Dès son titre, l'ouvrage annonce le tournant opéré par la modernité. Benjamin montre dans cet essai lumineux et dense que l'avènement de la photographie, puis du cinéma, n'est pas l'apparition d'une simple technique nouvelle, mais qu'il bouleverse de fond en comble le statut de l'oeuvre d'art, en lui ôtant ce que Benjamin nomme son "aura". C'est désormais la reproduction qui s'expose, mettant en valeur la possibilité pour l'oeuvre d'art de se retrouver n'importe où. Capacité à circuler qui la transforme en marchandise. Benjamin met au jour les conséquences immenses de cette révolution, bien au-delà de la sphère artistique, dans tout le champ social et politique. Avec le cinéma, c'est la technique de reproduction elle-même qui désormais produit l'oeuvre d'art. Là, c'est l'image de l'acteur qui devient marchandise, consommée par le public qui constitue son marché. La massification du public de ces oeuvres a servi les totalitarismes. D'où "l'esthétisation de la politique" encouragée par le fascisme et la "politisation de l'art" défendue par le communisme.
«Le discours sur la mode alterne le blâme moral et l'admiration béate. Mais, dans un cas comme dans l'autre, il se trompe. C'est un discours systématiquement hors sujet, où la mode n'est qu'un prétexte à divagations sur des réalités qui lui sont extérieures, les moeurs d'une société donnée ou l'état de santé de son économie. Bref, un discours où l'on parle de tout sauf de la mode elle-même. Ce n'est qu'en fixant le regard sur ce qui, dans un interminable feu d'artifice, apparaît pour disparaître aussitôt, qu'il devient possible de découvrir ce qu'est réellement la mode. De manière encore provisoire, celle-ci peut être définie par l'idée de catastrophe permanente.» Après les sphères de l'art, de la culture ou encore de la technique, Francesco Masci poursuit son étude des forces en acte dans la modernité occidentale, et s'attaque à un phénomène résolument moderne : la mode. Existant à la manière d'une totalité close, selon ses propres lois et ses propres codes, la mode ne se laisse subordonner ni au monde de l'art ni à celui de la morale. Elle n'existe finalement que pour elle-même, advient et meurt par elle-même, suivant sa temporalité propre, cyclique, rituelle, loin de toute représentation linéaire du temps. Extinction, apocalypse ou «fin de l'Histoire» ? La mode constitue une résistance aussi inattendue que radicale aux visions eschatologiques, par ailleurs toujours mises en échec, d'un présent obsédé par l'avènement de sa propre fin.
À ce jour, «De Pictura» de Leon Battista Alberti s'est vendu à plus de 7 340 exemplaires.
«La Naissance de Vénus et le Printemps de Sandro Botticelli» d'Aby Warburg s'est vendu à plus de 2 660 exemplaires.
Cette Petite apologie de l'expérience esthétique est le texte d'une
conférence claire et concise, prononcée en 1972. Jauss y entreprend de réhabiliter la notion de jouissance esthétique à la fois contre la notion vulgaire de simple plaisir, car la jouissance est inséparable de la connaissance, et contre les attaques des ascètes modernes qui voudraient exclure toute jouissance de l'art, conçu comme pure intellectualité. Car il est impossible de faire abstraction de la jouissance que provoque l'expérience esthétique, il faut au contraire la prendre comme objet de réflexion. C'est à ce prix qu'une telle expérience peut devenir libératrice et donner naissance à une forme
nouvelle de sociabilité. L'expérience esthétique est amputée de sa fonction sociale si elle reste enfermée dans le cercle vicieux de l'art qui ne renvoie qu'à lui-même.
Ne regardez jamais l'appareil.
Dans cette conférence donnée à New York en 1948, John Cage jette un regard lucide sur les débuts de sa carrière ponctués d'anecdotes édifiantes. C'est avec la plus totale sincérité que John Cage décrit ici le cheminement qui l'a conduit à devenir compositeur. Il a d'abord commencé par des études d'architecture. À ce sujet, il raconte, non sans humour, un voyage en France, pays qui lui sembla totalement recouvert d'architecture gothique ! Mais très vite, il se tourne vers la peinture et la composition. Il détaille ses influences, ses préoccupations et ses envies. L'éventail de ses références est à cet égard vertigineux : les mouvements de la danse moderne, le jazz, les futuristes italiens ou encore les rites des Indiens Navajo. Sans crier gare, il livre là, de manière extrêmement limpide, une théorie de la musique avant tout tirée de son expérience. On y apprend notamment que sa musique était diffusée à la radio durant la guerre pour démontrer que l'Amérique aimait l'Orient... John Cage se révèle ici, outre un "maître du hasard" à la manière de Duchamp, un immense pédagogue.
John Cage rencontre Marcel Duchamp en 1941. Trente après, il confie dans le présent entretien les souvenirs qu'il conserve de cet homme. Et c'est un véritable hommage d'un artiste à un autre artiste et un témoignage drôle et émouvant sur celui qui «prenait le fait de s'amuser très au sérieux». Les oeuvres de ces deux artistes s'offrent l'une l'autre dans un miroir inversé : Cage explique avec une grande clarté avoir voulu développer la dimension physique de l'écoute quand Duchamp voulait réduire cette dimension dans la peinture. Cage rapporte aussi des anecdotes, et notamment la rare fois où Duchamp a perdu son sang-froid, lui d'ordinaire si magnanime : une mémorable partie d'échecs, que Cage aurait dû gagner mais qu'il a perdue, ce qui a mis Duchamp dans une colère noire...
Nul doute pour John Cage, il serait un artiste. Mais, de là à choisir une seule et unique forme d'expression artistique, il y a toute une vie : architecture, peinture, composition de musique, théâtre, art du cirque, Cage touche à tout, laisse de côté, puis revient, et décide finalement que c'est la musique qui l'anime. Cette musique, cependant, il l'expérimente : Cage repousse les règles académiques et base ses oeuvres sur le silence et le hasard. Par ces fragments de 1989, d'une écriture fluide et ramassée, le compositeur dresse un tableau à la fois succinct et complet des moments forts et charnières de sa vie pourtant extrêmement riche, tout en va-et-vient, recherches et changements d'avis. Le tout, sans jamais se défaire de son humour et de son esprit de dérision inimitables.
Dans cette Petite Anatomie de l'inconscient physique ou anatomie de l'image, qui date de 1957, Bellmer s'est analysé lui-même avec une remarquable précision. On connaît peu d'artistes qui ont poussé l'introspection et l'exploration de leur inconscient à ce point de lucidité. Il commente, entre autres, les obsessions qui ont présidé à l'élaboration de la Poupée, en les confrontant notamment à l'exégèse freudienne de certains jeux de mots et à des expériences d'origine hallucinogène vécues par son ami poète Joë Bousquet.
L'ouvrage est illustré de 9 dessins érotiques de l'auteur.
L'ensemble de la vie musicale contemporaine est dominé par la corme de la marchandise : les derniers vestiges précapitalistes ont disparu. La musique, à laquelle on accorde avec générosité tous les attributs des choses éthérées et sublimes, sert essentiellement la publicité des marchandises que l'on doit précisément acquérir pour pouvoir écouter de la musique.
De 1899 jusqu'à sa mort, Karl Kraus (1874-1936) fut le fondateur, et parfois l'unique rédacteur, de Die Fackel (Le flambeau), revue lue par les plus grands (Musil, Wittgenstein ou encore Adorno). Les milieux intellectuels et les journalistes redoutent cette plume acerbe, admirée par Thomas Bernhard et à laquelle Walter Benjamin rend hommage dans cet essai lumineux. Kraus fut un fin limier du langage et a su faire apparaître « le journalisme comme l'expression parfaite du changement de fonction du langage dans le capitalisme avancé ». Mais Benjamin ne fait pas que commenter des idées, il dresse le portrait sans concession d'un dramaturge qui fut aussi son propre personnage : « «Shakespeare a tout prévu» ; en effet ! Il a surtout prévu Kraus lui-même. »
Le point commun entre Daft Punk et Stockhausen, Public Enemy et Brian Eno ? Ils font tous partie de la plus grande aventure musicale de la fi n du XXe et du début du XXIe siècle, celle des musiques électroniques. Du futurisme italien jusqu'aux déconstructions de la house ou du downtempo, depuis les montages des précurseurs de la musique concrète jusqu'à l'extrémisme du gabber et la douceur de l'ambiant, en passant par le hip-hop et la techno de Detroit, Modulations est l'histoire raisonnée de ces musiques. Chaque chapitre, écrit par un érudit, en traite un aspect.
Panorama complété par la transcription d'interviews. S'adressant au néophyte autant qu'à l'amateur éclairé, Modulations o® re les clefs pour comprendre une musique qui a révolutionné la manière de composer et d'écouter.
Montage d'entretiens avec les protagonistes du punk-rock américain, ce livre vivant, drôle, tragique, nous plonge dans la vie quotidienne du Velvet Underground, des Stooges, des New York Dolls, de Patti Smith ou encore des Ramones. Les acteurs relatent avec gouaille des anecdotes délirantes, on rit des frasques d'Iggy Pop ou de l'impayable Dee Dee Ramone. Les amitiés indéfectibles côtoient les antipathies et les amours explosives. Tous dévoilent leur mode de vie extrême, moins centré sur l'image que le punk anglais, refusant le peace and love des années 60 et la culture de l'argent roi qui naît avec les années 80. Mais l'innocence paradoxale verse un lourd tribut à ses excès (overdoses, prostitution) et manipule la dérision comme une arme de destruction massive.
Ne vous faites pas d'illusions.
Pier Paolo Pasolini
Jean Cassou disait d'Ortega y Gasset qu'il ne craignait pas la frivolité, voire la recherchait.
Ce n'est pas le moindre des paradoxes, quand on lit ce texte-ci, mélange de critique « sérieuse » et de fascination-répulsion pour un art devenu aux yeux de l'auteur futile. L'auteur s'attaque à une tendance de l'art de l'époque (ce texte est publié pour la première fois en 1925) à éliminer la fi gure humaine de ses sujets au point de devenir autocritique, voire un jeu entre artistes. Cela conduit à le rendre impopulaire. Dégagé du sérieux et de tout pathos , l'art perd sa transcendance au profi t de la superfi cialité, du divertissement. Il est le symptôme d'une crise culturelle, qui annonce la décadence d'une société de plus en plus tournée vers le spectacle.
C'est sur le ton de la confidence et avec simplicité que Marcel Duchamp se livre à Pierre Cabanne. Il retrace sa vie, celle d'un artiste qui n'a voulu ni plaire ni choquer.
L'honnêteté de ses réponses n'exclut pas les pirouettes et les traits d'ironie. Après l'abandon de la peinture, l'auteur du ready-made s'intéresse au mouvement et à l'optique. Il a aussi cherché à «capturer le hasard» et à se détacher du pouvoir rétinien de l'oeuvre. Surtout, il n'hésite pas à avouer sa «paresse énorme», bien qu'il soit un touche-à-tout et un bricoleur sans égal. Ce témoignage authentique, parfois déconcertant, sur cette «vie de garçon de café» permet de pénétrer l'oeuvre mais aussi ses dessous. Car les amitiés et relations amoureuses sont loin d'être innocentes pour comprendre ce Grand Perturbateur.
Inventé entre 1813 et 1829, le daguerréotype permet de fixer des images de la chambre noire sur des plaques d'argent sensibilisées à la vapeur d'iode. Le procédé promet d'emblée une fabrication mécanisée des images, confortant une foi largement partagée à l'époque dans le progrès industriel.
Inventeur du Diorama en 1822, reconnu comme un maître du trompe-l'oeil, Daguerre n'était toutefois pas jugé sérieux aux yeux des membres de l'Académie des Beaux-Arts. Raison pour laquelle, Arago, quand il défend l'invention de Daguerre devant la Chambre des députés en juillet 1839, précise l'éventail de découvertes scientifiques dont ce procédé révolutionnaire peut être à l'origine. À la portée de tous, le daguerréotype, à michemin entre l'art et la science, incarne alors un nouvel égalitarisme.
L'art abstrait n'est pas né de l'art. Mais d'un contexte. Il émerge au moment où les conditions matérielles et psychologiques de la culture moderne connaissent une profonde mutation. Pour Schapiro, l'art abstrait n'est pas une révolte contre les mouvements artistiques précédents, mais une réaction, entre autres, aux transformations technologiques, qui métamorphosent notre rapport à la représentation. Puisant ses exemples dans différents mouvements artistiques, de l'impressionnisme aux avant-gardes historiques, Schapiro met au jour des aspirations humaines fondamentales, intimement liées à l'histoire. Cependant il montre également, par la voix des artistes, l'intimité de ce contexte avec lintériorité. L'uvre de Kandinsky est certes une lutte contre le matérialisme de la société moderne, mais provient aussi de cette "nécessité intérieure" par laquelle l'artiste, présenté comme le premier peintre abstrait, rejoint la quête expressionniste. Schapiro prend ici le contre-pied des penseurs de son époque, promoteurs du critère de la nouveauté purement artistique et du dualisme manichéen abstraction/figuration. L'art abstrait est au contraire une matière généreuse envers les autres disciplines et a permis de reconsidérer les autres arts, primitifs, les dessins d'enfants ou ceux des aliénés.
Publié en 1974 avec une préface de Brian Eno, Experimental Music est l'ouvrage qui fait autorité sur la question. Cette tradition musicale anglo-américaine née en grande partie de la musique et des idées de John Cage s'est développée dans la seconde moitié du 20e siècle parallèlement et, en partie, en opposition avec l'avant-garde dominante de Boulez ou Stockhausen. Commençant par John Cage et sa fameuse pièce "silencieuse" 4'33'' Nyman étudie le travail de compositeurs et de groupes qui ont adopté des attitudes radicalement novatrices envers les concepts d'oeuvre musicale, de notation, de temps et d'espace et entrepris de bouleverser les rôles du compositeur, de l'exécutant et de l'auditoire. 25 années après la sortie de l'ouvrage on peut mesurer combien ces audaces ont modifié notre approche de la musique et renouvelé le répertoire contemporain. Steve Reich, Philipp Glass, Gavin Bryars, Michael Nyman lui-même sont issus de cette école
expérimentale, qui, d'abord décriée pour son manque de clarté et son étrangeté, a trouvé aujourd'hui un public enthousiaste. L'ouvrage de Nyman, dont il n'existe aucun équivalent en français, mêle avec bonheur les analyses et les anecdotes (contrairement à ce qu'on pourrait penser l'humour tient une grande part dans ce mouvement ainsi d'ailleurs que les revendications politiques) et parvient à faire saisir au non-initié les fondements et les enjeux d'un courant qui a influencé en profondeur toute la musique actuelle.
Dès l'invasion des premiers postes radiophoniques dans les foyers européens eu début du vingtième siècle, Walter Benjamin perçoit l'incroyable potentiel de la radio d'influer sur la vie de chacun. Par la création de pièces dans lesquelles il met en scène la meilleure réaction à adopter dans des situations banales telles que la négociation de salaire, la dispute de couple ou encore l'enfant qui ment à ses parents, Benjamin entend mettre en pratique ses réflexions sur les moyens de reproductibilité technique et la popularisation de la culture. Avec humour et un talent incontestable de metteur en scène ainsi qu'une verve de dialoguiste, Benjamin esquisse ici une théorie de la radio et s'y fait précurseur des cultural studies.
J'ai voulu explorer les zones obscures de l'histoire de la country music, pas sa popularité actuelle ; écrire un livre pour ceux qui s'intéressent davantage à la question de savoir d'oú vient cette musique et ce qu'elle est profondément, plutôt qu'à son développement récent.
Alors que le livre regorge de stars à moitié oubliées, de chanteurs de honky-tonk fanés, de rockabillies obscurs et de musiciens noirs des générations passées, alors que des pages et des pages sont consacrées à des gens comme jimmie rodgers, elvis presley et jerry lee lewis, ce vieux willie nelson et ce vieux waylon jennings ne sont signalés qu'en passant. et tandis que le plus long chapitre du livre est dédié au thème du sexe dans la country music, la vallée de l'ombre du décolleté de dolly parton est complètement passée à l'as.
N. Tosches était tombé par hasard sur un disque enregistré dans les années trente par un artiste dont le nom ne lui disait rien, Emmett Miller. La voix et la musique qu'il entend le chavirent.
Il se lance alors dans une quête qui va durer des années (...) et finit par découvrir qu'Emmett Miller participait à des spectacles de ménestrel blackface, où des Blancs se grimaient en Noirs.
Depuis près de deux mille ans, les Chinois considèrent la calligraphie comme l'un des beaux-arts, un art plus ancien que la peinture, et traditionnellement placé au-dessus d'elle. Cet art consiste à donner vie à l'écriture comme l'interprète donne vie à une composition musicale en la jouant. Par la forme qu'il donne à l'écriture, le calligraphe peut exprimer une conviction morale, une manière d'être, une sensibilité, des émotions, dont L'Art chinois de l'écriture retrace la genèse. Cet ouvrage est une magistrale synthèse sur la calligraphie chinoise, écrite pour le grand public autant que pour les historiens de l'art et les sinologues.
La révolution numérique affecte en profondeur le monde de la musique contemporaine, qui connaît une forme de «désinstitutionalisation». L'on peut désormais composer avec des orchestres virtuels, prendre des cours en ligne, tandis que la notation s'efface devant les répertoires d'échantillons. On n'écrit plus de la musique, on l'édite. Désormais à portée de tous, la musique entretient des liens avec l'image et la performance artistique.
Dans ce panorama, aussi concis qu'érudit, Harry Lehmann propose un point de vue à la fois actuel et visionnaire sur la musique 2.0. Adoptant un point de vue esthétique, historique et sociologique, il introduit le concept de «musique relationnelle», à même de rendre compte d'une pratique plus démocratique, inscrite dans le quotidien.