Mise en doute par certains et considérée comme allant de soi par d'autres, la spécificité de l'écriture au féminin est au coeur de nombreux débats. Lori Saint-Martin prend ici
parti et propose une explication éprouvée, inspirée de la théorie littéraire et de la psychanalyse féministe : le rapport mère-fille, pivot de l'identité des femmes, est tout aussi déterminant pour leurs écrits. Un essai subtil, provocant et tout à fait actuel.
Philippe et Catherine. Ils sont peintres tous les deux. Il fait de grandes toiles, elle des petits formats. Il est riche, célèbre. Elle est connue d'une poignée d'admirateurs et de connaisseurs.
Il s'enferme tout le jour dans son atelier pour travailler. La porte close, elle ne la franchit jamais. C'est une convention tacite entre eux. Elle fait marcher la maison. C'est elle qui a élevé leurs trois filles. Il reçoit les modèles qu'il peint. Des jeunes femmes qu'il ne revoit plus jamais ensuite.
Quel est ce mystère qui fait que deux personnes traversent la vie ensemble ? Est-ce que cela s'appelle toujours l'amour ? Malgré les trahisons, les rapports de force, les jeux de séduction, la manipulation, la jalousie, la haine, l'envie de tout détruire. Malgré les enfants qui emportent chacun un morceau de notre chair. Malgré le fantôme des parents qui ne cesse de nous hanter. À quel prix un couple réussit-il à durer jusqu'à la fin ? Faut-il nécessairement qu'il y ait une victime ?
Avec une lucidité impitoyable, servie par une écriture d'une rare maîtrise, Lori Saint-Martin explore cette folie à deux qu'est un couple. Couche après couche, elle élimine tous les mensonges, toutes les illusions, tous les simulacres, pour arriver à dessiner ce mystère, le plus grand qui soit, peut-être.
« J'ai regardé sa main sur la table, une main longue et fine mais aujourd'hui tavelée, parcheminée, aux doigts légèrement déformés par l'âge et le travail. Des mains que j'ai vues peindre, bien sûr, et manipuler les couverts, et tenir le volant pour nous guider dans les tempêtes, et me caresser sans qu'alors je regarde. Et je me suis dit : oui, on restera sans doute toujours ensemble même si, par moments, je rêve de franchir le seuil pour la dernière fois.
Et encore, qui sait ? Je regarde vers la porte, vers le vaste monde, mesure la distance qui m'en sépare, un chat prêt à bondir. »
Si j'ai changé de vie et de langue maternelle, c'était pour que ma mère ne puisse pas me lire.
Si j'ai changé de vie et de langue maternelle, c'était pour pouvoir respirer alors que j'avais toujours étouffé. Je raconte, ici, l'histoire d'une femme qui a appris à respirer dans une autre langue. Qui a plongé et refait surface ailleurs.
Maintes fois récompensée, Lori Saint-Martin est reconnue pour son travail de traductrice de grands noms de la littérature anglo-canadienne. Or, la langue française - et toutes les langues qu'elle maîtrise - est plus qu'une passion pour cette femme, c'est une nécessité. Et à lire ce livre écrit au scalpel, on comprend qu'il lui était tout aussi nécessaire de l'écrire. Cela donne un récit à la fois lumineux et cruel où elle raconte comment elle a rejeté le milieu, la culture et la langue qui l'ont vue naître pour se réinventer, devenir autre. On pénètre dans l'intimité d'une métamorphose identitaire, on accompagne en pensée une femme qui repasse par les chemins tordus de son enfance et qui un jour a eu une révélation : la langue française.
De Kitchener, en Ontario, à Montréal, en passant par Québec, Barcelone et Berlin, Lori Saint-Martin nous entraîne sur les lieux de « ses langues » et des visages qu'elles évoquent. Père, mère, soeur, professeurs, écrivains, mari et enfants sont des personnages cruciaux de ce voyage. En plus de l'anglais et du français, Lori Saint-Martin maîtrise l'espagnol et entretient avec l'allemand une relation particulière, inachevée. Ce livre est un hommage aux langues, à la manière dont elles nous font, nous sculptent, mais c'est surtout l'extraordinaire aventure d'une adolescente, d'une femme, qui, telle une nouvelle Alice, ose traverser le miroir pour en revenir enfin changée en elle-même.
Lori Saint-Martin quadrille, arpente et concentre en de très courtes proses le territoire de l'intimité entre amants, couples et familles. Elle fait les comptes et dresse un inventaire des haines et des désirs, des peurs et des plaisirs. Sa plume détaille et dévoile, experte à épingler les enchantements du passé et les désenchantements du présent. La chair blanche du mangoustan parfume l'adultère ; le miroir noircit le visage d'une jeune fille ; la maison menace ruine tant la rancoeur mine la vie conjugale ; une tache de thé sur une nappe blanche amplifie l'ombre écrasante d'une mère ; une robe fleurie maquille un deuil ; l'échine ployée dissimule le ressentiment d'un vieillard ; une allumette qui flambe scelle le destin d'un adolescent.
L'auteure de Mathématiques intimes nous offre des portraits d'une finesse rare. Chaque récit réfléchit l'image exacte du fatum : rester sur le seuil de la vraie vie ou franchir le pas.
La traduction, c'est une rencontre. Rencontre éprouvante, émouvante, exigeante, passionnée et féconde; espace de chevauchement, de frottement, de création; passage qui donne une deuxième, une énième vie aux textes. C'est de cette rencontre dans ses diverses dimensions que Lori Saint-Martin parle ici. Elle mêle réflexions, opinions et exemples concrets. Elle nous explique comment la traduction nous sauve de l'abîme, pourquoi elle est beauté, gloire et plénitude.
Cette traductrice de réputation internationale s'en prend à la vision répandue de la traduction comme perte, trahison, déformation. Elle affirme que l'idéal d'une traduction en tous points identique à l'original ne tient pas la route, puisque traduire, c'est toujours refaire, remanier.
Elle aborde également les aspects pratiques de la traduction littéraire, nous parle des conditions particulières dans lesquelles elle l'exerce : la collaboration entre le Québec et la France, et la traduction à deux. Elle s'intéresse à la réception des traductions, aussi bien chez les spécialistes universitaires que parmi le grand public, où la contribution des traductrices et traducteurs est trop souvent passée sous silence. Elle évoque la baisse inexorable des tarifs dans beaucoup de pays, la montée des traductions machine, pour revenir à l'éloge de la traduction comme entreprise artisanale : lente, belle, indispensable.
Enfin, en coda de ce livre, elle se prononce sur la question brûlante, neuve, essentielle, de la traduction et de la diversité.
« On voit souvent la traduction littéraire comme un mal nécessaire. On a tort. Elle est un bien nécessaire, comme l'eau, comme l'air. Non pas un pis-aller, mais une oeuvre en soi. Elle transporte, enrichit, vivifie. Pour qui veut échapper à l'enfermement et connaître le monde, elle est la vie même : le vent de l'ailleurs, le parfum des autres cultures, le sel de l'esprit, le souffle vaste et multiple des langues et des oeuvres du monde. »
Lori Saint-Martin
Qu'est-ce, aujourd'hui, qu'un père ? Dans la plupart des sociétés, le père a longtemps incarné une figure d'autorité tantôt rigoureuse, tantôt bienveillante, mais le plus souvent assez lointaine. Le « nom du père » symbolisait toute l'assurance d'une culture fondée sur un ordre patriarcal. Qu'advient-il désormais de cette figure paternelle dans un contexte qui a transformé la famille et redéfini les rapports sociaux entre l'homme et la femme ? Qu'en disent les écrivains contemporains, hommes ou femmes, dans leurs fictions ? En se penchant sur un vaste corpus de textes écrits pour la plupart au cours des vingt dernières années, Lori Saint-Martin fait ici le pari d'explorer tant les voies nouvelles que les impasses suscitées par cette « crise de la paternité ». Dans un essai rigoureux mais vivant et accessible, elle montre que loin de s'être éclipsé, le père est présent en force dans la fiction québécoise, sous des formes plus variées que jamais. Il prend aussi la parole pour dire son expérience quotidienne, alors que jusque-là, c'est l'enfant-narrateur qui l'encensait ou le jugeait. « Au-delà du nom » transmis aux enfants par l'état civil et d'un pouvoir parfois abusif, une paternité nouvelle se dessine.
Les productions culturelles « parlent » : entre réalités et fantasmes, elles nous proposent un monde. Or les magazines pour hommes, au contraire de la presse féminine, n'ont pas fait l'objet de lectures critiques poussées, et nous ne savons presque rien à leur sujet. Que disent-ils, au juste ? Comment la presse masculine représente-t-elle les hommes, les femmes et les rapports entre eux ? Qu'est-ce qui, pour elle, définit l'homme ? À quoi ce dernier s'intéresse-t-il, que veut-il, que craint-il ? Les femmes sont-elles vues comme des objets sexuels, des rivales, des complices ou des égales ? Accepte-t-on les changements sociaux survenus depuis une trentaine d'années ou a-t-on la nostalgie d'une masculinité « de nature », d'une époque où les hommes étaient « des vrais » ?
Attentive tant au texte qu'aux images, l'étude de Lori Saint-Martin comble une lacune en proposant une lecture fine, mesurée et rigoureuse de trois magazines québécois : Homme, Summum et Summum Girl, lequel, paradoxalement, se révèle un magazine masculin destiné aux femmes. Une étude vive et décapante, non dénuée d'humour, qui interroge avec pertinence les identités contemporaines.
L'enfance moud le langage et en tire des métaphores. Un monde nouveau est donné à voir par le biais des consciences alertes, avides, généreuses des personnages d'enfants créés par Lori Saint-Martin. Mais il arrive qu'à la lumière des expressions succèdent les ténèbres d'une chambre de petite fille dans laquelle pénètre un père, la nuit, alors que le « non » fait défaut.
La succession des nouvelles permet à l'auteure de créer un véritable tourbillon dont l'on sort tantôt en état de choc, tantôt dans l'émerveillement, toujours ému.
La mine, c'est à la fois le crayon, l'expression et le potentiel explosif. Nous disons mines de rien, parce qu'il s'agit de petites choses, ces petits riens souvent passés sous silence, et qui, pourtant, nous minent.
Trois professeures de lettres délaissent les formes académiques pour se donner le plaisir des billets d'humeur, de l'archéologie du quotidien, en solidarité avec toutes celles qui subissent les humiliations invisibles. Têtues, critiques, moqueuses ou graves, elles s'entendent sur un point: si le monde a beaucoup changé, si l'égalité semble à portée de main, le sexisme demeure bien vivace partout.
Mines de rien, ce sont trois féministes qui mettent en commun leurs plumes grinçantes pour dépeindre nos travers avec des lunettes pas vraiment roses. Du marketing aux toilettes publiques, en passant par les médias sociaux, la culture du viol, l'instinct maternel ou la masturbation, leurs chroniques s'indignent de l'ordinaire sexiste, et prouvent qu'il est aussi arbitraire qu'anachronique. Ici la conscience aiguë du phallocentrisme n'est pas un poids, mais un moteur. Mieux vaut, paraît-il, en rire. Mieux vaut surtout s'en indigner.
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Isabelle Boisclair, Lucie Joubert et Lori Saint-Martin sont auteures et professeures de littérature à l'université.
À l'instar de ceux qui distinguent sciences dures et sciences molles, on peut dire que la revue Moebius, par ses numéros thématiques, propose dans chaque appel à textes une « contrainte molle » à ses collaborateurs, par opposition aux « contraintes dures » façon Oulipo. Il arrive cependant que par accident (ou non) la perspective se déplace, qu'une force délicieusement centrifuge nous tire hors du chemin balisé du thème ou de la contrainte. Tout à coup nous éprouvons le vif besoin d'être dépaysé, voire égaré; de nous découvrir pauvre en thème. C'est ainsi que ce numéro 145 « Comme il vous plaira » s'est élaboré, au fil des rencontres le long de chemins de traverse et de « sentiers qui bifurquent ».
Au cours de l'année 1945, à quelques mois d'intervalle, paraissaient à Montréal deux romans qui devaient marquer profondément la littérature québécoise et canadienne : Le Survenant de Germaine Guèvremont et Bonheur d'occasion de Gabrielle Roy. Or la critique a surtout insisté jusqu'ici sur l'opposition sur laquelle se fondent ces deux oeuvres, l'une orientée vers la liquidation d'un monde ancien, l'autre annonciatrice d'un monde nouveau. Plus de cinquante ans après leur première publication, il s'agit d'aborder les deux romans de concert, comme parties d'un territoire esthétique qui leur est commun et qui les fait « dialoguer » l'un avec l'autre, s'éclairer mutuellement et éclairer ensemble ce territoire auquel ils appartiennent.
L'édition hivernale de la revue Études littéraires est consacrée à l'héritage intellectuel et littéraire de Jeanne Lapointe, professeure de littérature à l'Université Laval, ayant oeuvré pour la modernité dans le Québec des années 50. L'accent y est mis sur sa contribution littéraire, ses textes et ses collaborations, ancrés dans sa passion pour la littérature, la poésie et les idées, ainsi que sur les amitiés nées de son activité de mentore. Claudia Raby et Lucie Robert dans leur article respectif se penchent sur le rôle déterminant joué par Jeanne Lapointe au sein de l'institution universitaire dans les décennies 1950-1960. Camille Néron examine son discours sur la poésie entre 1954 et 1996. Les contributions de Nathalie Watteyne et Mylène Bédard, elles, proposent des analyses du travail d'accompagnement critique avec plusieurs écrivaines québécoises. Enfin, Lori Saint-Martin retrace son parcours de doctorante avec Jeanne Lapointe et le cheminement parfois ardu des femmes au cycle supérieur.