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Yellow Now
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La figure du ventriloque accompagné de sa marionnette sur les genoux est contemporaine de l'invention du cinéma. Simple coïncidence ? Son art, remarquons-le, s'inscrit dans l'histoire des médias techniques qui ont dissocié le corps de la voix, qu'il s'agisse du phonographe ou du téléphone, actualisant les puissances de la voix acousmatique. Curieusement le ventriloque apparaît à l'écran dès l'âge du muet en jouant sur le registre de l'étonnement et de l'inquiétude par des effets de dissociation et de dédoublement. Nombreux sont les films qui explorent sa personnalité insolite, ambivalente, en proie au larcin, à la simulation, au désordre psychique.
Au-delà de la présence littérale du ventriloque, on peut observer un usage plus métaphorique de la ventriloquie dans les effets fantastiques de la voix dissociée, le rôle du bonimenteur ou du traducteur, le contrepoint du visuel et du sonore. Autant de stratégies qui permettent, en dénudant le procédé cinématographique, en renversant le principe d'autorité, de donner à entendre des voix dissidentes.
Sans doute la ventriloquie trouble-t-elle l'opposition par trop schématique de la lettre et de la métaphore au gré de ses jeux de symétrie et de réversibilité. Qui est le ventriloque de qui ? Le critique est-il le ventriloque du film, ou l'inverse ? Ne sommes-nous pas devenus désormais les ventriloques de l'histoire du cinéma ?
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Cinéma Roussel : pour un cinéma roussellien
Erik Bullot
- Yellow Now
- Cote Cinema
- 22 October 2021
- 9782873404796
L'univers singulier d'un écrivain rencontre parfois des échos inattendus dans des films qui lui sont a priori étrangers. C'est la thèse paradoxale de ce livre, inspiré par l'oeuvre énigmatique de Raymond Roussel, admiré des surréalistes. Révélés de façon posthume, ses procédés d'écriture, basés sur la stricte permutation des lettres, favorisent curieusement un imaginaire visuel féerique et fabuleux.
Si ses livres ne connurent pas d'adaptations au cinéma, leur influence secrète et latente transparaît en revanche, à la manière d'un fil rouge, dans de nombreux films. Il suffit pour l'observer de prêter attention à l'affleurement de figures poétiques chez des cinéastes qui opèrent des courts-circuits entre les mots et les images sous les motifs de la permutation (Buñuel, Greenaway, Ruiz), du rébus (Frampton, Smith, Snow), du double (Chaudouët, Duras, Fitoussi, Rivette) ou de la métamorphose (Maddin, Ottinger, Quay, Švankmajer).
D'où l'hypothèse d'un cinéma roussellien, à la croisée de l'expérimentation plastique et de l'invention narrative, caractérisé par une certaine dissipation figurative, quasi pyrotechnique.
« Et je me réfugie, faute de mieux, dans l'espoir que j'aurai peut-être un peu d'épanouissement posthume à l'endroit de mes livres », écrivit Roussel, ingénu, en guise de consolation.
Cinéma Roussel se propose d'offrir à l'écrivain un peu d'épanouissement posthume à l'endroit de ses films virtuels.
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Sayat nova, réalisé en 1968 par le cinéaste arménien serguei paradjanov, est apparu comme un météore dans le ciel des étoiles fixes du cinéma.
Ses tableaux vivants, ses poses hiératiques, son recours à l'allégorie en font, au-delà de sa beauté plastique frappante, une oeuvre teintée d'énigme qui déjoue la possibilité de son exégèse. la frontalité exacerbée des plans et le regard des modèles adressé au spectateur imposent le face-à-face. au fil d'une relation précise de ses images, l'auteur de cet essai s'exerce à déplier le film en privilégiant différentes lignes d'interprétation comme l'enfance, la magie ou le présage, en vue d'instruire son extrême singularité.
Sous le langage d'objets, la circulation des offrandes, le tissage complexe des motifs, le jeu des métamorphoses se révèle un film à la beauté cristalline qui actualise, entre cinéma primitif et modernité, une puissance poétique du cinéma.