L'histoire se déroule dans l'Amérique des années 1950, encore frappée par la ségrégation. Dans une Amérique où le « White only » ne s'applique pas qu'aux restaurants ou aux toilettes, mais à la musique, au cinéma, à la culture populaire. L'Amérique de Home est au bord de l'implosion et bouillonne, mais c'est ici la violence contre les Noirs américains, contre les femmes qui s'exprime. Les grands changements amorcés par le rejet du Maccarthisme, par la Fureur de vivre ou le déhanché d'Elvis n'ont pas encore commencés. En effet, les Noirs Américains sont brimés et subissent chaque jour le racisme et la violence institutionnalisés par les lois Jim Crow, qui distinguent les citoyens selon leur appartenance « raciale ». Pour eux, le moindre déplacement, même le plus simple, d'un état à l'autre, devient une véritable mission impossible. En réponse à cette oppression, l'entraide et le partage ? facilités par l'utilisation du Negro Motorist Green Book de Victor H. Green qui répertorie les restaurants et hôtels accueillant les noirs dans différents états ? sont au coeur des relations de cette communauté noire dans une Amérique à la veille de la lutte pour les droits civiques.
La guerre de Corée vient à peine de se terminer, et le jeune soldat Frank Money rentre aux Etats-Unis, traumatisé, en proie à une rage terrible qui s'exprime aussi bien physiquement que par des crises d'angoisse. Il est incapable de maintenir une quelconque relation avec sa fiancée rencontrée à son retour du front et un appel au secours de sa jeune soeur va le lancer sur les routes américaines pour une traversée transatlantique de Seattle à Atlanta, dans sa Géorgie natale. Il doit absolument rejoindre Atlanta et retrouver sa soeur, très gravement malade. Il va tout mettre en oeuvre pour la ramener dans la petite ville de Lotus, où ils ont passé leur enfance. Lieu tout autant fantasmé que détesté, Lotus cristallise les démons de Frank, de sa famille. Un rapport de haine et d'amour, de rancoeur pour cette ville qu'il a toujours voulu quitter et où il doit revenir. Ce voyage à travers les États-Unis pousse Frank Money à se replonger dans les souvenirs de son enfance et dans le traumatisme de la guerre ; plus il se rapproche de son but, plus il (re)découvre qui il est, mieux il apprend à laisser derrière lui les horreurs de la guerre afin de se reconstruire et d'aider sa soeur à faire de même.
Home est le dixième roman de Toni Morrison. À travers l'histoire dure et torturée de ce jeune soldat, c'est un roman de la rédemption que nous offre ici l'auteur. Ce retour à l'Amérique du XX e siècle, avec une focalisation sur les années 1950, est un développement nouveau dans l'oeuvre de Toni Morrison, mais on retrouve pourtant les thèmes qui caractérisent son oeuvre. Elle laisse le lecteur découvrir ces années 1950 qui ne sont finalement que suggérées qu'à travers de petits indices. Elle laisse le souvenir de cette époque se reconstruire à travers les images distillées dans notre inconscient collectif. C'est encore et toujours dans la suggestion que l'art de Toni Morrison se révèle. Elle réussit à faire d'un roman finalement assez court une véritable oeuvre tout en subtilité, en vérités voilées qui se glissent progressivement jusqu'au lecteur avant d'exploser au grand jour.
" En ces heures où le paysage est une auréole de vie, j'ai élevé, mon amour, dans le silence de mon intranquillité, ce livre étrange... " qui alterne chronique du quotidien et méditation transcendante.
Le livre de l'intranquillité est le journal que Pessoa a tenu pendant presque toute sa vie, en l'attribuant à un modeste employé de bureau de Lisbonne , Bernardo Soares. Sans ambition terrestre, mais affamé de grandeur spirituelle, réunissant esprit critique et imagination déréglée, attentif aux formes et aux couleurs du monde extérieur mais aussi observateur de " l'infiniment petit de l'espace du dedans ", Bernardo Soares, assume son "intranquillité" pour mieux la dépasser et, grâce à l'art, aller à l'extrémité de lui-même, à cette frontière de notre condition ou les mystiques atteignent la plénitude " parce qu'ils sont vidés de tout le vide du monde ". Il se construit un univers personnel vertigineusement irréel, et pourtant plus vrai en un sens que le monde réel.
Le livre de l'intranquillité est considéré comme le chef-d'oeuvre de Fernando Pessoa.
Après le succès considérable de la première édition française, parue en deux volumes (1988 et 1992), puis de la seconde édition, intégrale, en un volume (1999), nous présentons aujourd'hui cette troisième édition, entièrement revue et corrigée, d'après le dernier état de l'édition portugaise (8e édition, 2009), publiée par Richard Zenith. Celui-ci a en effet introduit de nouvelles et nombreuses modifications, rectifiant ainsi les multiples erreurs de lecture qui entachaient l'édition portugaise originale (parue en 1982) ; figurent en outre dans le présent volume de nombreux inédits retrouvés par Richard Zenith depuis la première publication au Portugal. L'ordre des textes adopté ici, comme auparavant dans la 2e édition, diffère de l'ordre suivi dans la 1ère édition, pour obéir à une organisation thématique, mais plus dynamique et plus fidèle, dans la mesure du possible, à la chronologie des différents fragments. Enfin, la traduction proprement dite a fait à son tour l'objet d'une nouvelle révision approfondie par la traductrice elle-même, qui s'est efforcée de rendre, avec le maximum de transparence, la force poétique et dramatique de ce texte, l'un des chefs-d'oeuvre de la littérature du XXe siècle.
Elle est sans conteste l'une des géantes de la littérature américaine contemporaine. Susan Sontag (1933-2004), jeune fille surdouée mais peu sûre d'elle, animée par le désir farouche de s'inventer un personnage à la hauteur de ses aspirations, s'ingénia toute sa vie à bâtir sa propre mythologie.
Son oeuvre foisonnante (ses romans, ses essais sur l'art et la politique, le féminisme et l'homosexualité, la célébrité, la maladie et la mort) offre une clé de lecture indispensable à la compréhension de notre culture saturée d'images et de conflits. Chroniqueuse des soubresauts de son époque (de la guerre d'Algérie au siège de Sarajevo en passant par la révolution cubaine et la chute du mur de Berlin), elle sut tout aussi bien exercer son regard acéré sur sa vie personnelle, marquée par des aventures amoureuses extraordinaires et une constante remise en cause de soi.
Fruit de six années de recherches, au cours desquelles Benjamin Moser a eu accès à de nombreuses archives personnelles inédites et à des proches de Susan qui n'avaient encore jamais parlé d'elle (dont sa dernière compagne, la photographe Annie Leibovitz), Sontag est une enquête passionnante sur une femme qui, en s'emparant de sa propre destinée, a contribué à redéfinir en profondeur les termes de la condition féminine.
Les Gordon ont quitté New York pour Topeka, au Kansas, où ils travaillent dans une prestigieuse clinique psychiatrique.
Jane, une autrice féministe célèbre, est tantôt acclamée tantôt décriée ; Jonathan, lui, s'occupe principalement d'adolescents en difficulté. Leur fils, Adam, est un enfant sans histoires, devenu au lycée champion de débat, cet art de l'éloquence érigé en discipline nationale éminemment compétitive. Il rêve de devenir poète, porté par l'éducation progressiste de ses parents, mais il est aussi un garçon de son époque, populaire et athlétique, qui surjoue la virilité pour se faire accepter par la meute parfois sans pitié des lycéens.
Naviguant habilement entre les perspectives et les époques, se nourrissant de son propre parcours, Ben Lerner raconte les échecs et les succès de la famille Gordon, le spectre des abus sexuels, les trahisons entre époux, le défi d'élever un enfant dans un environnement toxique... Avec, en contrepoint, l'itinéraire du jeune Darren qui, à force d'exclusion et de brimades, prendra le chemin de la violence.
Histoire de famille et d'adolescence, histoire sociale et politique, L'École de Topeka est aussi une archéologie de notre présent : l'effondrement de la parole publique, ensevelie sous le déluge de mots des réseaux sociaux, et l'essor du discours de « l'homme blanc en colère », animé par un désir de vengeance et de pouvoir, terreaux de la droite américaine et de l'Amérique de Bush à Trump.
J'ai vu les plus grands esprits de ma génération détruits par la folie, aff amés hystériques nus... Ainsi commence l'un des plus célèbres poèmes du canon littéraire américain : Howl, long cri de rage, d'amour, de désir et de détresse. Nous sommes en 1956, dans une Amérique encore corsetée par les valeurs puritaines, et ce texte incendiaire va attirer à son auteur, Allen Ginsberg, trente ans à peine, les foudres de la censure et de la justice ; mais il va aussi l'imposer du jour au lendemain comme l'un des plus grands poètes de son temps. Par sa puissance incantatoire, sa charge politique, son lyrisme jazz et son audace formelle, Howl donne le coup d'envoi d'une véritable révolution littéraire qui va accompagner les grands bouleversements des années 1960.
Près de sept décennies plus tard, ce poème halluciné n'a rien perdu de sa force, bien au contraire, et cette nouvelle traduction française en fait entendre à merveille tous les accords convulsifs, la beauté mêlée à la fange, l'amour à la violence, le sublime au chaos. Hymne de toute une génération, Howl s'inscrit ainsi défi nitivement dans l'histoire de la littérature comme une oeuvre intemporelle, dont la lecture est à chaque fois un choc et une redécouverte éblouissante.
Avec Love, son dernier roman, Toni Morrison travaille sur la mémoire et l'obsession. Nous y découvrons un groupe de personnages féminins littéralement captivés par un homme, décédé depuis vingt-cinq ans au moment où s'ouvre le roman, vers le milieu des années 1990.
Cet home, Bill Cosey, possédait jadis un hôtel pour Noirs fortunés, sur la côte est des USA. L'hôtel connut son heure de gloire au milieu du 20ème siècle ; tout ce que la communauté noire comptait d'artistes, de médecins, d'hommes d'affaire ou de femmes du monde venait s'y retrouver pour prendre du bon temps au bord de l'océan.
Le mouvement pour les droits civiques et la déségrégation ont bouleversé cet univers présenté comme idyllique, si l'on oublie le caractère très exclusif de la politique commerciale mise en place par Bill Cosey, qui refusait l'accès à son établissement aux plus pauvres de sa communauté. L'hôtel a fini par fermer, et la demeure familiale est devenue le champ de bataille de deux femmes, Heed, la veuve de Cosey, et Christine, la petite -fille du maître des lieux. Ce sont d'anciennes « meilleures amies » d'enfance, mais leur amitié connut un tournant fatal lorsque Cosey, lui-même veuf, choisit de se remarier avec Heed, qui avait alors onze ans.
La différence d'âge entre cet homme, déjà grand-père, et cette petite -fille n'est pas le seul sujet de scandale. Heed vient par ailleurs d'une famille extrêmement pauvre et illettrée et elle a le plus grand mal du monde a tenir sa place dans un univers familial très critique. Heed et Christine deviennent peu à peu les meilleures ennemies du monde, surtout après la mort de Cosey, qui laisse derrière lui un testament fort ambigu. La lutte des deux femmes, pour savoir qui est l'« enfant chérie » à laquelle reviendra la fortune de Cosey, constitue un des moteurs du roman. Christine veut faire appel de la décision du juge, pendant que Heed, qui a recruté une jeune fille, une tête brûlée du nom de Junior, entend fabriquer avec elle un faux testament, qui serait plus indiscutable.
À la toute fin du roman, les deux femmes se retrouvent dans l'hôtel abandonné, dans des circonstances dramatiques, qui seules leur permettront de se parler enfin, de se retrouver et de comprendre que chacune n'a finalement plus que l'autre, avant le retournement final, dû à la voix narrative, venue d'outre -tombe, de L, une autre de ces femmes qui gravitaient autour de Bill Cosey.
Love, en apparence, ne semble pas s'attaquer à de grandes et tragiques questions, comme avait pu le faire Beloved. Il n'empêche que Toni Morrison nous plonge à la fois dans une réflexion sur l'histoire de la communauté afro-américaine qui est tout sauf conventionnelle, et dans un huis clos psychologique, qui lui permet une présentation extrêmement pénétrante des relations entre les femmes et l'homme, des relations des femmes entre elles, toujours en rivalité pour être l'élue de cet homme aux multiples facettes, qui sont autant de facettes imaginaires qu'elles ont elles-mêmes mises en place. De fait, Love est également bel et bien un roman qui parle d'amour, qui parle de l'amour.
J'avais donc écrit junkie dans une intention assez évidente: relater en termes aussi précis et aussi clairs que possible mon expérience de la drogue.
J'escomptais être publié, reconnu et bientôt riche. kerouac venait de publier the town and the city, quand je commençai à écrire junkie. je me souviens d'ailleurs de lui avoir écrit, sitôt son bouquin sorti, que désormais, la gloire et la richesse lui étaient acquises. comme on le voit à l'époque, je ne connaissais rien au métier d'écrivain. les motivations qui me poussèrent à écrire queer étaient plus complexes et viennent seulement de m'apparaître.
Pourquoi vouloir relater avec tant de minutie des souvenirs aussi pénibles, aussi déplaisants, aussi déchirants ? si j'ai bel et bien écrit junkie, j'ai l'impression que mon expérience se trouve transcrite dans queer. j'ai également pris grand soin de m'assurer les moyens de continuer à écrire, histoire de mettre les choses au net. l'écriture peut fonctionner comme vaccination préventive.
W-s b février 1985.
Dans cet essai rédigé un an après le 11 septembre, Susan Sontag dresse un bilan des emplois de la photographie devant les souffrances de la misère et de la guerre. On prête volontiers aux images le pouvoir d'inspirer la protestation, d'engendrer la violence ou de produire l'apathie : autant de thèses que Susan Sontag réévalue en retraçant la longue histoire de la représentation de la douleur des autres - depuis Désastres de la guerre de Goya jusqu'aux documents photographiques de la Guerre de Sécession, de la Première Guerre mondiale, du lynchage des noirs dans le sud des États-Unis, de la guerre civile espagnole, des camps de concentration nazis, aux images contemporaines venues de Bosnie, de Sierra Leone, du Rwanda ou d'Israël et de Palestine.
Comment la photographie a-t-elle modifié la perception des évènements dramatiques au fil de son histoire ? Peutelle provoquer le rejet total et sans concession de la guerre et de sa violence ? Ou du moins permettrait-elle de mieux comprendre les causes et les conséquences des crimes et conflits passés ? Un texte d'une grande actualité sur le pouvoir des images et l'expérience de la guerre.
Plus qu'une autobiographie déguisée (ce qu'il est aussi, de l'aveu de l'auteur lui-même), le roman de l'Argentin Alan Pauls, Le Passé, renoue avec la grande tradition du roman d'apprentissage: comment au fil des expériences vécues se constitue un sujet, s'esquisse un destin. Ici, la problématique est, pour l'essentiel, amoureuse. Après avoir vécu douze ans avec Sofía (son double et son envers, elle est le passé, il est l'avenir), Rímini se sépare d'elle pour fuir une osmose étouffante. Volant désormais de ses propres ailes, il rencontrera Vera (plus jeune que lui, délicieuse, mais rongée par la jalousie), Carmen (qui lui donnera un enfant, mais dont il divorcera - une intervention préjudiciable de Sofía y contribuera), la riche et vulgaire Nancy (une expérience érotique sordide et ambiguë) et, défait, décomposé, devenu l'ombre de lui-même, il retournera auprès de Sofía, rattrapé par le passé qu'il prétendait fuir. Entre -temps, il exercera divers métiers (traducteur, interprète, professeur de tennis...), abusera des lignes de cocaïne et de l'onanisme et il se fera presque avaler par sa propre déchéance. Un itinéraire électrique, hystérique, ponctué de soubresauts et d'abandons de soi-même.
L'auteur Alan Pauls met son personnage à distance par un phrasé enveloppant, ensorcelant (démarquage contemporain de Proust) et un humour cingla nt dont la fonction est de montrer que le héros erre plus qu'il ne se trouve dans un monde en quête d'un sens qui le fuit. Eblouissant d'intelligence, de drôlerie, d'inventivité narrative, explosant à l'intérieur de son propre espace (pourtant vaste), Le Passé marque l'entrée spectaculaire, saluée par Bolaño et Vila-Matas, d'un brillant écrivain argentin sur la scène littéraire latino-américaine. Le Passé a reçu le Prix Herralde en 2003.
Donald, un métis Chippewa-Finnois de 45 ans, est marié à une femme blanche, et père de deux enfants. Atteint d'une sclérose en plaque, il réalise que personne ne sera capable de transmettre à ses enfants l'histoire de leur famille après sa mort. D'un naturel peu bavard, il commence alors à dicter à sa femme Cynthia des histoires qu'il n'a jamais partagées - sur sa relation à un héritage spirituel unique ou sur la façon dont voilà trois générations sa famille s'installa dans le Michigan et fit fortune dans l'industrie du bois. Pendant ce temps, autour de lui, sa famille lutte pour l'aider à mourir avec la même dignité que celle qui l'a caractérisé toute sa vie. Cynthia a fondé cette famille avec lui pour échapper à l'influence diabolique de son père. Pendant l'année qui suit la mort de Donald, ses proches cherchent un sens à ce deuil. Sa fille se plonge dans l'étude des idées Chippewa sur l'au-delà à la recherche d'indices sur la religion de son père. Cynthia et son excentrique frère David découvrent bien plus tard que la rédemption n'est pas une cause perdue. Jim Harrison écrit sur le coeur de ce pays comme personne, sur la culture de l'Amérique indigène, sur notre place dans le monde naturel et les plaisirs qui élèvent la vie jusqu'au sublime. Dans son nouveau roman, Jim Harrison propose une expression éloquente du deuil à travers le personnage de Donald. Jim Harrison sonde les motifs qu'il a explorés tout au long de sa prolifique carrière : le pouvoir cicatrisant de la Nature, le lien profond entre la sensualité et le spirituel, le royaume des esprits, la vie dans un chalet perdu en pleine nature, la pêche et la chasse. Un beau roman mélancolique et trépidant, plein de rêves et de visions d'ours. « La nourriture est un excellent thème littéraire. La nourriture dans l'éternité, la nourriture et le sexe, la nourriture et le désir. La nourriture fait partie intégrante de la vie. Elle n'est pas à part. » (Jim Harrison)
Scénariste, critique gastronomique et littéraire, journaliste sportif et automobile, Jim Harrison, né en 1937 dans le Michigan, décide de devenir écrivain à l'âge de douze ans. D'abord enseignant à l'Université de New York, il retourne dans sa région natale et connaît ses premiers succès avec sa poésie, puis bifurque vers le roman. Depuis, il a publié quatre recueils de nouvelles, sept de poésie, sept romans et une autobiographie, En marge. Lauréat de multiples prix (National Endowment for the Arts 1968-1969), ses romans ont été adaptés à plusieurs reprises au cinéma.
Renaître est le premier tome d'une sélection en trois volumes de journaux de Susan Sontag, tous inédits à ce jour. Dès son adolescence, et ce jusqu'aux dernières années de sa vie, Susan Sontag se livra dans ces carnets avec une grande régularité, d'autant plus librement qu'elle n'envisageait pas de les faire publier.
Renaître couvre la période 1947-1963 et met en lumière la trajectoire intellectuelle, humaine et créatrice de l'un des plus grands écrivains américains de sa génération. Susan Sontag n'a que 14 ans quand elle commence la rédaction de ce journal, ancré dans la découverte adolescente de sa propre sexualité, de ses premières expériences en tant que jeune étudiante (gée de 16 ans) à l'université de Californie à Berkeley et dans les deux grandes relations qu'elle a entretenues comme jeune adulte. Renaître met en scène une adolescente précoce, qui ne cesse de dresser des listes : les livres lus ou à lire impérativement, les films à voir, les musiques à écouter.... Les principales caractéristiques qui définiront son moi intellectuel, sont déjà évidentes : féroce acuité, incroyable ambition, légère tendance à la prétention et approche de la vie profondément honnête.
Son désir de toujours progresser semble inépuisable. Comme l'écrit son fils David Rieff dans sa préface à Renaître : « Ceci est un journal dans lequel l'art est vu comme une affaire de vie et de mort, où l'ironie est considérée comme un vice et non une vertu et où le sérieux est le bien suprême. [...] Une des choses qui m'a le plus frappé à la lecture des journaux fut l'impression, que de la jeunesse à la vieillesse, ma mère a mené les mêmes batailles, contre le monde et contre elle-même. [...] Dès le début de son adolescence, elle eut le sentiment de posséder des dons spéciaux et d'avoir quelque chose à apporter. Le désir farouche et inébranlable d'approfondir et d'élargir constamment son éducation fut d'une certaine façon une matérialisation de cette vision qu'elle avait d'elle-même. » A travers ce journal émerge l'incroyable conscience que Susan Sontag à d'elle-même à un si jeune ge, ses rencontres avec les écrivains qui ont influencé son mode de pensée, et ses premiers corps à corps avec l'acte d'écrire en lui-même, le tout accompagné d'une foule de détails inimitables. A la fin de ce premier journal, Susan Sontag, trente ans, divorcée et mère d'un petit garçon, s'apprête à publier Notes on Camp, qui marquera le début de son incroyable carrière.
Un écrivain barcelonais reconnu, double de l'auteur, se voit contacté, à sa plus grande surprise, par les commissaires de la célèbre Documenta, foire mondiale d'art contemporain qui se tient à Kassel en Allemagne. Bien que les écrivains soient rarement conviés à ce type d'événements, les commissaires tiennent à sa présence et lui demandent de se présenter tous les matins pour écrire dans un restaurant chinois de Kassel, sous les yeux du public qui pourra observer l'avancement de son travail et l'interroger sur sa méthode, son rapport à la création. Dans un premier temps, et bien que d'autres écrivains de renom aient accepté de se prêter au jeu avant lui, il refuse car il trouve humiliant de faire office d'installation artistique à forme humaine.
Mais après avoir moult hésitations grâce aux stratagèmes déployés par les programmateurs, il décide d'accepter l'aventure, AVP D 5/38 Mai 2014 sensée lui permettre de découvrir le « secret de l'univers », et s'envole pour Francfort. Ses amphitryons, toutes des femmes, portent des noms de personnages de bande dessinée - Chus, Pim, Alka, etc. -, et multiplient les ruses et les substitutions d'identité pour le mettre à son aise. Le narrateur se perd dans les dédales d'un monde qu'il ne connaît pas et fait figure au mieux d'écrivain frais et naïf, au pire de benêt constamment en porte-à-faux. Tout cela dans un humour à la Buster Keaton où foisonnent les références (à Raymond Roussel, à Marcel Schwob...) cinématographiques et littéraires. Quand son personnage visite les installations de l'exposition et se pose la question de ce qu'est désormais l'oeuvre d'art, Vila-Matas évite habilement les lieux communs sur l'art contemporain et tisse des analyses d'une extrême finesse sur ce qui a succédé à la peinture à l'huile. De tous les romans d'Enrique Vila-Matas, Impressions de Kassel est celui qui ressemble le plus à son succès, Paris ne finit jamais.
Oscillant entre optimisme et pessimisme, marqué par une ironie permanente, Impressions de Kassel aborde, au coeur de la fiction littéraire, la question de la représentation contemporaine et propose au final un bel éloge de l'art.
Ce deuxième des trois volumes des journaux de Susan Sontag commence là où s'achevait Renaître, au milieu des années 1960. On y suit le parcours et l'évolution de Susan Sontag dans les mouvementées années 1960, jusqu'au moment où elle acquiert une renommée mondiale en tant qu'essayiste de premier plan, devenant une figure incontournable dans le monde des idées avec la parution de Against interpretation en 1966. Comme Renaître, ce volume mêle notes du quotidien et réflexions sur sa vie intime, sur le monde, la peinture, la musique, le cinéma, et avant tout sur l'écriture, le processus de création, sur ses doutes. Ceci à l'époque de la Beat Generation et de la révolution sexuelle. Ayant abandonné sa carrière académique, Susan Sontag a en effet consacré la période de 30 à 40 ans à écrire et absorber la culture new-yorkaise : elle regarde de nombreux films, assiste à des happenings, visite les ateliers de ses amis Robert Rauschenberg, Paul Thek et Jasper Johns. Susan Sontag relate par ailleurs ses voyages : à Tanger ; à Paris où elle s'installe un temps, rencontre les intellectuels de l'époque, va quotidiennement au cinéma et se passionne pour la Nouvelle Vague ; Prague ; Venise; le Vietnam, où elle part avec une délégation d'activistes contre la guerre: « J'accomplis des actions militantes, dit-elle, sans éprouver de sentiment militant. »). Ce journal accorde aussi une large place à des développements plus intimes, qui portent la marque de ses échanges avec sa psy, Diana Kennedy. Susan Sontag a en effet été très affectée par sa rupture avec la metteur en scène cubaine Maria Irene Fornes. Elle se lie alors avec « Carlotta », une femme dont elle admire l'indépendance, mais avec laquelle elle ne se sent pas totalement à l'aise. Davantage encore, Susan Sontag ne cesse de s'interroger sur la création. Elle évoque, au fil de notes et de listes, ses lectures (Kafka, Robbe-Grillet, Simone Weil, Roland Barthes.), ses projets de livres, ses déceptions, ses difficultés. Elle rappelle aussi son expérience théâtrale dans l'atelier de Peter Brook et de Grotowski à Londres, et la réalisation de ses premières productions cinématographiques en Suède. Cet ouvrage constitue un inestimable document, au sein duquel sont progressivement dévoilés les rouages de la pensée d'une des intellectuelles les plus curieuses de son époque, l'une de celles qui a le plus cherché à analyser, décortiquer le monde qui l'entoure, au moment où sa renommée atteignait son apogée. Il s'agit également d'un remarquable document qui témoigne de la prise de conscience morale et politique d'un individu.
Ce bref récit fut écrit par Christa Wolf au début de l'été 2011, quelques mois avant sa mort, le 1er décembre 2011.
La narratrice s'attache au personnage d'August, orphelin de huit ans, qu'elle a rencontré en 1946 dans un ancien château transformé en un sanatorium de fortune. Christa Wolf, alors âgée de seize ans, y fut soignée pour une primo infection de tuberculose. August éprouva pour elle un amour d'enfant.
Empreint d'une tendre mélancolie, ce texte combine fait alterner les souvenirs de cette période de l'immédiat après-guerre avec l'évocation de ce qu'a pu être la vie adulte d'August, en RDA puis dans l'Allemagne unifiée, où il s'est marié et est devenu chauffeur de car.
Ce volume est enrichi d'une postface de Gerhard Wolf, le mari de la romancière. Quelques pages qui éclairent le récit par des précisions biographiques et le situent dans l'oeuvre de Christa Wolf.
Des pages d'autant plus importantes et émouvantes que c'est à son mari que Christa Wolf dédia ce récit en ces termes, le 28 juillet 2011:
« Que pourrais-je t'offrir, très cher, sinon quelques pages écrites où sont recueillis bien des souvenirs de l'époque où nous ne nous connaissions pas encore. Du temps qui a suivi, je n'ai pas grand-chose à te raconter que tu ne saches déjà. Rien d'étonnant : au fil des décennies nous avons mûri jamais l'un sans l'autre. C'est à peine si je peux dire « je », la plupart du temps c'est « nous ». Sans toi, je serais quelqu'un d'autre. Mais je ne t'apprends rien. Les grands mots ne sont guère de mise entre nous. Juste ceci : j'ai eu de la chance. »
Épuisés depuis un certain nombre d'années et publiés en volumes séparés, les poèmes d'Allen Ginsberg sont aujourd'hui de nouveau rendus disponibles, regroupés dans un volume complet, chronologique et bilingue, qui regroupe ainsi Reality Sandwiches, Planet News, Mind Breath/Plutonian Ode, Le linceul blanc et Cosmopolitan greetings.
Sur Reality Sandwiches :
Ginsberg a lui-même défini ses poèmes de sandwiches de réalité, précisant que, pour lui, " les allégories étaient autant de laitues " : ornement superflu.
" Qu'il s'agisse d'une juxtaposition de croquis brefs, ou des vastes mélopées de la malédiction des villes condamnées, c'est de la grande et vraie poésie qui éclate ici, vigoureuse, corrosive. Pas de jeu mais une redécouverte originale, quasi-sauvage, et parfois biblique dans sa rudesse concrète de l'élégie. Obsession aussi d'une origine, des images de l'Amérique précolombienne qui mènent aux géantes métropoles maudites de l'Amérique moderne. [.] Ainsi, de la vision à la destinée méditée, et aussi de la brutalité verbale à la tendresse anxieuse, Allen Ginsberg, authentique poète et vrai Américain de ce temps trouve ses images et sa musique verbale. " (Frédéric Kiesel, Le Phare de Bruxelles) Sur Planet News :
" Planet News rassemble des poèmes écrits entre 1961 et 1967 au cours de ses périples à travers le monde (Inde, Japon, Europe). Les sensations, les visions, les illusions, les hallucinations fourmillent. Souvent revient la violence verbale et désespoir solitaire comme en parade contre la violence et le " bonheur " imbécile et collectif de l'american way of life. " (Christian Lebrun, Best) " Ce que l'on trouve dans ces poèmes, c'est donc avant tout le déferlement de la réalité, chaotique et heurté, utilisant l'univers technique le plus moderne pour composer un étrange bestiaire. Cette volonté de tout absorber, de tout inclure, vient de Whitman, mais Ginsberg nous en donne une vision cauchemardesque. " Je chante le corps électrique " écrivait Whitman, mais le corps électrique a développé des muscles monstrueux sous la forme des mass media, et c'est cette Amérique-là que nous montre Ginsberg avec un sens particulier de la bouffonnerie lugubre et de l'emphase dérisoire. [.] Wichita Vortex Sutra, le poème le plus long et le plus ambitieux du recueil, traite de la perversion du langage, responsable aussi bien de la guerre du Vietnam que de la faillite intérieure de l'Amérique." (Robert Louit, Nouvelles littéraires) Sur Plutonian Ode et Le linceul blanc :
" Sentiment immédiat de l'espace, d'une fabuleuse générosité du verbe. Nous n'entrons pas dans un livre, nous sortons avec lui dehors. Nous sommes avec Ginsberg dans la rue, c'est-à-dire que nous sommes avec Walt Whitman comme s'il venait marcher à notre côté, tout naturellement. [.] Avec le chant de Ginsberg, c'est la vie qui passe comme " la rame Bronx 242e Lexington Avenue dans le crâne du vieux yogi, décrit avec un humour désespéré, s'essayant désespérément au karma dans sa cuisine. [.] La puissance formidable de cette poésie vient [du génie de Howl, paru en 1955, lorsque Ginsberg] reprenait en quelque sorte le terrible flambeau d'un lyrisme blakien d'essence mystique, apocalyptique et qu'il allait porter dans la rue, sur les routes, parmi les gueux de l'Amérique moderne. [.] : une apocalypse de traîne-savate bluesy, une parole faite pour embrasser toutes les saletés du monde, tout ce que la mer rejette. " (Michel Crépu, La Croix) " Cet exercice de sincérité poétique constamment traversé par l'humour produit une collection de textes fiévreux ou apaisés faits d'une matière en incessante transformation. Une langue dont la texture incroyablement dense et fluide, souple et coléreuse comme un être vivant, donne de Ginsberg, parmi toutes les facettes qui le composent, l'image d'un vrai poète. " (Raphaëlle Rérolle, Le Monde) Sur Cosmopolitan greetings :
Ce recueil s'inscrit, tant sur le plan de l'expression que de l'inspiration, dans la continuité du Linceul blanc. Son style s'est épuré. Un style naturel qui permet à merveille de rendre l'expérience du poète dans son quartier du Lower East Side à New York. Scènes de rue, rêves retranscrits au réveil, pensées ordinaires saisies dans l'instant, lecture des journaux, soucis de santé, constituent, de poème en poème, une thématique du quotidien traitée avec un humour tendre où se mêlent l'héritage juif et la sagesse bouddhiste apprise avec Rinpoché Trungpa, dont les funérailles sont évoquées sur un ton à la fois détaché et ému, caractéristique du poète vieillissant. Pour autant, la vigueur dans la dénonciation des aberrations politiques et du désastre écologique mondial ne faiblit pas un instant. Le grand cosmopolite qu'est Allen Ginsberg se perçoit plus que jamais comme un citoyen du monde, investi d'une mission morale qu'il remplit inlassablement avec ses amis, étudiants et musiciens associés à ce recueil dont certains textes ne font que transiter par la page pour être rythmés ou chantés sur toutes les scènes du monde. (Yves Le Pellec) Allen Ginsberg est né le 3 juin 1926 à Newark dans une famille juive. Son père est professeur d'anglais et poète ; sa mère, Naomi, milite au parti communiste. Adolescent, Allen découvre Walt Whitman. À Columbia University, il rencontre William Burroughs et Jack Kerouac. Il publie Howl en 1956. Ce long poème en prose, qui relate les expériences de Ginsberg avant 1955 ainsi qu'une histoire de la Beat Generation, dont il est l'un des membres fondateurs, fait scandale à cause de son langage cru. Il est temporairement interdit à la vente pour obscénité avant qu'un juge ne reconnaisse l'importance de l'oeuvre pour son époque. En 1961, il publie Kaddish for Naomi Ginsberg, où il relate la maladie paranoïaque de sa mère et leur relation angoissée. Dans les années 60, Ginsberg part en Inde en quête d'un guide spirituel (expérience qu'il relate dans Les journaux indiens). Le bouddhisme tibétain restera une influence importante. Suite à la mort de Jack Kerouac (1969), il compose son élégie Memory Gardens. En 1972, The Fall of America est récompensé par le National Book Award pour la poésie. Il figure ensuite parmi les finalistes du prix Pulitzer avec Cosmopolitan Greetings. Allen Ginsberg meurt le 5 avril 1997 à New York d'un cancer du foie.
Dukla est une petite ville au sud de la Pologne à la limite des Carpates, proche de la frontière avec la Slovaquie. La place du marché concentre tout le vide du monde et le vent souffle directement de l'Alaska et de la Sibérie.
Dukla, avec ses murs croulants, le château du duc von Brühl, ses deux églises baroques et sa synagogue incendiée, exerce un pouvoir magique sur le narrateur, qui y retourne toujours comme s'il y était forcé.
Plus le narrateur essaie d'expliquer les raisons de cette fascination et plus il s'approche de "l'autre côté du temps et de la réalité". De manière subtile, Dukla amène le narrateur à s'interroger sur sa vie actuelle. Le monde, tel qu'il est décrit, apparaît comme une succession d'images qui, captées par la rétine, se gravent sur la pellicule sensible de la mémoire. Ces images sont comme des plaques photographiques : on peut les superposer, mais l'image qui en résultera n'aura gagné ni en netteté ni en profondeur de champs. Sa tentative de dépeindre l'esprit du lieu, d'arracher à la matière sa mémoire, fait de cette quête une aventure poétique à haut risque.
Dukla est considéré comme le meilleur roman de l'année 2000 en Pologne. Il est sans conteste le plus beau que l'auteur ait écrit jusqu'à présent. Dukla a été l'événement littéraire de la Foire du Livre de Francfort 2000 : aucun autre livre n'a fait l'objet de discussions aussi âpres et n'a été accueilli avec autant d'enthousiasme.
À bien y regarder, tout ceci n'est qu'une erreur, mais voilà : les erreurs ont été commises et c'est à nous d'en assumer les conséquences. " Cette phrase écrite par H.G. Adler au début de son roman en donne le ton et la substance : face à l'absurde, à l'incroyable, comment l'homme parvient-il à assumer un destin dont il ne maîtrise plus rien ? Adler cherche ici à apporter une réponse à cette question. Que cette réponse prenne la forme d'un roman s'inscrit dans la substance même du choix fait par l'auteur : répondre, par la rigueur et la force d'évocation du langage littéraire, à une situation que la raison n'est plus capable d'appréhender.
Le roman raconte le destin des membres d'une famille juive, celle du docteur Lustig - très semblable à celle d'Adler - depuis le début des mesures d'exclusion raciale, au cours de leur déportation vers un lieu ressemblant à Theresienstadt, et jusqu'à la libération par les Américains.
Un voyage n'est bien entendu pas le premier roman consacré au thème de la déportation et des camps de concentration nazis. Il est sans doute le seul, en revanche, à avoir cherché une forme littéraire parfaitement spécifique pour rendre compte de l'indescriptible. Adler utilise dans son texte un étonnant mélange d'abstraction et de narration, projetant le quotidien des camps dans une sorte de réalité parallèle, déconcertante, comme s'il s'agissait d'exprimer et de comprendre enfin une angoisse dont aucune description de lieux, de personnages ou de faits réels ne pourra jamais rendre vraiment compte : l'interdiction pure et simple de la vie, énoncée sous forme de commandements quasi-religieux passant par les institutions de l'État : police, justice et administration.
" Les Interdits " sont ainsi les habitants juifs auxquels on a interdit jusqu'au fait d'avoir un domicile. " Les Émissaires " sont les membres de la police juive chargée d'informer ceux qui vont être déportés de la date de leur départ. Et " les Héros " sont les petits sbires de la SS, une désignation qui contraste brutalement avec leur esprit étriqué et haineux. C'est l'usage systématique et profondément réfléchi de cette technique littéraire qui permet au roman d'Adler de se démarquer de tout ce qui a été écrit sur la déportation et les camps nazis : une transfiguration romanesque, souvent très abstraite et pourtant tissée de récits et d'émotions, qui plonge le lecteur dans un univers parallèle, où la réalité renaît sous forme d'idées et de mots, peut-être plus terrifiante encore que dans sa description brute. Il n'y a plus de dissonances entre la fiction et la réalité.
Écrit par Adler en 1950, après qu'il a émigré en Angleterre, Un voyage n'a été publié en Allemagne qu'en 1962. Après la guerre en effet, les grandes maisons d'édition étaient plutôt réticentes à faire paraître des romans consacrés à l'Holocauste, estimant, dans la lignée d'Adorno, que la tragédie ne pouvait être mise en fiction. Seul un petit éditeur accepta de le publier.
H.G. Adler est né en 1910 à Prague, où il a fait des études de littérature, de sciences et de musique avant de travailler pour la radio tchèque à partir de 1935. En février 1942, il est déporté avec sa famille à Theresienstadt, puis à Auschwitz, où sa première épouse et sa mère sont décédées, et, deux ans plus tard, dans des subdivisions de Buchenwald, où il a été libéré par les Américains. Au total, il a perdu 16 membres de sa famille dans les camps, dont ses parents. De 1945 à 1947, il travaille au musée juif de Prague, s'efforçant de développer les archives concernant les persécutions et le camp de Theresienstadt. Il part ensuite s'installer à Londres, où il se remarie et a un fils. Il a alors consacré la majeure partie de son existence à enseigner et écrire sur la Shoah. Plus connu pour ses essais et ses études (il a notamment fait paraître des études sur Theresienstadt, un essai sur le combat contre la " solution finale " et sur la déportation), il est l'auteur de 26 ouvrages de poésie, de philosophie, d'histoire et six de fictions - dont Un voyage - pour lesquels il a reçu de nombreux prix. Il est mort à Londres en 1988.
Un chef d'oeuvre, écrit dans une prose particulièrement belle et pure. [...] Adler a réinstallé le principe d'espoir dans la littérature moderne. " (Elias Canetti) Salué par Heimito von Döderer et Elias Canetti, proche du travail de James Joyce et de Virginia Woolf par le caractère innovant de son style, Un voyage s'inscrit dans la lignée des ouvrages de W.G. Sebald. L'influence de Kafka est aussi sensible. Comme dans Le Procès et Le Château, l'arbitraire et l'anonymat du pouvoir sont flagrants. Ce livre apporte la preuve que l'art a la capacité de rendre compte de l'inimaginable, qu'il peut même élargir la perception que les gens peuvent en avoir. Un livre qui ne peut que fasciner toute personne s'intéressant à l'histoire récente et à la littérature moderne.
Explorateurs de l'abîme signe le retour d'enrique vila-matas au genre qui a largement contribué à son succès : la nouvelle.
Il explore et analyse l'abîme sur lequel se penchent des personnages cocasses, toujours aux limites de la condition humaine. tel un équilibriste, vila-matas oscille entre fantastique, science-fiction, utopie, humour et tragique. en témoigne cette extraordinaire histoire tissée avec la plasticienne sophie calle. apparaissent également des réflexions propres à l'atelier d'écriture de vila-matas. chaque nouvelle s'inscrit dans le prolongement de la précédente (le vide, la disparition, l'abîme, l'au-delà), mais rompt en imposant son propre ton.
Toutes, cependant, sont autant de déclinaisons de la réponse donnée à son valet par le narrateur du départ de franz kafka: "loin d'ici, voilà mon but ! "
Dans ce petit livre très dense, composé avec le concours d'un compagnon de jeunesse, le célèbre dessinateur satirique américain narre ses années d'enfance et d'adolescence à Bucarest entre les deux guerres et l'éveil de ses instincts artistiques, son séjour en Italie, d'abord étudiant, puis assigné à résidence par les autorités fascistes au début du conflit, avant de recevoir l'autorisation d'émigrer aux États-Unis.
Dans une deuxième partie, il décrit ses impressions de l'Amérique dans les années quarante, lorsqu'il découvre, avec l'oeil critique et fasciné d'un artiste européen immigré, les paysages, les architectures, la civilisation du nouveau-monde. Il consacre la troisième partie, sans doute la plus importante aux yeux des amateurs, à des réflexions sur l'art, surtout sur le rôle que jouent pour lui les ombres et les reflets, si bien exprimés dans ses dessins, et analyse pour nous sa manière de composer.
Au fil des pages, on trouvera un tableau touchant de la petite bourgeoisie juive en Roumanie avant guerre, des anecdotes amusantes sur les restaurants américains et sur la vie mondaine à Washington à l'époque, et aussi des maximes teintées d'humour sur des sujets variés. Un texte-clé pour les nombreux admirateurs de Saul Steinberg.
Cette correspondance, qui s'étend de 1949 à 1975, constitue un témoignage de toute première importance sur les relations intellectuelles et amicales qui unirent deux représentants majeurs de la pensée allemande au XXe siècle : Martin Heidegger, considéré comme l'un des plus grands, sinon le plus grand philosophe de son temps, et Ernst Jünger, héros exemplaire des batailles de la Première Guerre mondiale, penseur de la technique et styliste exceptionnel, qui vient de connaître récemment la consécration d'une édition de ses journaux de guerre dans la Bibliothèque de la Pléiade. Le succès qui a accueilli celle-ci confirme l'intérêt du public français pour Jünger, succès qu'il partage avec Heidegger ; ce dernier, malgré la difficulté de sa pensée et les problèmes presque insolubles que la complexité de sa langue pose à ses traducteurs français, est aussi l'un des philosophes allemands les plus lus en France.
Avant même de se connaître, les deux hommes étaient déjà entrés en dialogue, car la pensée de Heidegger sur la technique doit beaucoup au grand essai de Jünger, Le Travailleur, paru en 1932, auquel il a d'ailleurs consacré un séminaire universitaire durant l'hiver 1939-1940. Leur première rencontre n'a cependant eu lieu qu'en septembre 1948.
Leurs premiers échanges épistolaires portent sur le lancement éventuel d'une nouvelle revue de haut niveau qui leur aurait permis de retrouver une visibilité dans le champ littéraire, après la débcle allemande de 1945 ; on les voit s'interroger sur cette entreprise à laquelle ils renoncent finalement, car elle risquait de prendre un caractère trop politique, dans une période où ils étaient tous deux violemment attaqués : Heidegger pour son année de rectorat à Fribourg sous le nazisme en 1933-1934, Jünger en tant qu'ancien nationaliste et apologiste de la guerre qui, malgré son absence de compromission avec le nazisme, fut néanmoins accusé d'avoir été l'un de ses précurseurs.
Loin de se borner à un banal échange de politesses entre deux écrivains majeurs, leur correspondance compte plusieurs temps forts, en particulier à propos du dépassement du nihilisme, sur lequel portent les deux textes, Passage de la Ligne et Contribution à la question de l'Être, qu'ils s'offrent mutuellement pour l'anniversaire de leurs soixante ans, fêtés respectivement en 1949 et 1955. Mais il peut aussi arriver à Jünger de demander à Heidegger de l'aider à élucider un passage difficile sur le temps, dans les Maximes de Rivarol qu'il est en train de traduire en allemand, ce qui permet au philosophe de faire à ce sujet un exposé particulièrement lumineux et accessible.
Leurs échanges ne se situent pourtant pas constamment à ce niveau d'ambition intellectuelle, même s'ils illustrent aussi une commune préoccupation pour le langage, par exemple dans l'intérêt qu'ils portent aux expressions populaires du pays souabe dont Heidegger est originaire et où Jünger vient de s'établir. Ce nouveau point commun renforce l'atmosphère d'estime et de confiance qui règne entre eux, car cette correspondance est aussi le témoignage d'une amitié qui ne s'achèvera qu'avec la mort de Heidegger. Dans un temps rythmé par les anniversaires et les envois de livres, on échafaude des projets de rencontres que les difficultés du temps ou de l'ge rendent parfois difficiles à réaliser. Pourtant leurs deux caractères bien différents s'opposent à l'occasion, lorsque, auprès d'un Heidegger plus casanier, Jünger défend son tempérament d'incorrigible globe-trotter, en reprenant à son compte le mot d'Héraclite : " Ici aussi, il y a des dieux " - et même dans la cabine d'un bateau traversant le canal de Suez !
Avec miroirs noirs, le lecteur est reconduit sur les lieux oú se déroulait déjà l'action de scènes de la vie d'un faune et brand's haide, les deux premiers volets de la trilogie enfants de nobodaddy.
Mais cette fois-ci arno schmidt tâte de l'anticipation : tout se passe entre 1960 et 1962, la troisième guerre mondiale, nucléaire, est terminée depuis des années (le roman fut rédigé en 1951, en pleine guerre de corée) et elle a dévasté la presque totalité du monde habité. surgit un homme qui vient de loin. il semble le seul survivant. ce farouche solitaire élit domicile au milieu des genévriers. il se construit une maison, plante des pommes de terre, réunit une petite bibliothèque, des tableaux.
Il n'a plus rien d'autre à faire qu'à écrire. c'est là qu'apparaît une femme, errant à travers l'europe. une brève idylle réunira ces deux êtres fiers, mais ils ne deviendront pas un nouveau couple adam-eve. lisa repart, tandis que l'homme reste. il lui suffit de vivre dans la compagnie de la forêt, du vent et de la lune et d'écrire sous l'oeil des grands écrivains du passé qu'il vénère, les p?, wieland, tieck, cooper, e.
T. a. hoffmann. peu importe qu'il n'y ait plus de lecteurs, en dehors de toute justification éthique l'écrivain anonyme perpétue la mémoire et l'imaginaire.
Vingt-cinq ans après avoir écrit un roman d'amour, un commis aux écritures revient sur ce traumatisme ancien et démarre une sorte de journal, à la recherche de ces innombrables écrivains négatifs qui emplissent de leur assourdissant silence l'histoire de l'écriture.
Livres inachevés ou inachevables, échecs éditoriaux, succès posthumes, auteurs d'un seul livre, confession tardives d'une vocation inaboutie, maniaque du pseudonyme, incapables majeurs, désespérés a priori, partisans de la brièveté humaine jusqu'à choisir la vie contre les lettres ou jusqu'à se l'ôter par dépit, militants de l'ineffable, ou nègres consentants, tous ces petits-cousins de bartleby forment une constellation d'oú, à n'en pas douter, sont sortis les meilleurs, quand ils n'y sont pas tout simplement restés.
Dans ces labyrinthiques notes en bas de page destinées à commenter un texte invisible, en quête de tous ces livres qui demeurent en suspension dans la littérature mondiale, vila-matas montre que cette crise nous plonge au coeur même du projet d'écrire, qu'elle touche à l'essentiel de ce projet. voilà qui a de quoi alimenter l'espoir : comme les précédentes, la littérature à venir sera celle du refus ou ne sera pas.
À l'automne 1941, lorsque, abandonnant ses études de philosophie, de Lettres et d'Histoire, elle s'engage auprès de l'Armée rouge pour devenir interprète, la jeune Elena Rjevskaïa n'imagine pas qu'elle vient d'être happée par les flots incontrôlables de l'Histoire. Au gré des batailles qui grondent en Russie, en Pologne et en Allemagne, elle accompagne les membres de l'état-major soviétique afin de traduire les documents dérobés à l'ennemi et d'interroger les prisonniers de guerre. C'est ainsi qu'elle parcourt, à vingt ans à peine, la distance qui sépare Moscou de Berlin, et entre dans la capitale du Reich avec les troupes russes au printemps 1945.
Après la capitulation allemande elle participe à la découverte et l'identification du corps d'Adolf Hitler dans son bunker. Elle est la première à lire les documents personnels d'Hitler mais aussi les carnets de Goebbels ainsi que la correspondance personnelle de sa femme Magda.
C'est sur cette trajectoire hors du commun que revient l'auteur, dans des mémoires inédits en français qui éclaircissent plusieurs épisodes de la Deuxième Guerre mondiale et leurs conséquences en Russie. Dans ses mémoires, Elena Rjevskaïa raconte de manière détaillée, documents à l'appui, toute l'histoire de la découverte et de l'identification du corps du Führer, à partir d'un morceau de sa mâchoire et de quelques dents. Avec une rigueur d'historienne, elle revient sur les méthodes d'autopsie précises des corps d'Hitler, d'Eva Braun et des Goebbels, révélant tout des interrogatoires et des déclarations des témoins des derniers jours du troisième Reich et du contenu des carnets de Goebbels, de Martin Borman ou de Rattenhuber, garde-du-corps personnel de Hitler. Rjevskaïa fait ensuite état de la bataille qu'elle a dû mener à son retour en Russie pour faire connaître ce qui a été découvert. Car le pouvoir soviétique, qui entendait entretenir le mythe de la menace nazie, a étouffé l'enquête, dissimulant les preuves et réduisant au silence Elena et son équipe.
Nocturne du chili met en scène un chilien, critique littéraire et poète qui, le long d'une nuit d'agonie, tâche de se défendre des accusations qu'il entend et qui ne sont probablement qu'une dernière manifestation de sa conscience.
Sur son lit de mort, le père icabache revient fébrilement sur son passé. a mesure que le récit se rapproche de notre présent, le prêtre glisse vers l'enfer, sans rien perdre de sa mégalomanie ni de son aveuglement, lesquels atteignent leur paroxysme lorsqu'il accepte de donner des cours de marxisme à pinochet et assiste à des soirées chez maria canales, dont le mari, nord-américain, torture dans la cave des opposants au régime (anecdotes malheureusement historiques.
). le portrait s'achève alors, à la fois ridicule et effrayant, et le personnage est enfin confronté à la " tempête de merde ", son apocalypse personnelle. le tout dans une sorte d'élan de joie et de rage. dans ce roman/poème en prose, mêlant vision et grotesque, l'auteur éclaire un demi-siècle d'histoire du chili et repose une des questions qui le hantent : que peut la littérature face aux ténèbres ?.