Depuis la Révolution française au moins et jusqu'au mouvement Black Lives Matter, les sociétés contemporaines n'ont cessé de s'en prendre aux monuments et statues de grands hommes érigés sur la place publique par des détournements, déboulonnages ou destructions divers. De la colonne Vendôme en 1871 aux figures contestées de l'esclavagisme et du racisme, en passant par les effigies de Staline ou de Lénine après la chute du communisme, les statues de dictateurs abattues lors des Printemps arabes, cette mise à mal interroge l'anthropologie de ces répertoires d'action, les discours historiques que ces monuments cristallisent et la fabrique d'événements désormais mondialisés.
Tout au long d'un XIXe siècle attaché aux normes, genres et hiérarchies, le champ artistique fut confronté à la multiplication des images, à leur reproductibilité technique et à la densification de leur circulation par le biais de la gravure industrielle et du journal illustré, qui modifièrent les statuts et déplacèrent les rapports au sein du système des beaux-arts. Parmi ces bouleversements, la caricature - image grimaçante et expressive par excellence - connut une expansion inédite qui fut d'abord perçue comme une menace pour l'art et plus particulièrement pour la peinture, d'autant que des peintres s'y adonnaient (Goya, David, Delacroix, Daumier, André Gill...).Progressivement, cet objet partisan et utilitaire, doté d'une faible légitimité artistique et culturelle, considéré comme ingrat et régressif, quand il ne passait pour vulgaire, fut pourtant disjoint de ses intentions initiales - le comique, la polémique et la critique -, pour devenir un langage formel. De la sorte, les procédés usuels de l'image satirique - la déformation, l'exagération, l'altération, la mutilation ou la condensation - furent institués en moyens plastiques, selon un double processus de translation et de déterritorialisation qui caractérise plus largement la modernité du xixe siècle.Cet essai analyse comment, dans l'historiographie de la caricature, dans la critique d'art et dans la pratique même des artistes, la caricature et son arsenal de dérèglements sont progressivement devenus l'espace d'invention du caricatural, dont la peinture de Courbet, Cézanne, Degas, Ensor, Rouault ou Picasso est le lieu.
De la fin du XIXe siècle aux Années folles, peintres, photographes et écrivains, Aragon, Breton, Céline, Magritte, Man Ray, Nabokov, Rilke, ont été fascinés par le masque de l'Inconnue de la Seine, qu'on disait moulé à la Morgue sur le cadavre d'une jeune noyée, belle et énigmatique. Ce faux masque mortuaire, vendu dans toute l'Europe, a progressivement pris une dimension mythique. Le présent ouvrage est une enquête où l'auteur interroge les conditions d'apparition de cette "Joconde du suicide ". Il éclaire le goût des artistes pour ce masque de plâtre, en regard de leur imaginaire de la rencontre, de la ville, du rêve et de la mort.
Aucune révolution naura entretenu de relations aussi compliquées avec ses images, ses représentations et ses artistes, que la Commune de Paris dès 1871 et jusquà la veille de la Grande Guerre. Quil sagisse de peintures et de sculptures, de photographies et de gravures de presse ou encore de caricatures, étudiées dans cet ouvrage, limage produite en regard de la Commune paraît en permanence échouer à représenter les événements du printemps 1871, sur le vif comme à retardement, au plus fort de lévénement comme dans sa mémoire. La Commune semble toujours parvenir à se soustraire à sa représentation, tant chez les artistes favorables à sa cause le sculpteur Jules Dalou et les peintres Gustave Courbet, Édouard Manet ou Maximilien Luce que chez ceux qui en furent des ennemis déclarés les peintres Ernest Meissonier, Jean-Paul Laurens ou Jean-Baptiste Carpeaux.
Les tentatives des artistes furent souvent vaines et restèrent lettre morte. Dans les oeuvres consacrées en petit nombre à la Commune de Paris, les dispositifs et les visions portent la marque de cet échec, successivement frappés par les interdits de la censure institutionnelle, les tabous de lautocensure que simposèrent les artistes et loubli posé comme condition nécessaire à lamnistie de 1881, assourdissante et aveuglante.
Rejetées de lart, par le statut des représentations considérées comme inabouties ou triviales et par le sort infligé à la plupart des artistes condamnés, inquiétés ou censurés, tout autant que durablement expulsées de la mémoire de la France républicaine, les images de la Commune furent marginalisées dans les milieux militants anarchistes, socialistes révolutionnaires et communistes. Entre histoire politique, histoire culturelle et histoire de lart, cet ouvrage explique les raisons de cette entreprise doccultation.
L'auteur du texte de ce livre est le fils de l'auteur des photographies. Historien des images, Bertrand Tillier propose pour ce nouvel opus de la collection Format passeport une approche à la fois intime (ce sont ses propres archives) et plus réflexive et générale sur la guerre d'Algérie. Il se fonde sur les photographies prises par son père, appelé du contingent en Algérie en 1962 et le récit familial. L'historien met en tension la mémoire individuelle exprimée ou tue dans la sphère intime et la mémoire refoulée de l'expérience de guerre.
Les photos envoyées à leurs proches par les jeunes appelés, photographes amateurs pour beaucoup d'entre eux, se conforment à une certaine mise en scène, puisque prises au piège d'un discours précis, national, officiel et médiatique. Elles donnent à voir une réalité choisie, ciblée, lisse, écran à la guerre.
Néanmoins, ces photographies, produites dans un contexte de guerre deviennent en quelque sorte témoignage de l'indicible car vecteurs de « moments de glissement et de débordement où les sentiments, les objets, les expressions du visage échappent d'emblée à toute normalisation ». Remplaçant les mots non dits, elles permettent une transmission d'un passé aux générations suivantes : « Chaque groupe porteur d'une mémoire se dirige vers le miroir qui racontera son histoire » (Benjamin Stora). La valeur des photos des appelés du contingent réside dans ce pouvoir de transmission ; elles constituent un support pour un travail de mémoire et de reconstitution, aussi partiel soit-il, tentant de rompre le silence ; regarder ces photos est une « modalité de communication dans les familles » (Raphaëlle Branche). Retrouvant les photos de son père dans une pochette, Bertrand Tillier, historien des images, met ainsi en lumière le rôle des générations postérieures dans la construction de la mémoire familiale.
Grâce à la curiosité d'un fils historien pour les photographies de son père, ce texte dévoile comment, derrière l'objet photographique témoin d'une histoire dans l'Histoire, se lisent des souvenirs, un passé, une mémoire personnelle, familiale mais aussi commune et collective.