À l'encontre de ceux qui voient la modernité du roman dans une subjectivisation extrême, Broch (de même que l'autre grand Viennois Musil) conçoit le roman comme la forme suprême de la connaissance du monde et le charge d'ambitions intellectuelles comme aucun romancier n'a osé le faire avant lui.Broch est un des plus grands démystificateurs des illusions lyriques qui ont obsédé notre siècle. Dans Les somnambules, son oeuvre la plus importante, l'Histoire des Temps Modernes lui apparaît comme un processus de dégradation des valeurs. Les trois volumes de la trilogie représentent trois degrés de l'escalier du déclin : le premier, le romantisme ; le deuxième, l'anarchie ; le troisième, le réalisme (die Sachlichkeit).Broch a révélé ce grand paradoxe : plus le monde moderne se targue de la Raison, plus il est manipulé par l'Irrationnel. Le théâtre macabre qui se joue de nos jours sur notre planète, il l'a préfiguré dans ses personnages. À travers leurs aventures (l'action se déroule entre 1888 et 1918), il a réussi à dévoiler les «coulisses de l'irrationnel» à partir desquelles sont régies les guerres, les révolutions, les apocalypses.Milan Kundera.
Sur le Kitsch est le texte d'une conférence que Broch prononça aux États-Unis en 1950.
Insidieusement, ce bref essai met en jeu de profondes questions. C'est que le kitsch, esthétique qui touche aussi bien la littérature ou la musique que l'architecture et privilégie l'effet «tape-à-l'oeil», est essentiellement lié à des bouleversements sociaux. Son triomphe correspond à l'apparition d'un nouveau spectateur des oeuvres d'art. Avec malice, finesse et une immense érudition, Broch va débusquer le kitsch là où on ne s'attendrait pas à le trouver et, a contrario, donne cette définition de l'oeuvre d'art authentique : «Elle éblouit l'homme jusqu'à le rendre aveugle et elle lui donne la vue.»
« L'imaginaire », aujourd'hui dirigée par Yvon Girard, est une collection de réimpressions de documents et de textes littéraires, tantôt oeuvres oubliées, marginales ou expérimentales d'auteurs reconnus, tantôt oeuvres estimées par le passé mais que le goût du jour a quelque peu éclipsées.
" chacun sait quelle folie s'est aujourd'hui emparée du monde, chacun sait qu'il participe lui-même à cette folie, comme victime active ou passive, chacun sait donc à quel formidable danger il se trouve exposé, mais personne n'est capable de localiser la menace, personne ne sait d'oú elle s'apprête à fondre sur lui, personne n'est capable de la regarder vraiment en face, ni de s'en préserver efficacement.
" ainsi s'ouvre la théorie de la folie des masses de hermann broch. mais nul ne sait oú elle commence, ni oú elle finit, tant son élaboration fut problématique, au point qu'on peut se demander si le sujet n'a pas eu raison de l'oeuvre, et si celle-ci ne se devait pas d'être retravaillée sans cesse, comme n'a de cesse cette folie des masses contre laquelle la raison vient buter sans parvenir à l'infléchir.
Commencée vraisemblablement à la fin des années 1930, la théorie de la folie des masses accompagne hermann broch jusqu'à sa disparition en 1951 sans qu'il parvienne à lui donner une forme définitive. c'est donc un véritable laboratoire d'idées qui est donné à lire - laboratoire d'une vie tout entière consacrée à la pensée, qu'elle prit la forme des célèbres romans tels que la mort de virgile ou le tentateur, ou d'essais sur la logique d'un monde en ruine, parus il y a quelques années dans cette même collection.