« Le vieil homme qui, tout à l'heure, arpentait la véranda en regardant les arbres coloriés par l'automne, cherchant un mot qui ne voulait pas venir, remâchant des pensées inchoatives qui n'étaient que de vagues sentiments, enfermé dans sa boule de presque malheur, c'était moi. » Cette phrase aussi belle que poignante, Gilles Marcotte, qui allait avoir 83 ans, la notait le 29 septembre 2008 dans les carnets qu'il avait pris l'habitude de tenir depuis vingt-cinq ans et où il consignait « pour lui-même » les pensées et les sentiments que lui inspiraient, à travers les hasards de la vie quotidienne, les livres (innombrables) qu'il lisait, les oeuvres musicales qu'il ne se lassait pas d'écouter, les échanges avec ses collègues, les paysages qui se présentaient à lui, tel ou tel événement de la vie politique ou littéraire, ou encore les souvenirs qui le visitaient parfois, d'un ami disparu, d'un fait de son enfance, d'une émotion qui soudain refaisait surface. À travers ce désordre apparent, c'est toujours la même voix qui se fait entendre, tantôt ironique et légère, tantôt appliquée, la même présence qui se manifeste, celle d'un homme pétri de culture et de foi, mais qui ne finit jamais de s'interroger, d'attendre, d'espérer une meilleure connaissance non seulement de lui-même (rien n'est plus étranger à ces pages que le narcissisme) mais surtout du monde humain qui l'entoure, le plus proche (le Québec et sa littérature) comme le plus lointain (dans le temps et dans l'espace). Et cette soif d'humanité, cette attention de chaque instant, ne peut se réaliser que dans et par l'écriture, même cette écriture la plus humble qui soit, la moins endimanchée, la plus spontanée : celle du carnet.
De cette matière accumulée au fil des années, Gilles Marcotte a tiré lui-même, en 2002, un premier volume intitulé Des livres et des jours, 1993-2001 (Boréal). Rassemblées par des membres de sa famille, voici maintenant, à titre posthume, les pages qu'il a écrites pendant la décennie qui a suivi, de 2002 à 2012, c'est-à-dire jusqu'à ce que la maladie l'oblige à se taire. Ce sont donc ses derniers mots.
Depuis la tentative condamnée des prêtres-ouvriers le public a ressenti le pathétique cas de conscience des jeunes prêtres qui veulent inscrire le message chrétien dans la pleine réalité de l'homme, alors qu'une autre partie du clergé en tient pour des formes d'apostolat plus autoritaires. Le héros de Le poids de Dieu est l'un de ces jeunes prêtres. Nommé vicaire du curé Marquis, dans la paroisse ouvrière d'une petite ville canadienne, Claude Savoie est choqué par les méthodes de son curé, qu'il juge réactionnaires. Il rêve d'accomplir un acte de profonde sympathie qui l'engagerait nettement du côté des hommes. Or, l'occasion de cet acte va lui être fournie par le jeune Serge Normand, un fils de notaire qui s'est détourné de ce qu'on croyait être une vocation sacerdotale, par amour pour une jeune tuberculeuse, Marie Norbert. Hospitalisée dans un état grave, Marie est prête à renoncer à Serge, lequel, au contraire, malgré l'opposition véhémente de ses parents, soutenus par le curé Marquis, désire s'engager indissolublement vis-à-vis de Marie. Il demande au vicaire de bénir leurs fiançailles ; à quoi celui-ci consent, déclenchant une réprobation quasi-unanime, que modérera seulement la mort de la jeune malade, survenue peu après la cérémonie. Incertain du bien fondé réel de son acte trop chrétien, Claude "rentrera dans le rang", non sans avoir dû surmonter une grave crise intérieure.
« Les oeuvres dont il sera question dans ce livre font partie de la littérature québécoise. Il ne s'agit ici ni d'une "deffense et illustration", selon la formule célèbre de du Bellay, ni d'un essai de caractère historique, où les oeuvres seraient mises en relation avec le développement d'une nation, d'une société. Mon propos est différent, même si la réunion d'oeuvres parues dans le même espace géographique ne peut que suggérer des perspectives historiques, des relations entre texte et société. J'ai voulu plutôt que les oeuvres, les écrivains que je présente ici le soient pour eux-mêmes, en eux-mêmes, sans être conscrits par une sorte de développement collectif. Ce n'est donc pas une thèse qu'on lira, bien que les petites idées que j'entretiens sur la littérature s'y frayent forcément un chemin. Je n'ai pu me retenir, aussi bien, pour aérer un peu l'ensemble, de constituer des ensembles flous, suscités par des rencontres de diverses sortes, amicales si l'on veut, et de m'évader parfois dans quelques images de la vie littéraire. » - Extrait de la préface
Jacques Poulin occupe une place à part - haute et discrète - dans l'institution littéraire québécoise. Ses romans, surtout Jimmy (1969), Les Grandes Marées (1978) et Volkswagen Blues (1984), ont été salués, couronnés. On l'a comparé à Hemingway, à Salinger, à Brautigan, à Vonnegut. Il admire aussi Gabrielle Roy et Réjean Ducharme. Jacques Poulin a-t-il écrit, va-t-il écrire « le grand roman américain » du Québec? Ses héros voyagent à la fois dans l'espace (la mer, la route, la piste, l'île et le continent), dans l'histoire (leurs histoires), dans l'écriture. Traducteurs, adaptateurs, liseurs et lecteurs, écrivants et écrivains, ils se mesurent à leur environnement, à tous les signes, mais d'abord et finalement à eux-mêmes.
Au cours de l'année 1945, à quelques mois d'intervalle, paraissaient à Montréal deux romans qui devaient marquer profondément la littérature québécoise et canadienne : Le Survenant de Germaine Guèvremont et Bonheur d'occasion de Gabrielle Roy. Or la critique a surtout insisté jusqu'ici sur l'opposition sur laquelle se fondent ces deux oeuvres, l'une orientée vers la liquidation d'un monde ancien, l'autre annonciatrice d'un monde nouveau. Plus de cinquante ans après leur première publication, il s'agit d'aborder les deux romans de concert, comme parties d'un territoire esthétique qui leur est commun et qui les fait « dialoguer » l'un avec l'autre, s'éclairer mutuellement et éclairer ensemble ce territoire auquel ils appartiennent.
Gaston Miron aura été l'un des poètes les plus importants de sa génération. Pourtant, L'homme rapaillé demeure encore trop peu étudié aussi bien au Québec qu'à l'étranger, où Miron compte de nombreux lecteurs. Au seuil de l'an 2000, ce numéro aide à repenser la place du poète dans la cité.
Malgré l'estime persistante de la part du public et l'appui indéfectible des institutions officielles, la poésie semble avoir de plus en plus de difficulté à passer dans l'enseignement. Le dossier rassemble les réflexions de professeurs venus de trois sociétés francophones à propos de leur pratique et de leur substrat théorique. En restituant le texte poétique dans son contexte, mais aussi dans l'histoire de la littérature et des genres littéraires, on interroge la poétique d'un auteur (Cendrars, Musset), d'un mouvement (le surréalisme), ou encore l'évolution d'une forme (le poème philosophique), afin d'inviter à une réactualisation des corpus et des méthodes d'analyse, ainsi qu'à une interrelation plus étroite entre le texte, l'étudiant et l'enseignant.
En 1845, paraissait à Québec le premier volume d'une Histoire du Canada qui allait valoir à son auteur, François-Xavier Garneau, le titre d'« historien national ». Réédité à plusieurs reprises depuis lors, cette oeuvre majeure est aujourd'hui introuvable en librairie. Les études réunies dans ce numéro proposent de la relire, comme ouvrage historique mais aussi, mais surtout, comme un des textes fondateurs de la littérature québécoise.
De quoi ferait rêver la dernière page d'un livre sinon de recommencements ? Proust et Joyce, à ce point de vue, demeurent des maîtres. Lecteurs d'eux-mêmes ayant absorbé la tradition littéraire puis le savoir encyclopédique de leur temps, l'un et l'autre engagés dans un prodigieux work in progress, ils avaient compris que leur expérience de la lecture et de l'écriture était un lieu synaptique.