magasin, La Samaritaine, dont le slogan était qu'on pouvait tout y trouver. Or aujourd'hui ce magasin n'a pas été détruit mais il est transformé en un énorme cartel de marques de luxe doublé d'un hôtel où les chambres les moins chères sont à 1150 euros la nuit. Ce n'est là que l'exemple le plus criant d'une liquidation scandaleuse au terme de laquelle ne resteraient plus de Paris que des souvenirs littéraires. Or la force de cette ville a toujours été de savoir conserver en son sein, fut-ce de façon secrète, non seulement les traces de ce qu'elle a traversé, mais aussi les signes de ce qu'elle a suscité comme espérance. Conçu, à l'instar de ceux d'Eric Hazan, comme une promenade, le livre de Jean-Christophe Bailly se propose de donner un état des lieux, en mêlant à la protestation contre les opérations immobilières du capitalisme le plus éhonté l'évocation de glissades heureusement encore possibles, mais menacées.