«Toutes les mythologies parlent, soit d'un centre original du monde, soit d'un arbre sorti de terre et qui gagne le ciel, soit d'un mont sacré, en tout cas d'une possibilité de communication avec l'au-delà. Or, il faut que cette possibilité existe, que l'arbre ou la montagne soit là pour de vrai, au même titre que l'Éverest ou le mont Blanc. C'est ce que pense l'auteur du récit et il réunit une expédition pour découvrir le mont Analogue. La description des membres de l'expédition permet à René Daumal d'exprimer sa fantaisie. La base du mont est finalement découverte : c'est la courbure de l'espace qui empêchait de la voir. Le récit est inachevé, mais il est assuré que l'expédition, qui a disparu à nos regards de lecteurs, poursuit son ascension. Naturellement, les personnages et les circonstances du Mont Analogue sont symboliques : telle est la littérature quand elle se veut utile à l'homme. Dans la circonstance, elle éveille doublement, car toutes les phrases portent. Cela tient à l'intelligence très personnelle de René Daumal et à ce qu'on pourrait appeler son lyrisme de l'ironie.» Roger Nimier.
Une descente dans les abîmes. René Daumal explore ceux du monde matérialiste, et aussi ceux que chacun de nous recèle en lui. Au cours d'une beuverie, l'auteur visite la Jérusalem contre-céleste, où séjournent les Évadés. Artistes, scientistes, faux sages s'y enivrent de paradis artificiels. Puis vient le réveil. L'auteur va apprendre à mieux se connaître, à approfondir la voie introspective. «Alors que la philosophie enseigne comment l'homme prétend penser, la beuverie montre comment il pense.»
«Je veux vivre toujours d'une vie plus réelle, en rejetant dans le monde tout ce qui me limite, et dont je fais aussitôt une Existence, une Matière, un Objet de connaissance. Comme cette négation s'opère dans la durée irréversible, ce que je rejette hors de moi, je le rejette aussi dans le passé. Ainsi, je ne suis véritablement que dans l'acte de négation et dans l'instant. Ma conscience se cherche éternelle dans chaque instant de la durée, en tuant ses enveloppes successives, qui deviennent matière. Je vais vers un avenir qui n'existe pas, laissant derrière moi à chaque instant un nouveau cadavre.» «La négation pure, loin d'être une simple opération de la logique discursive est, pour Daumal, un ACTE positif qui lui permet à chaque instant de faire le point du chemin parcouru et d'apprécier combien il s'est dégagé, chaque fois par un acte voulu et vécu, de tout ce qui le lie à une réalité épaisse - dépourvue de lumière. Pourtant cette lumière existe et procède d'un Point unique que le poète peut entrevoir et indiquer aux autres comme graine d'un Contre-Monde.» Claudio Rugafiori.
"Toutes les mythologies parlent, soit d'un centre original du monde, soit d'un arbre sorti de terre et qui gagne le ciel, soit d'un mont sacré, en tout cas d'une possibilité de communication avec l'au-delà. Or, il faut que cette possibilité existe, que l'arbre ou la montagne soit là pour de vrai, au même titre que l'Everest ou le mont Blanc. C'est ce que pense l'auteur du récit et il réunit une expédition pour découvrir le mont Analogue.
La description des membres de l'expédition permet à René Daumal d'exprimer sa fantaisie. La base du mont est finalement découverte : c'est la courbure de l'espace qui empêchait de la voir. Le récit est inachevé, mais il est assuré que l'expédition, qui a disparu à nos regards de lecteurs, poursuit son ascension. Naturellement, les personnages et les circonstances du Mont Analogue sont symboliques : telle est la littérature quand elle se veut utile à l'homme.
Dans la circonstance, elle éveille doublement, car toutes les phrases portent. Cela tient à l'intelligence très personnelle de René Daumal et à ce qu'on pourrait appeler son lyrisme de l'ironie".
Roger Nimier
Ces trois textes inédits de René Daumal ont paru respectivement dans les troisième, quatrième, puis huitième (et ultime) livraisons d'un éphémère mensuel de 8 pages nommé La Bête noire (1935-1936), imaginé par Marcel Moré, Roger Vitrac, Michel Leiris, Raymond Queneau et Jacques Baron, et qui a compté Antonin Artaud ou encore Le Corbusier parmi ses contributeurs. La revue, à peine née, est l'objet de vives tensions entre plusieurs grandes figures du milieu littéraire, et cristallise les divisions de l'avant-garde, notamment entre les surréalistes et leurs dissidents. Georges Bataille refuse avec véhémence d'y participer, sans parler de l'ombre menaçante d'un André Breton soucieux de préserver son territoire. Dès le deuxième numéro, Leiris et Queneau eux-mêmes souhaitent la disparition de La Bête Noire qu'ils ont conçue comme une forme d'union sacrée ! Daumal rentre pour sa part d'un séjour aux États-Unis, Le Grand Jeu est derrière lui, il retrouve brièvement Paris et ses amis avec ennui, voire une forme de dégoût. Il s'installe à Genève et ces querelles de chapelles sont loin de ses préoccupations. Mais il ressent la décrépitude du milieu poétique et il se fait l'écho rageur, désenchanté de cette fin de cycle à laquelle il semble adresser un « au-revoir ! » cinglant dans ces textes corrosifs et lucides, qui évoquent une société triste, vide, qui a sombré dans le bavardage et qu'il serait urgent de désinfecter. L'esprit moderne, déchu, consume en 1935 ses restes de truquages et de combines, les déceptions vis-à-vis des promesses qu'il n'a pas su tenir finissent de l'anéantir, et l'époque, de passion et d'action, politiquement tendue vers le pire - dans laquelle les intellectuels se démènent, « contre-attaquent » ou pataugent - accélère cette faillite, la leur.
Quelle est la vocation réelle de la pensée philosophique ? Son étymologie, « l'amour de la sagesse », nous rappelle qu'elle n'a pas sa fin en elle-même. Comment a-t-elle pu s'égarer au point de devenir pour la modernité un discours séparé de la vie ? A travers l'étude des premiers textes indo-européens, sanskrits et grecs, René Daumal cherche à retrouver l'usage et le sens d'une pensée qui accompagne et nourrisse véritablement l'existence humaine : « c'est d'ici que part notre pensée, c'est ici qu'elle doit revenir , mais après quels détours ! » Le sens des textes n'est pas à chercher en eux-mêmes mais dans le quotidien et le concret qu'il éclaire pour les rejoindre et s'y résoudre.
Éditeur et écrivain, Léon Pierre-Quint est une figure majeure dans l'histoire littéraire de la première moitié du XXe siècle, sa rencontre avec René Daumal nait sous le signe du Grand Jeu, le groupe et la revue d'avant-garde (en conflit ouvert avec les surréalistes) dont René Daumal et Roger Gilbert-Lecomte furent les fondateurs. Complètement inédite, sa Correspondance avec ce dernier (publiée chez Ypsilon en 2011) a permis la révélation d'un document considérable (560 pages) et marquant. Complémentaire, la publication de cette Correspondance, également inédite, avec René Daumal (grand épistolier comme les trois tomes de sa Correspondance publiés chez Gallimard le prouvent) est aussi un document exceptionnel sur la relation des deux hommes et surtout sur la vie intellectuelle dans les années de l'entre-deux-guerres.
Ici, c'est souvent l'éditeur qui donne des conseils et des travaux tandis que l'auteur confie réflexions et recherches en éclairant une démarche unique, à la fois athée et mystique, qui reste l'une des plus originales de son temps. Le Daumal présent au fil de ces pages est davantage celui qui n'a « pas d'autre gagne-pain qu'écrire, réviser, traduire, corriger des épreuves, rédiger des «prières d'insérer», des textes de publicité etc., en tirant fréquemment la langue », pour qui « le difficile, c'est toujours de mener de front plusieurs vies - ou plutôt, de voir à chaque instant toutes les vies partielles à la lumière centrale de la seule et unique », c'est-à-dire le Daumal du « quotidien », plutôt que celui de la légende : « l'ange », « l'archange », le « sage » etc.
Comme pour l'édition de la Correspondance Roger Gilbert-Lecomte / Léon Pierre-Quint, la transcription fidèle de l'intégralité des lettres de René Daumal et Léon Pierre-Quint sera ponctuée par la reproduction de quelques lettres en fac-similé et accompagnée de notes ainsi que d'une importante préface éclairant le texte et le contexte de cet échange épistolaire. Un index des noms et des oeuvres cités rend compte des nombreux sujets évoqués.