Je n'ai pas eu la chance d'avoir une enfance misérable et je ne peux pas me targuer de m'être fait à la force d'un poignet solide ; je suis aristocrate et j'ai vécu dans un château. Je peux seulement me vanter de m'être défait moi-même pendant longtemps. Mon premier grand-père était un immigré italien qui parlait à peine le français, et mon autre grand-père, un polytechnicien très à cheval sur les principes, alors que moi, en principe, je n'étais à cheval sur rien. J'errais tout simplement : dans les allées d'un parc trop grand, sur une pelouse au pied des corons, au milieu des dortoirs glacés, à l'intérieur des limousines ouatées, dans les jupes de dames altières et, pendant l'occupation, le long des gares en flammes. Je pratiquais en vrac le baisemain et le braconnage, le bridge et la trompette. J'errais surtout à la recherche d'un père toujours absent et d'autant plus magnifique. "Qu'est-ce qu'il a cet enfant ?" "Il est tout pâle." J'avais tout simplement le mal de Père. Pierre Richard