filter
Languages
Price
jacques ranciere
-
La mésentente ; politique et philosophie
Jacques Rancière
- La Fabrique Éditions
- 22 August 2025
- 9782358723039
Ce livre a paru en 1995. Après l'effondrement de l'empire soviétique, l'Occident proclamait alors le retour de la pensée politique et le triomphe de la démocratie. Mais ce triomphe prenait un visage singulier. De plus en plus la discussion et le choix démocratiques s'identifiaient à l'accord des partis jadis opposés sur le fait qu'il n'y avait pas grand-chose à discuter parce que l'état global du monde imposait les seules solutions praticables. A cet ordre nécessaire des choses et des idées on donna le nom de consensus . Ce nom promettait la paix mais s'accompagnait en fait de la multiplication des formes d'exclusion et de la passion d'exclure.
Cette bizarre conjoncture a amené Jacques Rancière à juger nécessaire de repenser la nature de la politique. Celle-ci n'est pas l'exercice du pouvoir en général mais celui d'un pouvoir bien particulier , le pouvoir du peuple, c'est-à-dire de ceux qui n'ont aucun titre particulier à exercer le pouvoir . C'est ce pouvoir paradoxal qui , dès la Grèce antique , s'est mis en travers d'un ordre normal des choses où le commandement revient à ceux qui y sont prédestinés par leur naissance ou leur richesse. C'est lui qui s'est affirmé dans les luttes d'émancipation modernes où les hommes et les femmes enfermés dans le monde privé de l'atelier ou du ménage se sont transformés en acteurs de ce monde commun qui les excluait. Le coeur de la politique, c'est l'affirmation du pouvoir des incomptés qui vient brouiller toute distribution ordonnée des parties de la société et des parts qui leur reviennent.
A partir de là , il est possible de comprendre la nature du consensus. Celui-ci signifie la liquidation de cette action des incomptés et l'identification de la politique à la gestion étatique des intérêts , une gestion ramenée à la soumission à une nécessité posée comme objective, celle du monde globalisé sous la loi du libre marché. Il y a trente ans cette liberté se déclarait accordée aux formes de vie des individus et des groupes sociaux. Le livre montrait la violence inhérente à ce prétendu règne de la liberté. Au temps de Trump et d'Elon Musk , celle-ci éclate à nu. L'ordre consensuel est celui d'un capitalisme absolutisé qui veut régenter les corps et les esprits et construire un monde soumis au seul droit du plus fort. Ce livre appelle à retrouver, contre cette entreprise totalitaire, le sens de la politique comme exercice de la capacité des égaux. Une postface nouvelle en explicite l'histoire et les enjeux. -
En 1818, Jacotot sème un vent de révolution dans l'Europe savante. Non content d'avoir appris le français à des étudiants flamands sans leur donner aucune leçon, il se met à enseigner ce qu'il ignore, proclamant l'émancipation intellectuelle. Jacques Rancière lui rend ici un brillant hommage et ravive une philosophie trop vite oubliée d'une égalité universelle de l'intelligence.
L'instruction est comme la liberté: cela ne se donne pas, cela se prend. Joseph Jacotot -
Au loin la liberté : Essai sur Tchekhov
Jacques Rancière
- La Fabrique Éditions
- 13 September 2024
- 9782358722834
Une courte nouvelle de Tchekhov nous montre deux gendarmes en compagnie d'un vagabond qu'ils mènent en prison. En écoutant celui-ci raconter ses rêves de liberté, les gendarmes tendent leur esprit pour se représenter la « distance effrayante qui les sépare du pays de la liberté ». Ce livre envisage l'oeuvre tout entière du narrateur Tchekhov comme une tension pour prendre la mesure de cette distance : pour montrer combien la vie que ses contemporains mènent est éloignée de la liberté mais aussi pour l'imposer comme le point focal qui commande de changer cette vie et ne se laisse pas oublier. De là le rapport très particulier qui s'établit entre le choix de ses sujets, la manière dont il les traite et les effets qu'il en attend. Tchekhov ne montre pas des hommes écrasés par les forces de l'exploitation et de la répression mais des hommes chez qui la servitude est une manière d'être, un cours normal du temps et des choses qu'ils n'osent pas interrompre. Il ne procède pas par tableaux d'ensemble destinés à montrer les maux d'une société que des réformateurs auraient pour tâche de guérir. Ses récits ne partent pas d'une situation originelle dont ils développeraient les conséquences jusqu'à leur conclusion nécessaire. Ils commencent par le milieu en se concentrant sur des moments privilégiés où des personnages quelconques - riches ou pauvres, gendarmes ou voleurs, professeurs ou illettrés... - se trouvent invités à franchir un pas devant lequel ils se dérobent le plus souvent. Les cinq premiers chapitres du livre dessinent la dramaturgie de la servitude et de l'appel typique du récit tchekhovien. Les quatre derniers analysent le mode d'adresse et la poétique qui y répondent. Tchekhov s'adresse aux semblables de ses personnages mais non pas pour leur faire prendre conscience des causes globales de leur situation. Il n'y a pas d'autre raison à la servitude que la servitude elle-même qui reproduit sans cesse les manières, les affects et les pensées qui la perpétuent en retour. Pour briser le cercle, pour former des hommes capables de transformer en réalité l'appel de la vie nouvelle, il faut d'abord changer les manières de sentir. C'est à cette révolution des affects que s'emploie l'écrivain. Pour cela il lui faut raconter et moduler autrement le malheur en mêlant ses accents à ceux de l'appel lointain. Il lui faut constituer un enchaînement mélodique qui s'oppose au ronronnement de la servitude et s'enfonce plus profondément que lui dans l'expérience sensible des humains. Le récit adressé à ces hommes et femmes qui vivent mal et ont toujours le pouvoir de vivre mieux doit être semblable au chant rauque et pourtant consolateur du butor invisible dans les marais : il doit leur faire sentir leur malheur d'une manière plus heureuse, donc plus libre, en les faisant pleurer deux fois : non pas seulement par la honte ressentie mais aussi par la consolation qui lui est apportée.
-
L'expérience esthétique : Dialogue avec Bernard Aspe
Jacques Rancière
- NOUS
- 15 January 2025
- 9782370841469
A venir
-
« Celui qui voit ne sait pas voir » : telle est la présupposition qui traverse notre histoire, de la caverne platonicienne à la dénonciation de la société du spectacle. Elle est commune au philosophe qui veut que chacun se tienne à sa place et aux révolutionnaires qui veulent arracher les dominés aux illusions qui les y maintiennent. Pour guérir l'aveuglement de celui qui voit, deux grandes stratégies tiennent encore le haut du pavé. L'une veut montrer aux aveugles ce qu'ils ne voient pas : cela va de la pédagogie explicatrice des cartels de musées aux installations spectaculaires destinés à faire découvrir aux étourdis qu'ils sont envahis par les images du pouvoir médiatique et de la société de consommation. L'autre veut couper à sa racine le mal de la vision en transformant le spectacle en performance et le spectateur en homme agissant. Les textes réunis dans ce recueil opposent à ces deux stratégies une hypothèse aussi simple que dérangeante : que le fait de voir ne comporte aucune infirmité ; que la transformation en spectateurs de ceux qui étaient voués aux contraintes et aux hiérarchies de l'action a pu contribuer au bouleversement des positions sociales ; et que la grande dénonciation de l'homme aliéné par l'excès des images a d'abord été la réponse de l'ordre dominant à ce désordre. L'émancipation du spectateur, c'est alors l'affirmation de sa capacité de voir ce qu'il voit et de savoir quoi en penser et quoi en faire. Les interventions réunies dans ce recueil examinent, à la lumière de cette hypothèse, quelques formes et problématiques significatives de l'art contemporain et s'efforcent de répondre à quelques questions : qu'entendre exactement par art politique ou politique de l'art ? Où en sommes-nous avec la tradition de l'art critique ou avec le désir de mettre l'art dans la vie ? Comment la critique militante de la consommation des marchandises et des images est-elle devenue l'affirmation mélancolique de leur toute-puissance ou la dénonciation réactionnaire de l' « homme démocratique » ?
-
hier encore, le discours officiel opposait les vertus de la démocratie à l'horreur totalitaire, tandis que les révolutionnaires récusaient ses apparences au nom d'une démocratie réelle à venir.
ces temps sont révolus. alors même que certains gouvernements s'emploient à exporter la démocratie par la force des armes, notre intelligentsia n'en finit pas de déceler, dans tous les aspects de la vie publique et privée, les symptômes funestes de l'" individualisme démocratique " et les ravages de l'" égalitarisme " détruisant les valeurs collectives, forgeant un nouveau totalitarisme et conduisant l'humanité au suicide.
pour comprendre cette mutation idéologique, il ne suffit pas de l'inscrire dans le présent du gouvernement mondial de la richesse. il faut remonter au scandale premier que représente le " gouvernement du peuple " et saisir les liens complexes entre démocratie, politique, république et représentation. a ce prix, il est possible de retrouver, derrière les tièdes amours d'hier et les déchaînements haineux d'aujourd'hui, la puissance subversive toujours neuve et toujours menacée de l'idée démocratique.
-
Les trente inglorieuses : scènes politiques
Jacques Rancière
- La Fabrique Éditions
- 14 January 2022
- 9782358722247
Ce livre rassemble des interventions répondant à la contrainte d'un présent : une série d'irruptions de la logique de l'égalité et du pouvoir de « ceux qui ne sont rien » - des indignés et Nuit debout aux Gilets jaunes et leurs ronds points ; l'émergence des populismes et le devenir autoritaire de la version « consensuelle » et « policière » de la démocratie ; le renouveau du racisme d'État et des passions inégalitaires - islamophobie, politiques anti-migrants et anti-roms, néorépublicanisme réactionnaire. Ce recueil est le témoin de la capacité d'un philosophe, dont toute la carrière s'est vue consacrée à défendre le sens égalitaire de la démocratie contre son dévoiement oligarchique, à prendre position sur trente années et intervenir dans la conjoncture politique et sociale.
Depuis trente ans la contre-révolution intellectuelle a cherché à transformer toutes les luttes sociales et les mouvements d'émancipation du passé en prodromes du totalitarisme, toutes les affirmations collectives opposées au règne des oligarchies économiques et étatiques en symptômes d'égoïsme et d'arriération.
Les interventions ici réunies veulent à l'inverse rendre sensibles les ruptures que les inventions égalitaires opèrent dans le tissu de la domination. Elles n'apportent pas le point de vue du savant ou du moraliste, mais seulement une contribution individuelle au travail par lequel individus et collectifs sans légitimité s'appliquent à redessiner la carte du possible.
-
Le Partage du Sensible : Esthétique et politique
Jacques Rancière
- La Fabrique Éditions
- 10 April 2000
- 9782913372054
Au-delà des débats sur la crise de l'art ou la mort de l'image qui rejouent l'interminable scène de la fin des utopies, le présent texte voudrait établir quelques conditions d'intelligibilité du lien qui noue esthétique et politique. Il propose pour cela d'en revenir à l'inscription première des pratiques artistiques dans le découpage des temps et des espaces, du visible et de l'invisible, de la parole et du bruit, qui définit à la fois le lieu et l'enjeu de la politique. On peut alors distinguer des régimes historiques des arts comme formes spécifiques de ce rapport et renvoyer les spéculations sur le destin fatal ou glorieux de la « modernité » à l'analyse d'une de ces formes. On peut aussi comprendre comment un même régime de pensée fonde la proclamation de l'autonomie de l'art et son identification à une forme de l'expérience collective. Les arts ne prêtent aux entreprises de la domination ou de l'émancipation que ce qu'ils peuvent leur prêter, soit simplement ce qu'ils ont de commun avec elles: des positions et des mouvements des corps, des fonctions de la parole, des répartitions du visible et de l'invisible. (J.R.)
-
-
Le temps du paysage ; aux origines de la révolution esthétique
Jacques Rancière
- La Fabrique Éditions
- 7 February 2020
- 9782358721912
Sans doute faut-il préciser l'objet qui donne son titre à ce livre. Le temps du paysage ici considéré n'est pas celui où l'on a commencé à décrire dans des poèmes ou à représenter sur des murs des jardins fleuris, de sombres forêts, des montagnes majestueuses, des lacs paisibles ou des mers agitées. Il n'est pas non plus celui de la naissance et des transformations de ce mot ou de ses équivalents dans d'autres langues. Il est celui où le paysage s'est imposé comme un objet de pensée spécifique. Cet objet de pensée s'est constitué à travers des querelles concrètes sur l'aménagement des jardins, des descriptions minutieuses de parcs ornés de temples à l'antique ou d'humbles sentiers forestiers, des récits de voyages à travers lacs et montagnes solitaires ou des évocations de peintures mythologiques ou rustiques. Et ce livre en suivra les détours. Mais ce qui se forme à travers ces récits et ces querelles, ce n'est pas simplement le goût pour un spectacle qui charme les yeux ou élève l'âme. C'est l'expérience d'une forme d'unité de la diversité sensible propre à modifier la configuration existante des objets de pensée et des notions propres à les penser. Le temps du paysage est celui où l'harmonie ou la dysharmonie présentée par les jardins aménagés ou par la nature sauvage contribue à bouleverser les critères du beau et le sens même du mot art. Ce bouleversement en implique un autre qui affecte le sens d'une notion fondamentale, dans l'usage commun comme dans la réflexion philosophique, celle de nature. Or on ne touche pas à la nature sans toucher à la société qui est censée obéir à ses lois. Et le temps du paysage est aussi celui où une certaine harmonie du spectacle des champs, des forêts ou des cours d'eau s'avère propre à métaphoriser l'ordre qui convient aux sociétés humaines.
-
Fascisme 2.0
Etienne Ollion, Safia Dahani, Jean-François Bayart, Judith Butler, William Callison, Nastasia Hadjadji, Yves Citton, Olivier Alexandre, Jacques Rancière, Johann Chapoutot, Catherine Hass, Nicolas Guilhot
- Aoc
- Imprimés Aoc
- 19 June 2025
- 9782492542244
Le deuxième numéro du magazine papier d'AOC proposera un ensemble de 20 textes longs autour des attaques que subit la démocratie partout dans le monde, et que l'arrivée de Trump au pouvoir en 2025 a rendu spectaculairement évidentes. Antérieures à ce moment, cependant, ou avançant parfois de façon masquée, ces attaques ont atteint aujourd'hui un degré tel que l'on peut ne pas avoir peur des mots : il s'agit de fascisme 2.0. Quelles en sont les réalités, conséquences, fonctionnements ? Et quels sont les moyens pour consolider la démocratie ?
L'iconographie, confiée à la curation du Palais de Tokyo, proposera une sélection d'oeuvres de la jeune artiste irano-américaine Tala Madani, dont les peintures et vidéos d'animation questionnent l'autorité politique et ses déséquilibres.
Dans ce numéro 2, une nouvelle fois, le magazine propose une véritable exposition au long de ses pages. -
Les voyages de l'art
Jacques Rancière
- Le Seuil
- La Librairie Du Xxie Siècle
- 22 September 2023
- 9782021523942
Le moment où l'art a été identifié comme une sphère d'expérience autonome et installé dans les musées et les salles de concert est aussi celui où s'est imposée à lui la nécessité de sortir de lui-même, de devenir autre chose que de l'art.
La musique a prétendu être plus que l'art des musiciens : la langue de l'esprit ou le drame de l'avenir. L'architecture a voulu construire non plus seulement des bâtiments, mais un monde nouveau et cherché pour cela à s'envoler dans les airs. Les artistes révolutionnaires ont décidé de confectionner non plus des tableaux, mais les formes de la vie nouvelle. Et les performances et installations de l'art contemporain se tiennent sur la frontière indécise du dedans et du dehors, de l'art et de la politique.
En suivant quelques-uns de ces voyages, Jacques Rancière montre aussi comment les vieux maîtres, Kant et Hegel, nous aident à en comprendre les détours. -
Tout commence à la tombée de la nuit quand, dans les années 1830, un certain nombre de prolétaires décident de briser le cercle qui place le sommeil réparateur entre les jours du salaire : cercle d´une existence indéfiniment vouée à entretenir les forces de la servitude avec celles de la domination, à reproduire le partage qui destine les uns aux privilèges de la pensée, les autres aux servitudes du travail.
Le rêve éveillé de l´émancipation ouvrière est d´abord la rupture de cet ordre du temps qui structure l´ordre social, l´affirmation d´un droit dénié à la qualité d´être pensant. Suivant l´histoire d´une génération, ce livre met en scène la singulière révolution intellectuelle cachée dans le simple nom de « mouvement ouvrier ». Il retrace ses chemins individuels et collectifs, ses rencontres avec les rêves de la communauté et les utopies du travail nouveau, sa persistance dans la défection même de l´utopie.
-
Les mots et les torts ; dialogue avec Javier Bassas
Jacques Rancière
- La Fabrique Éditions
- 19 February 2021
- 9782358722087
En dialoguant avec le jeune philosophe espagnol Javier Bassas, Jacques Rancière explicite et illustre une idée qui est au coeur de tout son travail : les mots ne sont pas, comme on le dit souvent, les ombres auxquelles s'oppose la réalité solide des choses. Les mots sont eux-mêmes des réalités dont l'action construit ou subvertit un ordre du monde. En politique, le combat des opprimés a constamment emprunté aux maîtres leurs mots et détourné le sens de ces mots pour briser le consensus, c'est-à-dire le rapport établi entre les choses et les mots qui compose le paysage sensible de la domination. Cette puissance des mots qui défait un ordre établi en subvertissant le paysage normal du visible, Jacques Rancière la montre encore à l'oeuvre dans les mouvements démocratiques récents depuis la révolution de jasmin tunisienne jusqu'aux mouvements d'occupation des places.
-
Les études réunies dans ce volume constituent la première exploration systématique de la question du temps par Jacques Rancière.
Dans le retour des pensées critiques d'aujourd'hui, l'interrogation sur le temps est une figure constante, que l'on songe à la notion d'« événement » ou aux débats inusables sur la modernité et la postmodernité.
Le temps est aussi un problème qui a accompagné toute l'oeuvre de Rancière, à travers le temps arraché par les ouvriers de La Nuit des prolétaires, les nouvelles figures du temps inaugurées par la modernité littéraire, ou encore les politiques de l'image dans les cinémas de Bresson ou Straub.
-
On le sait depuis Aristote : ce qui distingue la fiction de l'expérience ordinaire, ce n'est pas un défaut de réalité mais un surcroît de rationalité. Elle dédaigne en effet l'ordinaire des choses qui arrivent les unes après les autres pour montrer comment l'inattendu advient, le bonheur se transforme en malheur et l'ignorance en savoir.
Cette rationalité fictionnelle a subi à l'âge moderne un destin contradictoire. La science sociale a étendu à l'ensemble des rapports humains le modèle d'enchaînement causal qu'elle réservait aux actions d'êtres choisis. La littérature, à l'inverse, l'a remis en cause pour se mettre au rythme du quotidien quelconque et des existences ordinaires et s'installer sur le bord extrême qui sépare ce qu'il y a de ce qui arrive.
Dans les fictions avouées de la littérature comme dans les fictions inavouées de la politique, de la science sociale ou du journalisme, il s'agit toujours de construire les formes perceptibles et pensables d'un monde commun. De Stendhal à João Guimarães Rosa ou de Marx à Sebald, en passant par Balzac, Poe, Maupassant, Proust, Rilke, Conrad, Auerbach, Faulkner et quelques autres, ce livre explore ces constructions au bord du rien et du tout.
En un temps où la médiocre fiction nommée « information » prétend saturer le champ de l'actuel avec ses feuilletons éculés de petits arrivistes à l'assaut du pouvoir sur fond de récits immémoriaux d'atrocités lointaines, une telle recherche peut contribuer à élargir l'horizon des regards et des pensées sur ce qu'on appelle un monde et sur les manières de l'habiter.
-
En quel temps vivons-nous ? conversation avec Eric Hazan
Jacques Rancière
- La Fabrique Éditions
- 19 May 2017
- 9782358720977
Comment lutter contre les diverses formes d'oppression et sortir d'une logique défaitiste ? Jacques Rancière rappelle que l'idée de révolution moderne, réactualisée à chaque insurrection, s'inscrit dans une redéfinition sensible des rapports sociaux. La radicalité du mouvement des places tient finalement dans sa capacité à créer et consolider « des formes de dissidence subjective et des formes d'organisation de vie à l'écart du monde dominant ».
-
Penser l'émancipation : dialogue avec Aliocha Wald Lasowski
Jacques Rancière, Aliocha Wald Lasowski
- Editions de l'Aube
- Mikros Essai
- 3 November 2023
- 9782815957717
Penser l'émancipation, c'est maintenir ouverte la capacité de changer la vie en démocratie. Un autre monde est possible. Par la redistribution des places dans la société, la résistance à l'économie de marché, la relance écologique, l'engagement des femmes ou encore la mobilisation de la jeunesse.
-
" le moderne dédaigne d'imaginer " disait mallarmé.
Poètes, peintres, dramaturges ou ingénieurs voulaient alors mettre l'union de la forme et de l'acte à la place de la vieille dualité de la réalité et de l'image. la vie en eût été révolutionnée. nos contemporains ne croient plus en la révolution et chantent à nouveau, fût-ce au passé, le culte de l'image : éclair sublime sur la toile, punctum de la photographie ou plan-icône. l'image devient la présence sensible de l'autre : verbe devenu chair ou marque du dieu irreprésentable.
A l'une et l'autre vision jacques rancière oppose la nature composée, hétérogène, de ce que nous appelons des images. celles-ci ne sont ni des copies ni des présences brutes, mais des opérations singulières, redistribuant les rapports du visible, du dicible et du pensable. a l'exemple de la phrase-image de godard, étudiée ici, qui superpose un plan de film noir, une image de l'extermination des juifs et un discours de philosophe, ce livre analyse les liens méconnus qui unissent symbolisme poétique et design industriel, fictions du xixe siècle et témoignages sur les camps ou installations de l'art contemporain.
Un même projet anime ces parcours croisés : libérer les images des ombres théologiques pour les rendre à l'invention poétique et à ses enjeux politiques.
-
Une fillette et son tueur devant une vitrine, une silhouette noire descendant un escalier, la jupe arrachée d'une kolkhozienne, une femme qui court au-devant des balles : ces images signées Lang ou Murnau, Eisenstein ou Rossellini, iconisent le cinéma et cachent ses paradoxes. Un art est toujours aussi une idée et un rêve de l'art. L'identité de la volonté artiste et du regard impassible des choses, la philosophie déjà l'avait conçue, le roman et le théâtre l'avaient tentée à leur manière. Le cinéma ne remplit pourtant leur attente qu'au prix de la contredire.
Jacques Rancière analyse les formes de ce conflit entre deux poétiques qui fait l'âme du cinéma et montre comment la fable cinématographique est toujours une fable contrariée, qui brouille les frontières du document et de la fiction.
-
On rencontre souvent la notion d'« écart » chez Rancière, toujours soucieux de « faire du deux avec de l'un ». Appliquée au cinéma, l'écart porte aussi bien sur la nature de la cinéphilie, qui lie le culte de l'art et la démocratie des divertissements, sur le rapport compliqué entre cinéma et politique, ou encore sur l'unité même de cet art, forme d'émotion ou vision du monde. Peut-être faut-il se demander « si le cinéma n'existe pas justement sous la forme de ce système d'écarts irréductibles entre des choses qui portent le même nom sans être des membres d'un même corps ».
C'est à partir de questions de cet ordre que Rancière convoque Bresson, Straub et Huillet, Pedro Costa, mais aussi Minelli et Hitchcock. Il ne raconte pas les films, il ne les commente pas non plus comme ferait un journaliste - il montre ce que, sans lui, nous ne verrions sans doute pas.
-
Le mot "peuple" a tant de sens différents qu'un danger en découle : celui de le ranger dans le vaste ensemble de mots en caoutchouc qui servent avant tout au maintien de l'ordre existant. Et de fait, certains usages du mot - comme le jugement et l'envoi en prison "Au nom du peuple français" - peuvent justifier une telle méfiance.
Mais les textes réunis dans ce livre montrent que "peuple" reste un mot actuel depuis l'article 35 de la Déclaration des droits de 1793 ("Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs").
Le peuple dont la représentation est si problématique (Didi-Huberman), le concept à géométrie variable de "classes populaires", de "peuple" ou de "travailleurs" (Bourdieu), la façon vicieuse d'amalgamer l'idée même de peuple démocratique à l'image de la foule dangereuse (Rancière), la façon dont les éléments réputés constitutifs du peuple ne font sens qu'au moment où se dessine un extérieur au peuple (Khiari) : tels sont quelques-uns des thèmes développés par les auteurs de ce livre, avec pour point commun de résister au découpage/démontage/destruction de la notion toujours subversive de peuple.
-
Peaux blanches, masques noirs ; performances du blackface, de Jim Crow au hip-hop
William T. Lhamon
- Zones Sensibles
- 19 March 2021
- 9782930601472
"Voici un livre qui donnera le vertige à ceux qui sont habitués aux standards de l'histoire culturelle", écrit Jacques Rancière dans la préface de "Peaux blanches, masques noirs". 1820, New York, marché Sainte-Catherine : près du port, des " nègres " dansent pour gagner quelques anguilles. A l'origine monnaie d'échange, ces danses deviennent une marque culturelle pour le lumpenprolétariat bigarré fasciné par le charisme et la gestuelle des Noirs.
Fin du XXe siècle, de part et d'autre de l'Atlantique et sur MTV : Michael Jackson et M. C. Hammer se déhanchent avec des pas de danse et des gestes identiques aux danseurs d'anguilles. Pourquoi ces gestes ont-ils perduré ? Quels processus d'identification ont-ils mis en uvre ? A qui appartiennent-ils ? Aux Noirs qui les ont créés, ou aux Blancs qui, une fois grimés en noir (le blackface), les ont copiés et assimilés ? Peaux blanches, masques noirs, à travers l'histoire des ménestrels du blackface et des lieux fondateurs de la culture américaine, explore cette longue mutation d'un lore limité aux frontières d'un marché multi-ethnique en une véritable culture populaire atlantique où l'échange et la reconnaissance de gestes signent une appartenance - le lore étant, au contraire du folklore, non pas la propriété d'un peuple, mais une matrice de savoir, de récits et de pratiques qui est tout entière affaire de circulation.
Esclaves ou nouveaux affranchis noirs, mariniers ou commerçants blancs, tous vivaient dans les mêmes conditions d'une classe ouvrière luttant pour que la culture dominante les laisse libres d'échanger les marques de reconnaissance culturelles qu'ils partageaient. Du sifflement de Bobolink Bob sur le marché Sainte-Catherine à celui d'Al Jolson dans Le Chanteur de jazz, du Benito Cereno de Melville au Minstrel Boy de Bob Dylan, des peaux d'anguilles portées en guise de serre-tête aux dreadlocks afros, William Lhamon offre ici une fascinante anthropologie de ces signes culturels qui, après avoir vaincu les forces d'oppression qui tentaient de les étouffer, font aujourd'hui partie de notre quotidien.
-
Le philosophe et ses pauvres
Jacques Rancière
- Flammarion
- Champs Essais
- 26 February 2010
- 9782081235373
La première question philosophique est une question politique : qui peut philosopher ? Pour Platon, les citoyens doivent accepter un «beau mensonge» : la divinité a donné aux uns l'âme d'or des philosophes, aux autres l'âme de fer des artisans. Si les cordonniers ne s'occupent que de leurs chaussures, la cité sera en ordre et la philosophie protégée de la curiosité des «bâtards». Au XIXesiècle, les cordonniers s'agitent et des philosophes viennent proclamer le grand changement : le producteur désormais sera roi et l'idéologue esclave. Pourtant, à suivre le parcours de Marx, la science du nouveau monde prend une allure déconcertante : le «vrai» prolétaire est toujours à venir, le Livre interminable, et le savant récuse tous ceux qui tentent d'appliquer sa science. Sartre affronte ce paradoxe : l'ouvrier devient le gardien absent du monde du philosophe, et ce dernier doit loger ses raisons dans les raisons du Parti. Chez Bourdieu, la critique supposée radicale des distinctions culturelles et des illusions philosophiques condamne les dominés à avoir les goûts et les pensées imposés par la domination. Le philosophe n'est plus roi. Mais le professionnel de la pensée s'assure à bon compte d'un regard «lucide» sur l'aveuglement de son voisin, pour la bonne cause d'un peuple toujours prié de rester à sa place.