Koksoak ! Koksoak ! On dirait le cri du corbeau. Ainsi se nomme le fleuve qui traverse Kuujjuaq. C'est là que Guillaume a décroché son premier emploi de professeur. D'abord, il a survolé un pays qu'il croyait aimer mais dont il ignorait tout. Puis il y a eu ces douze adolescents inuits, capuchons sur la tête, qui le fixaient en silence. Ce n'est qu'après que sont venus les expéditions de chasse, là où le caribou se fait de plus en plus rare, et, au beau milieu de la nuit, le match de hockey le plus âprement disputé qu'il ait jamais joué... Guillaume comprend que, un jour pas si lointain, ses enfants reviendront en pleurs de la forêt, parce que les bulldozers seront juste derrière la tente. Il ne saura quoi leur dire. Il n'aura que le silence du Nord à leur offrir.
Jean-François Létourneau, enseignant, vit en Estrie, au Québec. Le territoire de l'âme est son premier roman.
À travers le rapport au territoire qu'elles convoquent, les oeuvres littéraires des Premiers Peuples nous invitent à repenser les fondements des sociétés américaines, québécoise dans notre cas, à partir de la perspective autochtone. Dans cet essai, Jean-François Létourneau définit une poétique du territoire inspirée par le travail d'écrivains autochtones. Ces derniers actualisent dans leurs textes des sensibilités qui s'enracinent dans l'histoire millénaire de l'Amérique. Ils convoquent une vision du monde en phase avec l'histoire et la culture de leur nation tout en renvoyant les lecteurs aux non-dits qui grèvent les sociétés américaines, notamment dans leur façon de concevoir le territoire.
À l'instar de ceux qui distinguent sciences dures et sciences molles, on peut dire que la revue Moebius, par ses numéros thématiques, propose dans chaque appel à textes une « contrainte molle » à ses collaborateurs, par opposition aux « contraintes dures » façon Oulipo. Il arrive cependant que par accident (ou non) la perspective se déplace, qu'une force délicieusement centrifuge nous tire hors du chemin balisé du thème ou de la contrainte. Tout à coup nous éprouvons le vif besoin d'être dépaysé, voire égaré; de nous découvrir pauvre en thème. C'est ainsi que ce numéro 145 « Comme il vous plaira » s'est élaboré, au fil des rencontres le long de chemins de traverse et de « sentiers qui bifurquent ».
Deux amoureux de la chanson traditionnelle québécoise rendent hommage aux chanteurs, conteurs et poètes québécois de tradition orale. Ils évoquent les femmes et hommes anonymes qui chantaient pour rythmer les travaux de la terre, ils rappellent les liens entre la chanson et l'oeuvre de poètes tels que Alfred DesRochers ou Gaston Miron, et célèbrent les groupes d'aujourd'hui qui colportent la chanson traditionnelle aux quatre coins du monde. En montant la rivière est une ode à ces chansonniers de toutes origines qui ont habité le territoire de la mémoire, et qui continueront de l'habiter par leurs histoires et chansons. Née du métissagedes cultures des Premiers Peuples d'Amérique, des Français devenus Canadiens, des Irlandais et Écossais, la chanson traditionnelle québécoise dialogue aujourd'hui avec les cultures des peuples du monde entier et célèbre la tradition orale comme réservoir de connaissances et de visions du monde. Chanson après chanson, les auteurs explorent les paradoxes et les trous de mémoire: l'ambivalence envers l'Autochtone, les figures tantôt héroïques tantôt tragiques du voyageur, du coureur des bois, du bûcheron, du draveur et de l'habitant qui disent la nostalgie du pays. Loin d'incarner un repli sur un folklore immuable, la chanson traditionnelle québécoise est une voie de passage entre différentes cultures, langues et rapports au monde ; elle est le témoin d'une humanité commune et partagée.