Ces lettres ne feront pas de vous un poète talentueux, là n'est d'ailleurs pas la question. Mais le lecteur se surprendra peut-être à découvrir en Rilke l'un de ses semblables. L'écrivain de génie s'y révèle de fait d'une déconcertante accessibilité. Face aux doutes d'un jeune poète, Rilke conseille et rassure son correspondant, avec patience et humilité.
Et si la poésie dépendait moins du travail sur le texte que d'un travail sur soi ? À défaut de révéler les ressorts de la création littéraire, c'est une véritable éthique que le poète tâche d'exposer.
La traduction de l'écrivain Gustave Roud, longtemps introuvable, révèle brillamment la puissance poétique intacte de ces lettres. Demeure un texte culte, universel : un guide pour tous ceux éprouvant cette « noble inquiétude de vivre ».
Né à Prague en 1875, Rainer Maria Rilke est sans doute le poète de langue allemande le plus important de la première moitié du XXe siècle. Au fil d'une vie ponctuée de nombreux voyages, il liera des amitiés avec quelques-uns des créateurs les plus novateurs de son époque : Auguste Rodin, dont il fut le secrétaire, Boris Pasternak, Marina Tsvetaïeva, Tolstoï, Lou Andreas-Salomé. Rilke succombera, en 1926, à une leucémie.
Les jeunes cadres ambitieux ne sont plus ce qu'ils étaient ! Des hippies d'hier, les nouveaux yuppies ont hérité du refus des normes. Ou tout au moins de « certaines » normes. Tout leur secret réside dans cette combinaison de contre-culture, de valeurs progressistes et de surconsommation.
Le Monopole de la vertu retrace le parcours de cette « classe managériale » : revirements, hypocrisie, stratégies élitistes... Jusqu'à Donald Trump qui s'assura la victoire en catalysant le ressentiment populaire à leur égard. Loin des arguments des conservateurs ayant pris pour cible cet avatar des « bobos bien-pensants », Catherine Liu livre une réflexion mordante sur une classe de cadres intellectuels qui, en s'adaptant aux contradictions du capitalisme, lui permettent d'en perpétuer le règne.
Née en 1964 à Taïwan, Catherine Liu est professeure au département des études cinématographiques et visuelles de l'université de Californie. Influencée par l'école de Francfort, ses recherches portent sur l'histoire intellectuelle des classes sociales et des identités, le populisme, les inégalités, la psychanalyse. Elle a notamment publié The American Idyll : Academic Anti-Elitism as Cultural Critique (University of Iowa Press, 2011) et le roman Oriental Girls Desire Romance (Kaya Press, 2012).
Le Bateau-usine nous plonge en pleine mer d'Okhotsk, zone de conflit entre la Russie et le Japon. Nous sommes à bord d'un bateau de pêche, où le crabe, produit de luxe, est conditionné en boîtes de conserve. Marins et ouvriers travaillent dans des conditions misérables. Un sentiment de révolte gronde...
Ce récit bouleversant, inspiré de faits réels, provoque un puissant sentiment d'empathie avec ces hommes et leurs aspirations. L'oralité, le style incisif et le "regard caméra" adopté par le narrateur font de cette identification un appel à la révolte en soi.
Phénomène de société au Japon, livre culte en France et traduit dans le monde entier, Le Bateau-usine reste une référence pour tous les révoltés et contestataires. Un phare donc, pour naviguer sur les eaux de notre présent tempétueux.
Kobayashi Takiji est né en 1903. Devant le succès de ses premiers livres, auprès des intellectuels comme des ouvriers et des paysans, il est mis sous surveillance par l'appareil de sécurité de l'État. La publication, en 1929, du Bateau-usine le consacre comme l'un des plus grands romanciers de la classe ouvrière japonaise. Mais, dans un contexte de répression, l'ouvrage est censuré dès sa sortie. Il est soumis à interrogatoire par la police secrète et meurt sous la torture le 20 février 1933.
6 août 1948, un vent de révolte gronde chez les artistes. Naît ce manifeste, nécessaire pour une époque qui en réclame à grands cris.
A l'heure du repli sur soi et sur des valeurs conservatrices, son appel est vital, organique. La charge contre la chrétienté n'est en fait qu'un prétexte pour brocarder toutes les institutions qui entravent la liberté de chacune et chacun. Assoiffé de désir P.-E. Borduas saisit au ventre et remue les instincts les plus profonds. C'est le refus de la lourdeur ambiante qui vient brider nos actions et nos pensées. Contre la raison, la passion ouvrira un destin des plus vivants, dans l'excès et la joie. La mesquinerie, les gagne-petit individualistes n'ont plus droit de cité. Seuls siégeront l'allégresse et la fraternité.
Peintre, sculpteur et professeur, le Canadien Paul-Émile Borduas (1905-1960) a exercé une influence durable au Québec et au Canada avec la parution en 1948 de son manifeste Refus global. Cette publication à 400 exemplaires vaut à Borduas un tollé dans la presse et d'être démis de ses fonctions d'enseignant... Il s'exile quelques années plus tard à New York puis à Paris, où il meurt des suites d'une crise cardiaque.
«Si la police peut paraître partout semblable jusque dans les détails, il ne faut pas finalement se méprendre : son esprit est moins dévastateur dans la monarchie absolue, où elle représente la violence d'un souverain qui réunit en lui l'omnipotence législative et exécutive, que dans les démocraties, où son existence, soutenue par aucune relation de ce type, témoigne de la plus grande dégénérescence possible de la violence.»
En proie à de multiples doutes quant à son inspiration, confronté à l'angoisse de la maladie dont il vient de connaître les affres, Rainer Maria Rilke se promène sur les rochers du château de Duino, non loin de Trieste, quand il entend soudain une voix. Celle-ci lui dicte ces mots : "Qui donc, si je criais, m'écouterait dans les ordres des anges ?" Il tient là la première sentence des Élégies de Duino, recueil dont la rédaction s'échelonne de 1912 à 1922. Ces dix années résument à elles seules les interrogations fondamentales du poète et y répondent. Dans ces poèmes, vie et mort ne s'opposent plus. Elles constituent des forces qui forment une "grande unité", un éternel devenir. Une inspiration entièrement renouvelée guide cette prose poétique, expression d'une vie intérieure intense dont elle suit le rythme. Comment vivre avec la menace de la mort ? Comment accepter les limites de l'homme, qui n'est ni animal ni Ange ? L'amour peut lui offrir ce soupçon d'éternité, permettre un dépassement. En acceptant de se plier à sa condition terrestre, l'homme peut résolument accepter la mort. Avec la figure tutélaire de l'Ange, intercesseur entre le monde visible et l'Invisible, la mort devient une condition de l'éternité.
Le Mont analogue, l'oeuvre maîtresse de René Daumal, ne sera découverte qu'après sa mort.
Dans ce récit, le poète du Grand Jeu embarque le lecteur dans un voyage initiatique vers le Mont Analogue, mystérieux et invisible sommet, objet de tous les fantasmes. Pierre Sogol, curieux monsieur, convainc le narrateur de l'accompagner dans une quête qui les conduira à traverser le Pacifique, avant d'accoster à l'énigmatique Port-des-Singes. Ils entreprendront de gravir le Mont, sans atteindre le sommet : Daumal mourra avant d'avoir terminé son récit.
Mythique, inaccessible, le Mont Analogue demeurera un mystère pour l'auteur et ses lecteurs. Horizon lointain et pénétrant, le Mont, par sa puissance allégorique, fascinera plusieurs générations d'artistes et inspirera à Jodorowski sa Montagne sacrée.
Le Tchouang-tseu, l'ouvrage que l'on appelle ainsi parce qu'on en attribue la paternité à un certain Tchouang-tseu, contient les textes les plus étonnants que nous ayons de l'Antiquité chinoise. Le Court Traité, conservé dans son chapitre 2 et dont on ne connaît pas l'auteur, offre du sujet humain et de son rapport au langage, aux choses et à la réalité une vision qui mérite à plusieurs titres notre attention. Elle coïncide, dans son principe, avec celle du philosophe Héraclite. Un intérêt supplémentaire tient au fait que la vision du Court traité est restée incomprise en Chine comme celle d'Héraclite en Europe. Cela fournit un point de vue critique sur l'une et l'autre tradition et permet d'envisager leur dépassement par une véritable connaissance du sujet.
Après avoir été professeur d'études chinoises à Genève, Jean François Billeter a quitté l'Université pour se consacrer à ses propres travaux. Dans ses études sur certains textes remarquables de Tchouang-tseu et sur l'art chinois de l'écriture, il allie la plus grande rigueur sinologique au souci constant de se faire comprendre des lecteurs non sinologues, à la fois par la clarté de l'expression et par la richesse des références à l'héritage occidental, ou simplement à l'expérience commune.
Avec la spontanéité propre à l'oralité, Günther Anders livre dans cet entretien quelques anecdotes significatives, notamment l'étonnement du philosophe quand il s'aperçut que lui, juif, pouvait faire le poirier plus longtemps que ses autres disciples, tous grands et blonds. Mais ce livre est surtout le récit d'un parcours philosophique et politique, où l'on croise également Brecht et Husserl et qui révèle en France une personnalité comparable à celle de George Orwell par son courage intellectuel et sa lucidité.
Dans un XIXesiècle encore à écrire, un jeune écrivain du nom de Victor Hugo s'insurge de la destruction de l'ancienne France et de ses monuments. Texte de jeunesse qui témoigne de l'acuité précoce de son auteur, Guerre aux démolisseursnous met face à un homme engagé dans les débats de son temps, et dont le diagnostic sévère laisse le lecteur toujours aussi dubitatif. Quelle place pour la protection du passé dans une époque obsédée par le progrès industriel ?
Victor Hugo met ici toute sa verve pour répondre à cette question et se fait le défenseur de ce qui constitue rien de moins que l'âme et l'histoire d'un pays : ses monuments. Le texte d'Hugo fascine en ce qu'il pose les jalons d'un débat ancien de presque deux siècles, qui reste aujourd'hui encore plus que jamais d'actualité.
Faut-il le rappeler ? Victor Hugo (1802-1885) est le fameux auteur de Notre-Dame de Paris et des Misérables...
Dès son titre, l'ouvrage annonce le tournant opéré par la modernité. Benjamin montre dans cet essai lumineux et dense que l'avènement de la photographie, puis du cinéma, n'est pas l'apparition d'une simple technique nouvelle, mais qu'il bouleverse de fond en comble le statut de l'oeuvre d'art, en lui ôtant ce que Benjamin nomme son "aura". C'est désormais la reproduction qui s'expose, mettant en valeur la possibilité pour l'oeuvre d'art de se retrouver n'importe où. Capacité à circuler qui la transforme en marchandise. Benjamin met au jour les conséquences immenses de cette révolution, bien au-delà de la sphère artistique, dans tout le champ social et politique. Avec le cinéma, c'est la technique de reproduction elle-même qui désormais produit l'oeuvre d'art. Là, c'est l'image de l'acteur qui devient marchandise, consommée par le public qui constitue son marché. La massification du public de ces oeuvres a servi les totalitarismes. D'où "l'esthétisation de la politique" encouragée par le fascisme et la "politisation de l'art" défendue par le communisme.
En 1960, Francis Gary Powers, pilote américain, est arrêté en mission en URSS en pleine Guerre froide. Günther Anders, inquiet des conséquences de cette arrestation et du risque de guerre nucléaire, écrit au pilote incarcéré. Sa «Lettre sur l'ignorance» reste sans réponse. Il en écrit alors une seconde : «Le rêve des machines», inédite en français comme en allemand.
Le Rêve des machines rassemble ces lettres qui éclairent l'évolution de la pensée d'Anders. En exposant à Powers comment il est devenu le rouage d'un système inhumain, il dénonce la toute-puissance de la technique et le monde des machines, produit d'un capitalisme qui annihile notre humanité. Anders déroule ainsi une pensée habitée par un souffle qui, à défaut d'être atomique, est d'une puissance philosophique sans équivalent.
C'est en prison, au cours de l'été 1923, que Hayama Yoshiki rédige La Prostituée. Trois hommes forcent le narrateur à leur céder son argent. En échange, ils le conduisent jusqu'à une femme agonisante, qu'ils semblent détenir contre sa volonté : « un cadavre qui respire » dont ils lui offrent de faire ce qu'il voudra...Le dialogue qui s'engage pose des questions qui restent aussi urgentes que dérangeantes : consentement, conscience de l'exploitation, utilité de la vie misérable... Est-on toujours l'exploité de quelqu'un ? Est-on toujours l'exploiteur de quelqu'un ? Et la plus terrible : « Mais sauver les gens, est-ce que c'est faisable ? »Véritable bombe, ce texte reste le contemporain manifeste de notre époque précaire, marquée par les flambées de colère et les horizons de crise.
Né en 1894 à Fukuoka, Hayama Yoshiki renonce aux études à l'âge de dix-huit ans. Il vit alors de divers emplois dont il tirera ses récits. À partir de 1921, il milite pour le mouvement syndical, ce qui lui vaudra plusieurs séjours en prison. Il y rédigera ses premiers textes. En 1926, il rejoint la revue Bungeisensen (« Le Front des arts littéraires »). En 1934, il quitte Tokyo pour se lancer dans l'agriculture. Il part comme colon en Mandchourie en 1944 et meurt au cours de son retour en 1945.
Dénonçant un illusoire droit au travail qui n'est pour lui que droit à la misère, Lafargue soutient qu'une activité proprement humaine ne peut avoir lieu que dans l'oisiveté, hors du circuit infernal de la production et de la consommation, réalisant ainsi le projet de l'homme intégral de Marx.
Un classique toujours autant lu, plus que jamais d'actualité.
Truffée de dialogues truculents, l'écriture pleine de vivacité de ce roman plante à la perfection ses personnages. Nino, dix-neuf ans, raconte ses galères pour survivre sans argent à Paris. Amoureux de Lale, il voit son couple menacé par la pauvreté, contre laquelle il essaie coûte que coûte de lutter sans perdre sa volonté de vivre. C'est une vie de débrouille ponctuée de fêtes, celle d'une jeunesse qui cumule les petits boulots et les trafics en tout genre. Les réflexions et observations pleines d'acuité de Nino sur ce qui l'entoure esquissent le portrait d'une génération qui tente de trouver sa place dans un monde où il n'y en a plus, d'envisager un avenir. Contre l'accablement, la fureur de vivre anime les personnages de cette fresque nocturne mouvementée, fidèle à notre époque.
Simon Johannin a grandi dans l'Hérault. À 17 ans, il suit des études de cinéma à l'Université de Montpellier, qu'il déserte rapidement. Il travaille en intérim puis vend des jouets, avant d'intégrer l'atelier d'espace urbain de La Cambre à Bruxelles, de 2013 à 2016. Son premier roman L'Été des charognes paraît en 2017. Quant à Nino dans la nuit, il résulte d'une collaboration avec Capucine Spineux, cerveau de la désertion initiale et de la route suivie depuis par les deux.
L'auteur du Bref Été de l'anarchie et de La Grande Migration retrace dans cet essai l'histoire des terroristes russes qui, de 1862 à 1917, inlassablement, ont sacrifié leur vie pour renverser le régime tsariste. C'est peu dire que ces personnages sont romanesques ou hors du commun : ils se sont volontairement situés, par l'absolu de leur révolte, hors de l'humanité, poussant à son extrême le mépris de soi, des autres et de la vie en général. Mépris qui culmine dans les figures de Netchaiev ou Asev, qui organisèrent des dizaines d'attentats terroristes et travaillaient en même temps pour la police secrète du tsar.
L'auteur du Bref Été de l'anarchie et de La Grande Migration retrace dans cet essai l'histoire des terroristes russes qui, de 1862 à 1917, inlassablement, ont sacrifié leur vie pour renverser le régime tsariste. C'est peu dire que ces personnages sont romanesques ou hors du commun : ils se sont volontairement situés, par l'absolu de leur révolte, hors de l'humanité, poussant à son extrême le mépris de soi, des autres et de la vie en général. Mépris qui culmine dans les figures de Netchaiev ou Asev, qui organisèrent des dizaines d'attentats terroristes et travaillaient en même temps pour la police secrète du tsar.
Hans Magnus Enzensberger est né en 1929 à Kaufbeuren en Bavière. Docteur en philosophie et éminent représentant de la poésie allemande contemporaine, H. M. Enzensberger est aussi romancier, traducteur, journaliste et essayiste. Analyste critique des médias, il s'est notamment illustré par ses études consacrées aux liens qui unissent violence et politique.
Lorsque il publie ce pamphlet (1959) sous le pseudonyme de Libero Poverelli, Giorgio Voghera est encore employé dans une grande compagnie d'assurance, la RAS.
Entre ironie et faux cynisme, il analyse la mutation, dans les années d'après-guerre, du management des grandes entreprises et administrations : concentration du pouvoir, déresponsabilisation et désolidarisation des employés...
Un système vertical où se perdent connaissances et capacités décisionnelles, les plus haut placés étant submergés par un sentiment d'incompétence tandis que les subordonnés sont réduits au rôle de courtisan.
Le dénouement, corrosif, réglera définitivement la question posée par ce texte mordant : "Pourquoi vouloir faire carrière ?"
Giorgio Voghera, né à Trieste en 1908 et mort dans cette même ville en 1999, est un écrivain, essayiste et journaliste italien. Il a passé ses jeunes années dans la communauté juive de Trieste. Après la promulgation des lois racialistes, en 1938, il se réfugie en Palestine. Après son retour en Italie, il s'est lié à d'autres auteurs tels que Umberto Saba, Virgilio Giotti ou encore Roberto Bazlen. Son texte principal est Il Segreto, un roman qui avait été publié tout d'abord de manière anonyme.
L'art connaît une crise sans précédent : « Personne ne croit plus un mot de ce que dit le poète en notre siècle ».
Cette crise se situe au fondement même de notre civilisation, que la rationalisation technique a dénuée de tout fondement spirituel. Sa source est notre perte de contact avec la tradition d'un art dont la fonction était métaphysique. L'absence d'un principe supérieur, à même d'insuffler une direction et une puissance, a affaibli la poésie moderne.
Dans une langue saisissante et visionnaire, habitée par un souffle poétique et mystique, Le Centre perdu nous propose de refonder l'art par le langage. Pour que la poésie soit à nouveau, pour nous, synonyme de vérité. « Il nous faudra de nouveau vivre vraiment pour que nous puissions de nouveau parler vraiment. »
Né en 1915 à Athènes et décédé en 2004, Zissimos Lorentzatos, poète, penseur et critique, est l'une des plus grandes figures des lettres grecques du XXe siècle. Inspirée par la mythologie antique, sa littérature prend racine auprès de grands auteurs qu'il a traduits comme Ezra Pound, Edgar Allan Poe ainsi que William Blake.
Curiatus Maternus décide de se retirer pour se consacrer à la poésie. Avec trois amis, un dialogue s'engage... Tacite évoque des problèmes fondateurs de l'art des mots : distance entre Anciens et Modernes ; déclin des belles lettres ; tension entre une poésie retirée de la société et l'efficacité politique de l'art oratoire...
Texte-choral, théâtral et plein d'humour, ce Dialogue nous fait bondir de querelles en débats. Libre au lecteur de se faire sa propre opinion quant aux questions posées : qu'attend-on de la parole publique ? L'absence d'adversité l'appauvrit-elle ? Comment apprendre, non à réciter, mais à penser ? Document historique, la société qu'il décrit nous est terriblement familière. On se laisse donc emporter pour élucider une énigme toujours intacte : à quoi servent les mots ?
Tacite, de son vrai nom Publius Cornelius Tacitus, né en 58 et mort en 120 de notre ère, est un écrivain, homme politique et historien romain. Il est même considéré comme l'un des plus grands historiens romains grâce à ses Annales et ses Histoires (Historiae). Racine le décrit comme étant le "plus grand peintre de l'Antiquité", dans l'introduction de Britannicus. Il est également un génie du style en langue romaine. Une langue épurée, concise que tous ses contemporains louent encore aujourd'hui.
De tous temps, l'économie a fait partie des sociétés humaines. Sa place est naturelle. Nous n'avons pas de prise sur son développement. D'ailleurs, le marché satisfait tous nos besoins... Vraiment ?
Karl Polanyi bat en brèche cette « légende ». Depuis le XIXe siècle, l'omniprésence du marché et, par conséquence, de l'industrie et de la technique, n'a cessé de croître. « L'Ère de la machine » a vu cet ensemble s'étendre à toutes les sphères de nos existences. Elle nous impose ses valeurs et son fonctionnement.
Polanyi plaide pour une refondation de notre rapport à l'économie afin d'en retrouver le contrôle. Il affirme la nécessité de nouveaux principes directeurs. C'est à cette seule condition que nous pourrons nous extraire d'un engrenage qui ne peut mener qu'au totalitarisme.
Le 28 novembre 1888, Octave Mirbeau signe dans Le Figaro un article intitulé La Grève des électeurs. Un tel manifeste en faveur de l'abstention serait aujourd'hui impensable. Pour autant, il ne cherche point à inoculer le vice du désengagement mais à dénoncer la mystification du système électoral qui pare de la légitimité du vote les extorsions des puissants. Ce n'est pas l'idée de démocratie qu'il critique mais sa pratique au sein de la République ; les institutions abêtissent l'électeur tout en lui demandant son aval. L'anarchisme de Mirbeau fait de l'individu le centre à partir duquel la République doit être interrogée. Il prend à partie l'électeur, qu'il tutoie, sur l'absurdité de sa contribution au grotesque spectacle de sa quête aux suffrages. Par l'humour et la dérision, il attente à la respectabilité des institutions, dénonce "la protection aux grands, l'écrasement aux petits". Si Mirbeau n'érige pas d'utopie dans cette critique radicale, il nous lègue les armes capables de nous défaire du conditionnement qui annihile le plus faible ; vision suffisamment juste pour qu'elle nous dérange encore plus de cent ans plus tard !
«C'est un homme qui a préféré devenir fou, dans le sens où socialement on l'entend, que de forfaire à une certaine idée supérieure de l'honneur humain.
C'est ainsi que la société a fait étrangler dans ses asiles tous ceux dont elle a voulu se débarrasser ou se défendre, comme ayant refusé de se rendre avec elle complices de certaines hautes saletés.
Car un aliéné est aussi un homme que la société n'a pas voulu entendre et qu'elle a voulu empêcher d'émettre d'insupportables vérités.» Van Gogh ne s'est pas suicidé. La société s'en est chargée. Avec toute la véhémence dont il est capable, Antonin Artaud impute à cette dernière le mal dont a souffert le peintre et accuse les psychiatres, en l'occurrence le Dr Gachet, d'avoir poussé Van Gogh au suicide. Il replace la prétendue folie de Van Gogh dans son contexte, en tant que produit d'une construction sociale. La «lucidité supérieure» propre à l'artiste, et commune à l'auteur et à son sujet, lui permet de faire la part belle à la fougue du génie, force contestataire en soi et facteur de marginalisation.
«Il y a dans tout dément un génie incompris dont l'idée qui luisait dans sa tête fit peur, et qui n'a pu trouver que dans le délire une issue aux étranglements que lui avait préparés la vie.» Cet état de supplicié, Artaud lui-même l'a vécu. Nul mieux que lui ne saurait le transmettre. Qu'il soit poète ou peintre, l'artiste se voit enfermé dans un asile, comme Artaud le fut, ou incapable de s'intégrer dans une société qui confond génie et tare psychologique. Et quand Artaud aborde la peinture proprement dite, c'est comme si lui-même s'emparait du pinceau ou, au demeurant, du couteau. C'est tranchant, expressif, cinglant. Il sait trouver le mot frappant, convaincre, emporter avec lui le lecteur. Les «épiphanies atmosphériques» des toiles de Van Gogh deviennent une réalité tangible, ses «chants d'orgue» une musique audible. Dans une évocation vertigineuse d'une toile à valeur testamentaire, Le Champ de blé aux corbeaux, Artaud ravive la symbolique attachée à ce noir charognard de mauvais augure.
Jamais il ne s'agit de descriptions («décrire un tableau de van Gogh, à quoi bon !») mais d'impressions fugaces qu'Artaud sait partager à coups d'expressions fulgurantes. La forme même de ce texte enlevé, empruntant les sentiers de la prose poétique, reflète le souci d'Artaud de faire état de ses propres expériences face à l'oeuvre. Son rythme entre parfaitement en résonance avec les empâtements nerveux et tourmentés du peintre.
Ici c'est La Fourrière, un "village de nulle part" et c'est un enfant qui raconte : massacrer le chien de "la grosse conne de voisine", tuer le cochon avec les hommes du village, s'amuser au "jeu de l'arabe", rendre les coups et éviter ceux des parents.Ici on vit retiré, un peu hors-la-loi, pas loin de la misère aussi. Dans cette Guerre des boutons chez les rednecks, les bêtes sont partout, les enfants conduisent leurs parents ivres morts dans des voitures déglinguées et l'amitié reste la grande affaire.C'est un pays d'ogres et d'animaux errants, un monde organique fait de pluie et de graisse, de terre et d'os, où se répandent les fluides des corps vivants et ceux des bestioles mortes. Même le ramassage scolaire ressemble au passage des équarisseurs.Mais bientôt certains disparaissent, les filles vous quittent et la forêt finit par s'éloigner.D'une bagarre l'autre, la petite musique de ce premier roman vous emmènera jusqu'à l'adolescence, quand la douleur fait son entrée et que le regard change, dans les turbulences d'une langue outrancière au plus près du rythme de l'enfance : drôle et âpre, déchirante et fièvreuse, traversée de fulgurances.