"Les librairies sont les points ardents d'une géographie intime ; elles sont aussi des marques et des victimes du temps. De toutes les librairies auxquelles je repense en parcourant les livres de ma bibliothèque, beaucoup, la moitié peut-être, peut-être plus encore, ne sont plus, mais elles vivent encore dans nos lectures, nos souvenirs, nos promenades. D'autres résistent, d'autres se transforment, d'autres naissent. Je veux dire ici comment, d'époque en époque, de ville en ville, elles prennent place dans l'itinéraire et la formation d'un lecteur et d'un écrivain." (Maël Renouard)
Ce qui attend, chez Julien Gracq, est toujours un regard et l'esprit de veille ne s'accorde qu'à des yeux bien ouverts.
La trame de ce monde est l'attente; elle oriente l'écriture du visible. Le mouvement, la durée même ne sauraient ici exister sans elle. Avec l'attente les livres finissent et les vieux pays s'écroulent : Rivage des Syrtes, Balcon en forêt. Et le regard qui attendait s'achève en vision. Mais tandis que l'attente persiste, des perspectives magnétiques rivent les yeux à leur fonction insomniaque. Observatoires et nids d'aigle, bords de falaises et tours de guet, beaux points de vue, hauts points de vue, une force du monde, un génie du lieu nous y retiennent investis d'une veille fascinée.
De là-haut le visible désigne le temps, l'avenir est visible dans les contrées envahies d'indices. Les grands événements s'annoncent quand l'horizon chancèle dans la blancheur. Mais les souvenirs aussi reparaissent au bout d'un regard; des échappées de vue les ravivent sur les chemins repris (Les eaux étroites, La forme d'une ville). Territoires visibles, chargés de pressentiments et de réminiscences; ce livre y suit, oeil par mil, jusqu'au cillement du monde, la trace de regards en attente de vision.