Lors du décès d'une tante sans descendance, Annette Wieviorka réfléchit aux traces laissées par tous les êtres disparus qui constituent sa famille, une famille juive malmenée par l'Histoire. Il y a le côté Wieviorka et le côté Perelman. Wolf, l'intellectuel yiddish précaire, et Chaskiel, le tailleur taiseux. L'un écrit, l'autre coud. Ils sont arrivés à Paris au début des années 1920, en provenance de Pologne. Leurs femmes, Hawa et Guitele, assument la vie matérielle et celle de leurs enfants.
Dans un récit en forme de tombeaux de papier qui font oeuvre de sépultures, l'historienne adopte un ton personnel, voire intime, et plonge dans les archives, les généalogies, les souvenirs directs ou indirects. Par ces vies et ces destins recueillis, on traverse un siècle cabossé, puis tragique : d'abord la difficile installation de ces immigrés, la pauvreté, les années politiques, l'engagement communiste ou socialiste, le rapport complexe à la religion et à la judéité, puis la guerre, les rafles, la fuite ou la déportation - Paris, Nice, la Suisse, Auschwitz - et enfin, pour certains, le difficile retour à la vie marqué par un autre drame.
Tout l'art consiste ici à placer le lecteur à hauteur d'hommes et de femmes désireux de bonheur, de joie, de liberté, bientôt confrontés à l'impensable, à l'imprévisible, sans certitudes ni connaissances fiables au moment de faire des choix pourtant décisifs. C'est ainsi que des personnages très attachants et un monde disparu retrouvent vie, par la grâce d'une écriture sensible et précise.
Qui est Petit Piment ? Un marginal qui sombre dans la folie ? Ou un esprit blessé et lucide qui va reprendre son destin en main contre les fatalités de l'Histoire et l'arbitraire des décideurs ?
Le roman d'Alain Mabanckou se situe à Pointe-Noire et dans ses environs. Il nous raconte l'histoire d'un jeune orphelin, Petit Piment, qui effectue sa scolarité dans une institution d'accueil catholique placée sous l'autorité abusive et corrompue de Dieudonné Ngoulmoumako. Arrive bientôt la révolution socialiste, les cartes sont redistribuées, et Petit Piment en profite pour s'évader. L'adolescent s'adonne à toutes sortes de larcins, jusqu'à ce que le maire décide de nettoyer leur zone d'action. Petit Piment trouve refuge auprès de Maman Fiat 500 et de ses dix filles, et la vie semble enfin lui sourire dans la gaieté quotidienne de cette maison pas si close que ça, où il rend toutes sortes de services. Mais le maire de Pointe-Noire décide d'une nouvelle intervention énergique pour éradiquer la prostitution. C'en est trop. Petit Piment perd la tête. De bonnes âmes chercheront à le soigner (médecine, psychanalyse, magie ou sorcellerie), mais l'apparente maladie mentale ne lui fait pas tout à fait perdre le nord : il a une vengeance à prendre contre ceux qui ont brisé son destin.
L'époque voudrait nous convaincre que la modernité, c'est fini. Qu'il faut en revenir aux canons, et au bon vieux récit, celui qui plaît, celui qui enchante le public. Comme si rien ne s'était passé, précisément, avec ces avant-gardes dont on ne peut pourtant contester qu'elles ont animé le XXe siècle.
Revenant sur l'histoire de la modernité et sur les définitions qui en ont été données, Philippe Forest analyse la façon dont, ces trois dernières décennies, l'idée s'est imposée d'une littérature ayant à se réconcilier avec elle-même afin de se réconcilier avec le monde. Sous couvert d'un plaisir de lecture qui aurait été malmené par des expériences formalistes ou autres, on serait désormais invité à la répétition du même, puisque tout aurait été dit, et excellemment dit. Et si, au contraire, tout restait à dire, sans cesse ?
À contre-courant du bruit journalistique et de l'académisme ambiant, l'auteur nous invite à questionner les conditions de possibilité d'une parole littéraire qui ne renonce pas à l'exigence moderne. Ce questionnement concerne davantage que le strict champ de l'esthétique et emporte avec lui toutes sortes de conséquences - notamment une conception de la culture devenue une chose inessentielle et presque dérisoire.
De son vivant, Roland Barthes a peu publié sur Proust : cinq textes ou articles - bien que ce fût sans doute, de son propre aveu, l'auteur qu'il aura le plus lu, dès l'adolescence et avec une importance encore accrue les dernières années, dans le deuil de sa mère morte en 1977, qu'il n'a cessé de mettre en écho avec la mort de la mère de Proust, en 1905.
Car Proust est un puits sans fond, et une énigme qui garde tout son vertige. Il y a le passage de la mondanité à la retraite de l'écriture (le « ça prend »). Il y a la construction par blocs de la Recherche, son moteur narratif, sa géographie, sa profondeur historique, la mémoire involontaire, la préparation des personnages, les renversements d'optique, les distorsions des modèles, bref, toute une alchimie complexe, innovante, audacieuse, l'invention d'une forme.
Barthes ouvre des pistes, prend des raccourcis, adopte, écarte, il offre une vision parfaitement moderniste d'un auteur extraordinairement moderne.
On a regroupé ici les textes parus du vivant de Barthes, la transcription de trois émissions de France Culture, quelques inédits, quelques fragments d'un cours au Collège de France, et une importante sélection de fiches issues du « grand fichier ». Au fond, ce livre répare un manque. Le « Proust par Barthes » faisait défaut. Le voilà, scintillant, vibrionnant, séminal.
Hans Ulrich Obrist a enregistré des milliers d'entretiens avec les meilleurs créateurs, artistes, musiciens, écrivains, penseurs, philosophes. Il est un des curateurs d'exposition les plus réputés à l'échelle internationale. Dès son adolescence, il s'est mis à écumer l'Europe, en trains de nuit, pour visiter des ateliers - là où s'approche l'essentiel de l'art et de ses mystères. « J'ai toujours été inspiré par l'idée d'être au milieu des choses mais au centre de rien. » Pourtant, qui connaît Hans Ulrich Obrist ? Curieux et enthousiaste de tout, il est resté très discret sur lui-même. Dans ce livre événement, il accepte enfin de s'exposer.
Tout part de l'enfance, en Suisse, à deux pas des frontières allemande et autrichienne, à même d'inspirer une conception fluide de la notion d'identité. Et puis, vers l'âge de six ans, c'est un très grave accident : renversé par une voiture, il passe plusieurs semaines entre la vie et la mort. Il en tire le sentiment persistant que chaque jour pourrait être le dernier.
Sa frénésie de découvertes, de rencontres, de lectures, en fait un infatigable bourlingueur. Mais, tout à coup, c'est la pandémie, le confinement. Un arrêt brutal. Et l'occasion de prendre le temps d'un retour sur soi. Entre rituels, croyances, convictions, fulgurances, on comprend la cohérence des choix, et la volonté de toujours se renouveler.
Au milieu des années 1970, Chantal Thomas, qui vient juste de soutenir sa thèse, décide de partir. Loin. À New York, alors cité de tous les dangers. Elle s'installe chez une amie d'amie. Le désir circule, les fêtes s'enchaînent. Un puissant souffle d'aventure anime la ville.
Aujourd'hui, amenée à séjourner dans l'East Village pour un été, elle retrouve un quartier totalement changé. Seules quelques traces demeurent de la marginalité d'autrefois, des graffitis sur les rares immeubles non encore « réhabilités » et dont Allen S. Weiss, partenaire de ce livre, va extraire des images photographiques qui rappellent un temps révolu.
Car l'East Village était un lieu d'immigration et de bohème pauvre, inventive, où tout le monde se rêvait poète, où se rencontraient Allen Ginsberg, William Burroughs, Herbert Huncke, et les fantômes bien vivants d'Andy Warhol, de Lou Reed et du Velvet Underground.
Au fil des pages, sur un mode à la fois précis et romanesque, Chantal Thomas évoque St. Mark's Church, le Chelsea Hotel, les bars, les rues, les peurs, les amours, dans un flottement des genres qu'elle restitue à plaisir, comme portée par la grâce d'une mémoire à même de revivre et faire revivre l'intensité d'une époque ouverte à tout. Par les temps qui courent, ce livre est une merveilleuse évasion, et le rappel d'une chose : la liberté est possible, elle est même un excellent principe de vie...
I remember you well in the Chelsea Hotel / You were talking so brave and so free...
Leonard Cohen.
Avec des photos d'Allen S. Weiss.
- Un jour qu'il se trouve à New-York, l'auteur voit au cinéma La règle du jeu de Jean Renoir. Surgit alors la question qui est au centre de ce livre, organisée comme une subtile enquête : " qu'est-ce qui, de la France, résonne en moi ? Qu'est-ce qui fait que, à ce pays, je me sens appartenir ?".Porteur de cette interrogation délicate et profonde qu'une récente actualité politique a malheureusement enlaidie, l'auteur a entrepris toutes sortes de petits voyages en France, dans des endroits où il sentait devoir aller, parfois historiques (Bibracte, Varenne, Verdun...), parfois poétiques (un fleuve, une rivière, la ferme où habita Rimbaud...), tantôt dans des villes (Nîmes, Arles, Beaugency, Lorient...), ou encore le long d'un parcours en train, ou d'une frontière. Ce peut être aussi une activité industrielle, un lieu utopique, un jardin, la source de la Loue... Ce que Bailly cherche à dire, c'est une forme de bonheur dans une France qui ne s'enracine pas, qui ne se replie pas, mais qui produit les signes parfois anciens de sa mémoire collective et des plis ou replis de son territoire.C'est un livre de traces, de souvenirs personnels ou empruntés ; c'est un pays avec ses façons de faire, de dire, ses pénétrations étrangères qui participent elles aussi à une culture. C'est un vivre ensemble qui parfois accueille, intègre, mais qui peut aussi rejeter ou se perdre. Non pas une nostalgie, mais un recueil de temps, de lieux, de parcours, de vies.
Le temps, nous ne le voyons de face qu'au moment de mourir mais la photographie nous a donné le pouvoir étrange de le saisir par des coupes qui l'interrompent et le suspendent. Chacune de ces coupes agit comme une césure et comme une éclosion : par le choix de l'instant et du cadre, une éruption de sens est délivrée chaque fois. Ce pouvoir, que l'exubérante quantité d'images disponibles dissimule, Une éclosion continue cherche à le comprendre, et de deux manières : tout d'abord par des réflexions de portée générique qui recoupent des problématiques liées à l'histoire de la photographie, puis en faisant la part belle à l'expérience vécue par des photographes d'aujourd'hui.
En brefs chapitres qui fourmillent d'anecdotes, de faits historiques et de rencontres ou de coïncidences, Patrick Deville peint la fresque de l'extraordinaire bouillonnement révolutionnaire dont le Mexique et quelques-unes de ses villes (la capitale, mais aussi Tampico ou Cuernavaca) seront le chaudron dans les années 1930.
Les deux figures majeures du roman sont Trotsky, qui poursuit là-bas sa longue fuite et y organise la riposte aux procès de Moscou tout en fondant la IVe Internationale, et Malcolm Lowry, qui ébranle l'univers littéraire avec son vertigineux Au-dessous du volcan. Le second admire le premier : une révolution politique et mondiale, ça impressionne. Mais Trotsky est lui aussi un grand écrivain, qui aurait pu transformer le monde des lettres si une mission plus vaste ne l'avait pas requis.
On croise Frida Kahlo, Diego Rivera, Tina Modotti, l'énigmatique B. Traven aux innombrables identités, ou encore André Breton et Antonin Artaud en quête des Tarahumaras. Une sorte de formidable danse macabre où le génie conduit chacun à son tombeau. C'est tellement mieux que de renoncer à ses rêves.
Voici un livre de grâce, porté par la grâce.
Comme un funambule qui avance, yeux grands ouverts, sur une corde au-dessus du vide, Bulle Ogier parcourt les étapes de sa vie d'enfant, de femme, d'actrice, de mère. Une vie jamais banale, pour le meilleur (l'art, la création, la fréquentation de grandes figures comme Duras, Rivette ou Chéreau), ou pour le pire (la mort de sa fille Pascale, évoquée avec délicatesse et intensité).
On pourrait énumérer les péripéties, les événements, établir des listes, mais un seul mot dit à quelle expérience le lecteur est convié : enchantement. Sur un ton qui n'appartient qu'à elle, l'actrice de tant de films, de tant de mises en scène théâtrales, la protagoniste de tant d'aventures, exerce une sorte de magie, on est avec elle, on est parfois effaré, et toujours touché, ému, bouleversé. On rit aussi, ou on sourit. Bref, les mystères parfois contradictoires de la vie, mis en langue : ce qu'on appelle, simplement, la littérature.
Disjoindre le sexe et le genre est un geste éminemment moderne, théoriser cette dissociation l'est plus encore.
Ce livre est d'une certaine manière l'histoire de ce geste. Il nous mène des grandes entreprises déconstructrices de la Modernité des années 1960-1980 jusqu'au triomphe contemporain de la théorie du genre : de Sartre, Lacan, Deleuze, Barthes, Derrida ou Foucault jusqu'à Judith Butler.
Pourtant, parce qu'il s'agit d'un objet aussi fuyant que précieux, le sexe des Modernes est aussi un révélateur. Loin d'être tout à fait commun aux deux espaces intellectuels que sont l'Europe et les États-Unis, il est peut-être témoin de leurs divisions : disputes, équivoques, héritages détournés, et guerres silencieuses ou avouées...
Il s'agit ici non seulement d'éclairer des doctrines récentes que la confusion des temps travaille à obscurcir, mais d'explorer ce qui s'est déplacé au tournant des XXe et XXIe siècles entre le continent européen et le continent américain. Transmission ou au contraire fracture ?
Car le moment est venu d'interroger le partage du sexe et du genre sous l'angle de son histoire puisque cette histoire est la nôtre, et sans doute plus que jamais.
E.M.
De Cy Twombly, Roland Barthes capte la modernité telle qu'elle revisite toute une culture classique, grecque et latine, à travers des noms et des mots écrits sur la toile, ou des thèmes évoqués avec leur part d'énigme. Dans une analyse inventive et empathique, Barthes explore l'univers de Twombly, il déploie sa propre culture pour faire résonner celle du peintre américain installé en Italie, dans un art du fragment pratiqué par l'un et l'autre. Ces deux textes n'ont pas pris une ride et continuent d'éclairer l'oeuvre de Twombly.
Rien n'est plus grave que l'acte photographique. Pour un écrivain, s'y livrer c'est signer chaque fois un « départ d'orgueil ». C'est aussi abandonner à tout bout de champ les simulacres et les stratégies, échapper à la contrainte des persuasions, à la subtilité obligatoire des enchaînements. J'ajouterais même : au savoir-faire, si je n'étais sûr du contraire, sûr qu'il s'agit là d'un leurre qu'on rajoute tous les jours au débat sous une forme différente. Tout gain de liberté (et chaque instantané photographique en gagne) va de pair avec une augmentation de savoir-faire. C'est ça qui fait le style. Et c'est le vertige éprouvé à leur course commune, au sursaut qu'ils font sur l'abîme, qui définit bien sûr cet art.
D'où l'importance accordée tout au long de ce livre ? par le biais d'approches voulues aussi diversifiées que le sont l'essai, l'interview, la fiction, le journal intime, ou encore une série de photos commentées comme autant de schémas pensifs ? à la prise photographique elle-même, moment de sensation éperdue qui dit textuellement ceci : toute photo est une intelligence qu'épuise une lumière.
Les lucioles disparaissent peu à peu, cantonnées dans quelques réduits occasionnels de la nature. Mais tandis que ces charmants animaux à la lumière se font rares, nous autres photophores prenons le relais. La fabrication des photos ne laisse rien dans l'ombre, et surtout pas l'instant de folie pure qu'abrite le déclenchement de la photo.
Devant la gravité de telles certitudes, l'écrivain que je suis est renvoyé à la solitude, à l'angoisse, à la pénombre de sa durée. Mais à la beauté aussi, circulant entres elles et lui, qui valait bien le voyage.
Chaque photo répète la phrase de Proust : « Nous disions : après, la mort, après, la maladie, après, la laideur, après, l'avanie ».
On verra bien.
Denis Roche.
Devenir lecteur est l'oeuvre d'une vie, pas seulement lire des livres mais lire la bibliothèque et découvrir les liens, les échos, les passages secrets entre les rayonnages, compulser et annoter les livres écrits sur d'autres livres : la lecture, la relecture surtout suscitent la connivence des lecteurs et enrichissent l'amitié, embellissent les histoires d'amour, offrent le calme et le retrait nécessaires à la pensée, à l'imagination, à la rêverie.
La première véritable biographie de Roland Barthes, par une chercheuse réputée, qui a eu accès à toutes les archives, y compris les agendas, pour écrire le livre de référence à l'occasion du centenaire. Le parcours d'une vie qui croise les grands enjeux théoriques, idéologiques, politiques et littéraires des époques successives, des années 1920 et 1930 à l'assomption du « je » dans les années 1970, en passant par la période de guerre, l'expérience du sanatorium, la Libération, quelques séjours à l'étranger (Roumanie, Maroc, Japon, Tunisie), l'accompagnement du Nouveau Roman puis de Tel Quel, l'incroyable polémique autour de Racine, l'épopée structuraliste, l'exploration des mécanismes intimes de la lecture et, bientôt, les Fragments d'un discours amoureux et, enfin, le deuil de la mère qui débouche sur La Chambre claire.
Alors que la traduction assistée par ordinateur est sur le point de provoquer une mutation majeure dans nos façons de communiquer et dans notre relation aux langues, cet essai veut renouveler la pensée de la traduction. La sortir de l'éloge ou du consensus implique de ne plus voir en elle le seul espace de la rencontre heureuse entre les cultures mais de la comprendre comme une opération ambiguë, complexe, parfois négative.
Tiphaine Samoyault étudie les histoires de violence dans lesquelles la traduction a pu jouer un rôle (la domination coloniale, les camps d'extermination, les sociétés d'apartheid, les régimes totalitaires), ainsi que des cas littéraires qui illustrent les violences propres à l'espace du traduire. Mais parce que la traduction a aussi à voir avec la justice et la justesse, avec l'imprévisibilité de la rencontre et les transformations dans l'espace et le temps, la séparation qu'elle entraîne peut s'inverser en réparation de la violence commise.
Au-delà de la question de la traduction, ce livre s'adresse à toutes celles et à tous ceux qu'intéressent les dialogues entre les cultures, les littératures et les langues, et la possibilité politique de faire des mondes communs.
Caractériser la force avec laquelle une image, devant nous, se souvient et celle avec laquelle elle nous demande d'identifier ce dont elle est le souvenir : tel est le propos de ce livre - ce qui veut dire qu'il considère l'image, toute image, comme une énigme et comme l'espace incarné d'une expérience qu'il appartient à ceux qui la voient (regardeurs de Duchamp, regardants de Poussin !) de refaire. L'imagement nomme aussi bien les processus qui conduisent aux images que les chemins qu'elles suivent pour instiller dans la pensée la puissance de leur silence. « Toute image est une maison hantée, toute maison est hantée par les images ».
Étoilée en treize chapitres, l'enquête traverse toutes les époques de l'art et parcourt les modes les plus variés de constitution de l'image.
« Mai 68 fut une convergence, c'est comme si des milliers de petites rigoles avaient abouti au même point, formant un lac d'impatience qui ne pouvait que déborder ».
En 2004, à la suite de la publication de Tuiles détachées qui était un récit autobiographique, Jean-Christophe Bailly avait commencé la rédaction d'un texte personnel sur les événements de mai 68 qu'il n'avait pas achevé alors. Il le reprend aujourd'hui, en ajoutant des notes, des précisions et une postface.
On ne trouvera pas dans ce texte les réunions syndicales étudiantes, ni les AG dans les amphithéâtres, ni les bagarres, ni les distributions de tracts devant les usines, ni le calendrier précis des événements. Jean-Christophe Bailly nous propose plutôt un récit personnel presque à demi-rêvé, des images resurgies de sa mémoire, cinquante ans après : le regard d'un jeune étudiant de Nanterre sur ces événements qui ont marqué la France.
L'album Roland Barthes offre une sélection de correspondances, quelques inédits, la retranscription de notes de séminaires consacrés à Bouvard et Pécuchet de Flaubert ou à « Paul Valéry et la rhétorique », ainsi que quelques dédicaces. Une plongée dans un Barthes plus intime, mais aussi le déploiement d'un tissu de solidarités et d'amitiés épistolaires (Philippe Rebeyrol, Georges Canetti, Raymond Queneau, Jean Cayrol, Maurice Blanchot, Michel Leiris, Michel Vinaver, Michel Foucault, Claude Lévi-Strauss, Michel Butor, Julia Kristeva, Jean Starobinski, Marthe Robert) qui éclaire un demi-siècle d'histoire intellectuelle.
Un certain nombre de documents et de lettres ou cartes postales sont reproduits en fac-similés. Le tout est classé d'abord par ordre chronologique, puis par rattachement à la publication des livres de Roland Barthes.
Eric Marty est né en 1955 à Paris. Professeur à l'Université Paris VII, il a publié aux Éditions du Seuil plusieurs essais, dont Roland Barthes, le métier d'écrire (2006) et Roland Barthes, la littérature et le droit à la mort (2010). Il est par ailleurs responsable de l'édition des ouvres complètes de Roland Barthes en 5 volumes, ainsi que des cours et séminaires.
Nous sommes au milieu du XVIIIème siècle, sous le règne de Louis XV.Deux soeurs, Apolline et Ursule, sont les héroïnes de ce livre. Elles sont nées à Bordeaux, dans un milieu très religieux. Le père, adepte de la Providence, s'adonne avec délice au bonheur de ne rien faire. La mère est en prières. La famille s'enfonce dans la misère. Ce dont Apolline, en disciple de son père, s'aperçoit à peine, tandis que l'aînée, Ursule, ambitieuse et libre, n'a qu'une envie : s'enfuir. Bientôt, les deux jeunes filles se perdent de vue. Apolline est mise dans un couvent, puis devient préceptrice. Elle en sort quelques années plus tard pour retrouver sa soeur mourante, et découvrir dans un manuscrit le récit de ses aventures.Ursule, rebaptisée Olympe, a réussi à se faire emmener à Paris par le duc de Richelieu. Elle rêve de faire carrière au théâtre, mais son protecteur a d'autres plans. Fournisseur royal attitré en matière de plaisir, il offre Olympe à Louis XV. Olympe, aimée par Louis XV, est rongée par le désir de s'imposer face à Mme de Pompadour. Devenue mère, elle croit triompher. Mais, avec la soudaineté des alternances de faveur et défaveur, elle perd tout. On l'exile et la marie de force en province et lorsqu'elle revient à Paris pour dénoncer la violence de son sort, elle est arrêtée et envoyée à l'Hôpital.Ce portrait de deux soeurs qui font des choix opposés - s'en remettre à la Providence, ou miser sur l'intrigue - est l'occasion de raconter un monde dominé par l'étrange duo que forment le duc de Richelieu, le plus célèbre libertin de son siècle, et le roi Louis XV, habité par le goût de la mort, le désir des femmes, et le sens du péché. Les jeux du pouvoir sont imprévisibles, et il est bien hasardeux de vouloir défier son destin.
Écrits entre 1978 et 2011 et repris ici tels quels, les carnets que réunit ce livre donnent consistance à l'expérience que fut la découverte des États-Unis, et de New York en premier lieu, pour un auteur que l'on n'attendait pas forcément sur ce terrain, loin des « anciens parapets » de la vieille Europe. C'est donc la notation qui en est le principe actif - le pari étant que, par son côté brusque et spontané comme par son rapport distant à la volonté d'oeuvre, elle ait un pouvoir de résonance spécifique.
Mais l'Amérique évoquée au long de ce film discontinu, qui fonctionne comme une sorte de planche-contact verbale, existe-t-elle encore ? Peut-être ou peut-être plus ; du moins est-elle ici au rendez-vous, vivante.
Christian Boltanski est un des artistes les plus cotés sur la scène contemporaine mondiale. Il nous livre ici un formidable cadeau : à la fois sa vie telle qu'il se la raconte ou telle qu'il la reconstruit, et son regard d'artiste porté sur le monde, un regard toujours singulier, souvent drôle, et parfois émouvant. Né en 1944, d'un père médecin (qui, juif, a dû passer une partie de l'Occupation dans une trappe aménagée dans le plancher) et d'une mère catholique et écrivaine, il traverse l'enfance et l'adolescence dans des conditions si étranges qu'il est un jeune homme asocial et inadapté au monde environnant lorsque la création artistique s'offre à lui comme seule bouée de sauvetage. Jamais provocateur, toujours inattendu, il s'invente un univers qui doit beaucoup à l'enfance, à ses fantasmagories, à ses peurs aussi. D'oeuvre en oeuvre, d'installation en installation, il impose une vision à la fois légère et grave, ludique et profonde, de l'Histoire, de l'identité, de la mémoire individuelle ou collective. Christian Boltanski se livre sans réserve à Catherine Grenier, dans une suite d'entretiens qui constituent un document exceptionnel. On pénètre comme jamais auparavant dans la sphère la plus intime de la création, et dans l'élaboration parfois intuitive sinon hasardeuse d'une carrière. La première exposition de Christian Boltanski, en mai 1968, s'appelait "La vie impossible de Christian Boltanski". Le titre du livre est bien sûr un clin d'oeil à cet évènement fondateur, mais il laisse aussi entendre l'éventuelle part romanesque et inventée de cette confession. - Christian Boltanski est un des artistes français les plus connus sur la scène internationale : plusieurs rétrospectives ont été consacrées à son oeuvre ; il connaît un succès phénoménal au Japon et aux Etats-Unis. Catherine Grenier est historienne d'art et conservatrice générale au Centre Pompidou.
À la fin des années 1970, Denis Roche commence à s'intéresser à la forme brève et fragmentaire de l'écriture à travers une pratique quotidienne. Tout en se questionnant sur la valeur littéraire d'un tel projet, il entreprend d'écrire ce qu'il nomme des « essais de littérature arrêtée » : une douzaine d'ensembles textuels écrits sous forme de journal. Rédigés à la première personne, en une prose dénudée et épurée et en entrées datées, les « essais de littérature arrêtée » relatent souvent les détails de l'existence privée et intime de l'auteur tout en interrogeant le processus de création littéraire en lui-même. Cette expérience littéraire se construit en parallèle de sa pratique de la photographie : « la photographie est-elle un journal intime ? ».
C'est au retour d'un voyage au mois de juillet 1984, avec son épouse Françoise Peyrot, au Sacro Monte de Varèse (classé au patrimoine mondial de L'UNESCO), aussi appelé « Fabrique du Rosaire », que naît le projet À Varèse. L'alternance de textes et de photos se fait par les ellipses qui permettent la création de cette succession discontinue de l'écriture.
Ainsi Denis Roche nous présente un texte avec une grande cohérence interne malgré son apparente construction fragmentaire.
Quatre pistes distinctes, ayant toutes à voir avec le Pays de Galles, forment la matière de ce livre. Chacune d'entre elles est ici dénommée aventure. La première reconstitue l'incroyable histoire de Thomas Jones, ce peintre qui en 1782, à Naples, inventa l'art moderne avant de se retirer incompris dans sa ferme du Radnorshire. La deuxième tente d'identifier le geste poétique que formèrent l'oeuvre et la vie de Dylan Thomas, le génial enfant de Swansea, le « Rimbaud de Cwmdonkin Drive ». La troisième suit les pas de W.G. Sebald, dont le livre Austerlitz comprend un pan gallois sur lequel se projettent, au sein même de l'exil qu'il raconte, les images d'un séjour transfiguré. La quatrième et dernière se déroule dans les vallées du sud, parmi les vestiges d'un monde qui fut celui des mineurs de charbon et que de parfaites images (dues à Robert Frank ou Eugene W. Smith) fixèrent en son temps.
Ainsi peinture, poésie, récit et photographie, réunis par une identique volonté de saisie et de vérité, permettent-ils d'aborder de l'intérieur cet ouest absolu qu'est le Pays de Galles. Chemin faisant, le livre est aussi une réflexion sur le rapport entre réalité et fiction, sur la nature des souvenirs et des traces, et sur ce que peut être l'identité d'une contrée.