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La Montée du nazisme réunit neuf textes que Joseph Roth a écrits entre 1924 et 1939 pour des journaux allemands (Der Drache, Das Neue Tage-Buchs, Pariser Tageblatt) parmi ceux, nombreux, auxquels il a collaboré jusqu'à sa mort. Car le grand romancier autrichien était aussi un grand journaliste.
Dès les années Vingt, Roth fut attentif aux signes d'un bouleversement en marche dans la mentalité du peuple allemand. Ce dernier était gagné comme sous l'effet d'une infection proliférante par le nationalisme. Roth le dénonça au moyen d'une très fine observation du changement des moeurs et dans un style ironique souvent caustique. Quelques exemples : il s'intéresse au vote des femmes nationalistes dont il fustige la bêtise autant que la laideur. Roth s'inquiète également du comportement brutal d'une horde de «?nationaux?» en goguette le jour de Pâques, la matraque à la main, onanistes autant qu'antisémites. C'est dire ! Il dénonce aussi le meurtre par un brigadier de police de deux des trois ouvriers sur lesquels il a tiré parce qu'ils chantaient un lied écrit par l'écrivain juif Heinrich Heine, et non un chant patriotique.
Après avoir annoncé la mort de la littérature allemande devenue, avec le nazisme et sur le modèle soviétique, exclusivement officielle?; après avoir dénoncé la mascarade wagnérienne qui masqua théâtralement l'hitlérisme et par laquelle le snobisme européen s'est laissé séduire?; après avoir évoqué le chêne de Goethe à Buchenwald, seul arbre de la forêt auquel on n'a pas pendu les déportés, Roth s'intéresse, dans la deuxième partie du livre, à la Chanson des Niebelungen, récit mythologique auquel s'est abreuvé le national-socialisme. Y sont glorifiés sournoiserie, trahison, perfidie et assassinat. Joseph Roth en relate les grandes lignes puis en dénonce, avec Goethe, le fondamental et radical paganisme. Comment l'Autrichien Roth aurait-il pu faire d'un pays se réclamant de telles valeurs, sa patrie?? En 1933, il s'exila à Paris où il mourut avant la déclaration de la Seconde Guerre mondiale. -
Lanterne magique ; avant le cinéma
Jérôme Prieur
- Fario
- Theodore Balmoral
- 19 March 2021
- 9791091902649
On connaît moins ou pas du tout le second et ses Mémoires récréatifs, scientifiques et anecdotiques d'un physicien aéronaute. En plein siècle des Lumières, Étienne-Gaspard Robertson (peintre, dessinateur, physicien aéronaute, mécanicien, fantasmagorien et mémorialiste) est un véritable illusionniste. Comme l'écrit Jérôme Prieur dans sa préface, Robertson propose « de l'intérieur, une réflexion sur le spectacle lumineux, sur l'illusion et la croyance, une réflexion sur le spectateur - ce hors champ laissée dans l'ombre des histoires du cinéma et du pré-cinéma, cette part d'ombre consubstantielle aux images nocturnes. Bien avant le grand Hitchcock, Étienne-Gaspard Robertson a été le premier à comprendre que les spectacles optiques que préfigure sa fantasmagorie ne devaient pas se contenter de mettre en mouvement les images, mais qu'ils devaient mettre en scène les désirs et les peurs que suscitent les images, qu'ils devaient diriger le spectateur, notre double assis à notre place dans la nuit lumineuse.
Est-ce vraiment un hasard si son écran de projection, Robertson l'appelait « miroir » ?
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Des indésirables : quatre manières de traiter un embarras
Jean-Michel Rey
- Fario
- Theodore Balmoral
- 21 April 2023
- 9791091902946
Sous le titre Des indésirables sont étudiées et confrontées des situations différentes mais présentant des points communs ou des analogies. C'est, d'abord, un détail de la législation de Vichy de 1940; l'«embarras», ici, ce sont les Juifs : il faut les faire tout simplement disparaître. Quelques mots paraissent suffire à cette opération. Il s'agit, ensuite, du rejet du protestantisme, au début du XIXe siècle, de la part de Joseph de Maistre avec son équivalent chez Novalis ; terrain propice au développement d'un certain théologico-politique «à la française». Le troisième chapitre évoque la réflexion d'Edgar Quinet (et, à sa suite, Simone Weil) sur la continuité entre les Grecs de l'époque classique et le christianisme ; le judaïsme est donc l'absent de la civilisation, les Grecs sont d'emblée déjà-chrétiens. Le dernier chapitre reprend une analyse de Péguy qui montre comment la pédagogie moderne réduit l'enfant pour le faire accéder à l'état adulte, le rendant proprement inexistant.
Dans ces quatre cas, c'est un objet indésirable qui est effectivement façonné, qui est désigné en tant qu'embarras. On croit donner ainsi toutes les raisons de le faire disparaître, et ce, définitivement. Ce sont là des façons de fabriquer du non-être pour pouvoir rapidement s'en défaire. Le paradoxe est, ici, que la haine s'en prend à des formes imaginaires qu'elle contribue à former continuellement. Quatre institutions sont évoquées par ce biais, en vue de cerner cette logique singulière d'exclusion et de destitution : l'État, l'Église, l'Histoire, l'Éducation.
Accommoder le temps et réduire la langue à quelques vocables ou à des mots d'ordre, ce sont, aux yeux de l'Institution, des manières de faire qui doivent permettre une éviction réussie de ce qui gêne foncièrement, voire une épuration rassurante, et qui fournissent, également, en quelques phrases, un surcroît de narcissisme à un « nous » fabriqué de toutes pièces.